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Portrait | Eyal Hacman, l’équilibre sonore entre jazz et hip-hop

Eyal Hacman est un jeune compositeur aussi ingénieux que discret. Ses références sont techniques, son inspiration puise parmi les plus grands, et il ne s’entoure que d’artistes complets. Il a composé pour Nekfeu, Mikano ou encore Nelick. Le petit génie nous a accueilli dans son laboratoire d’idées pour répondre à nos questions.

Tu touches le clavier depuis quand ?

Je l’ai touché avec les oreilles avant de la toucher du bout des doigts. Depuis mes premiers jours j’écoute mon frère aîné jouer du piano. C’est comme ça que tout a commencé. J’ai véritablement débuté à l’âge de 7 ans. Quand j’ai fait sonner mes premières notes, j’ai immédiatement compris que le piano représentait pour moi un instrument de liberté.

Quels genres de musique pratiques-tu ? 

Je pratique trois genres de musique et chacun est assorti d’un processus créatif différent. J’ai reçu une double formation Classique et Jazz. En Classique, on nous forme à interpréter un discours, c’est à dire une manière de jouer. Les notes parlent. Le discours Classique est censé être magnifique, comme ceux signés par Chopin, Schubert ou Bach. C’est là qu’on apprend les bases de l’instrument : la prestance sur le clavier, la technique, l’articulation, les nuances et l’interprétation. Mais si personne ne nous donne de discours à interpréter, on est vite duper.  Alors que le Jazz est le style dans lequel l’improvisation est sans cesse sollicitée. En Jazz, on nous donne seulement des mots clefs – ce sont les accords – et c’est à nous d’inventer notre propre discours. En réalité, les deux formations sont aussi opposées que complémentaires.

Et puis je pratique le Hip-hop, et là le producing est très différent. Niveau compo, ça tourne à peu près toujours autour des mêmes couleurs, des mêmes échelles harmoniques, sans grande complexité. Mais en réalité, le plus important c’est le sound design de chaque instrument qu’on compose. Il faut faire naître une qualité globale, une cohérence, un équilibre sonore. C’est de mes bases Classique et Jazz que je tire à la fois ma créativité et mes connaissances en théorie musicale. Ces choses-là sont banales dans le monde des musiciens de Jazz, mais elles représentent un atout majeur dans celui des Producers et du Hip-Hop.

Quelles sont tes plus grosses influences musicales ? 

Mes influences sont assez hétéroclites. En tant que pianiste, j’ai été beaucoup touché par Chopin pour la beauté, l’interprétation et la technique. Il y aurait Erik Satie et Yann Tiersen pour leurs compositions épurées et efficaces, et Michel Petrucciani pour la spontanéité, la clarté, et la richesse de son discours. Je ne peux cacher l’influence d’Herbie Hancock sur mon travail, pour son groove et son innovation électronique. Il y aurait aussi Bill Evans pour la sensibilité et la rondeur de son touché. J’ai adoré Jamie Cullum pour ses compositions et ses arrangements. Robert Glasper qui m’a ouvert aux vastes horizons de la progression harmonique, puis Avishai Cohen et son pianiste Shai Maesto pour la richesse des phrases rythmiques et des métriques utilisées. Ce sont ces artistes qui m’ont le plus influencé. Ils m’ont construit en tant que musicien. En tant que Producer, j’ai évolué grâce à d’autres noms. Je pourrai en citer beaucoup mais ça serait trop chiant, alors pour faire court on se contentera de J Dilla, Flying Lotus, Pharrel Williams ou encore Noah Shebib. Ah oui, et aussi Terrace Martin (qui a leadé la création de l’album « To Pimp à Butterfly » de Kendrick Lamar). Et puis Robert Glasper, Chris Dave, Christian Scott, Kamasi Washington, Derrick Hodge. En matière de mixing, je trouve incontournables les travaux de MixedByAli.

Qu’écoutes-tu en ce moment ?

Ces derniers temps, j’écoute beaucoup Teyana Taylor, Sabrina Claudio, Snoh Aalegra, Anderson .Paak, Jorja Smith, Hiatus Kaiyote. Et tout cela ne va pas sans citer Quincy Jones et Stevie Wonder. Je pourrais citer des noms pendant longtemps mais je m’arrêterai sur les trois légendes de notre génération : Joey Alexander, Jacob Collier et Cory Henry.

Comment concilies-tu Jazz et Hip-Hop ?

Du Jazz, je tire ma connaissance de l’harmonie, la liberté sur le clavier, l’aptitude rythmique. Du Hip-Hop, je tire le groove, les arrangements en pensant par sample, ainsi que l’art des productions. Mais les choses ne se limitent pas à ca, même si ces deux genres sont mes influences majeures. Je suis pour le mélange des genres et ça donne quelque chose de très différent. Il faut briser les codes. Je cherche à créer mon propre style.

Eyal Hacman

Tu as commencé tôt à produire des sons : comment ça a construit ton parcours ? 

Dans ce rôle, j’ai rencontré de nombreux rappeurs. Au lycée, j’ai eu la chance de travailler avec Nekfeu pour son premier album. Je devais faire des arrangements clavier sur une suite de trois accords assez bidons. Il voulait que je fasse quelque chose de plus simple, plus évident tout en restant innovant. Avec des accords aussi basiques, je n’ai pas su quoi faire. Il me disait que c’était super mais il qu’il manquait quelque chose. Je n’étais moi-même pas satisfait du morceau. Je n’avais pas assez de maturité artistique pour savoir faire simple, maîtrisé et innovant. Du coup, le morceau sur lequel j’avais travaillé n’a finalement pas été choisi pour l’album. Être dessus m’importait peu, au fond. C’était surtout une expérience humaine, d’une richesse que je n’avais encore jamais connue. Tant sur le plan humain qu’artistique d’ailleurs.

Depuis, je ne veux travailler qu’avec des personnes qui m’apportent ce genre d’ondes. Positives et riches. Des gens qui se ressentent et s’écoutent mutuellement. Des gens qui voient tellement grand que l’ego n’a plus sa place dans l’esprit. J’ai donc cherché à m’entourer, et j’ai commencé à collaborer avec de nombreux rappeurs ou chanteuses dans mon studio parmi lesquels Nelick, Lord Esperanza, Ava Baya, Primo, Louga, Jill Romy… La liste est longue. J’en ai réuni certains autour d’une entité très scred dénommée Le SQWAD. On avait fait plusieurs titres que j’avais réunis sur une petite mixtape de 8 titres, la BALEK mixtape. J’y ai mis beaucoup de temps et d’énergie. Ensuite j’ai rencontré d’autres artistes comme Mikano ou Eylia. J’ai eu la chance de bosser avec eux dernièrement, sur leurs EP respectifs. Mikano a sorti « Black Man Dream » il y a un mois. C’est un rappeur anglophone très talentueux. Eylia sort en ce moment son premier EP « The Missing Sents » produit par Majeur-mineur. Elle a une des plus belles voix que je connaisse. Elle est très forte dans son domaine.

Tu pratiques depuis longtemps mais tu es resté dans l’ombre. Était-ce volontaire ? 

Je ne recherche pas une célébrité précipitée. Mon objectif, c’est de faire de la bonne musique. Qu’elle soit singulière, authentique, simple et innovante. C’est le point de départ. Le reste suivra naturellement. Il y a une obsession de « percer vite », mais le plus important c’est surtout de bien faire. Je fais de la musique de précision. Quand je compose un morceau, j’ai une image très claire : je suis mon idée de la mélodie au mixing, en passant par les arrangements harmoniques et rythmiques. Si la personne avec qui je collabore ne ressent pas la musique comme je la ressens, il y a de grandes chances pour que le résultat final ne me plaise pas. C’est pourquoi, au fil du temps, j’apprends à sélectionner les gens qui désirent mon aide ou qui veulent collaborer avec moi. Je n’ai pas encore réussi à atteindre mon niveau d’exigence, mais ce n’est qu’une question de temps (et de chance). Dieu seul sait quand mon travail portera ses fruits…

Quelles sont tes ambitions dans le monde de la musique ? 

En tant que musicien, mon ambition est de composer et produire pour les meilleurs artistes et aussi ceux que je préfère. En tant qu’humain, elle est de soigner un maximum de personnes par ma musique. C’est un travail à long terme.

Plutôt Ricain ou français ?

J’aime la bonne musique, qu’elle soit américaine, française, ou d’ailleurs. Mais il se trouve que, de fait, les ricains sont bien plus chauds que les français.

Tu collabores musicalement avec RAPoésie. Que penses-tu de cette alliance entre rap et poésie ?

Il n’y a pas de bon rap sans poésie. Je mesure la qualité d’un rappeur à la beauté de sa poésie. J’ai des critères précis. Rapologiquement : la maitrise des schémas de rime, la percussion de la diction, le flow. Musicalement: le Groove, la beauté sonore, la conscience musicale et la conscience de sa voix. Poétiquement : être authentique, simple et pondéré. Ouvrir l’esprit des auditeurs. Transmettre un vécu, une émotion, un message fort.

Quelle place a la spiritualité dans ta musique ? 

Je pense que la musique en général, c’est le reflet sonore d’un esprit, qu’il soit instrumentiste, compositeur, producer, ou interprète. Chaque note dépend de l’humeur et de l’intention de l’artiste. C’est pour ça que quand on joue en groupe ou qu’on compose en binôme, les musiciens doivent être sur les mêmes longueurs d’ondes. C’est capital. La qualité du résultat en dépend. En écoutant une œuvre, on peut capter cette énergie. Car la musique est la première médecine. Elle libère, apaise, soigne. Elle est la thérapie de l’humanité (comme toute autre forme d’Art d’ailleurs). La spiritualité a donc une place essentielle dans la musique. Celui dont l’esprit est absent de sa musique ne fait pas de musique – clin d’œil à toi mon pote pour cette citation.


Photos : ©ldelhPhotos

 

Jonas Kerszner

Poète, romancier, philosophe et journaliste, l'auteur écrit depuis son plus jeune âge. Le jeune parisien a déjà publié 5 ouvrages, et son premier à 17 ans. Désormais diplômé d’une licence de Lettres et Sciences Humaines, Il poursuit des études de Journalisme. Jonas Kerszner travaille aussi dans une agence digitale en tant que rédacteur freelance, et il écrit notamment pour le Noise la Ville magazine.

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Jonas Kerszner

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