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« On abortion » de Laia Abril : une exposition pour sensibiliser à la réalité de l’avortement

Premier volet de son projet A History of Misogyny, la série On abortion: l’avortement, une vulnérabilité universelle de la photographe Laia Abril est exposée à La Maison des Métallos jusqu’au 9 décembre. Des clichés destinés à rendre visibles l’horreur et les difficultés auxquelles des milliers de femmes sont confrontées.

« Mon travail ne traite pas de l’avortement mais des restrictions d’accès à l’avortement » souligne la photographe espagnole lorsqu’elle présente sa recherche documentaire et visuelle exposée en 2016 aux Rencontres d’Arles et primée au festival Paris Photo 2018.

Laia Abril est de ces photographes qui savent trouver le ton juste pour traiter des sujets les plus sensibles. Son approche, nuancée et sensible, rend compte des conséquences de cette invisibilisation sans jamais tendre à la polémique ou présenter d’images choquantes. Les clichés, installations, témoignages et documentations qu’elle a réunis sont destinés à prendre la réelle mesure des violences faites aux femmes dans le domaine du droit à disposer de leurs corps.

Chaque année, 20 millions de femmes interrompent leur grossesse dans des conditions très dangereuses, tandis que 47 000 meurent des suites d’avortements clandestins. Des milliers d’autres sont forcées à poursuivre des grossesses non désirées. Nombreuses sont celles à être criminalisées, stigmatisées ou emprisonnées pour avoir tenté d’accéder à ce droit fondamental que l’on négocie avec des femmes qui meurent des répercussions de lois et traditions rétrogrades.

L’exposition débute par des natures mortes d’objets issus des archives du Musée de la Contraception et de l’Avortement de Vienne. Ceux-ci étaient utilisés au XIXème siècle. Photographiés avec la même technique, des objets, cette fois utilisés de nos jours, sont mis face à ces outils passéistes. « Il était pour moi essentiel de faire des allers et retours entre le présent et le passé afin de se rendre compte que cette histoire n’est pas révolue et perdure au contraire encore de nos jours. Rien n’a changé alors que les techniques ont elles évoluées et qu’il existe des moyens sans danger d’avorter ».

Plusieurs portraits-témoignages (qu’elle appelle « photo-novels ») mettent ensuite en avant les histoires personnelles de plusieurs femmes à travers le monde. La photographe a fait le choix de mettre en lumière la diversité des parcours et des situations afin de faciliter le processus d’identification à ces femmes. Toutes peuvent être concernées. Ces portraits n’occultent ni la brutalité des situations, ni les souffrances physiques et psychiques traversées. Une interruption de grossesse n’est pas « quelque chose qu’on veut avoir mais dont on a besoin » rappelle la photographe. Les histoires relatées sont bouleversantes : un homme irlandais raconte ainsi avoir perdu sa femme atteinte d’un cancer.  Afin de ne pas mettre le foetus en danger, le personnel soignant lui refusait la chimiothérapie qu’elle n’aurait pu suivre qu’en avortant. L’avortement étant illégal, le couple a été contraint de passer la frontière anglaise pour réaliser l’opération. La femme n’a survécu que quelques mois suite à son retour. « Nous n’avions pas d’autre choix » explique l’homme.  

L’érosion et l’irrespect des droits reproductifs de la femme prend des formes multiples qui confinent à l’horreur et restent bien souvent ignorées. Les lois restrictives, les emprisonnements et les condamnations ne concernent pas uniquement les femmes qui ne veulent pas devenir mères mais aussi celles qui ne peuvent devenir mères. Ainsi, en 1998, 17 femmes salvadoriennes ont été accusées d’homicide après avoir fait une fausse couche. On condamne aujourd’hui des femmes à des peines de prison à perpétuité pour n’avoir pas pu donner la vie.  

La photographe a également souhaité raconter l’histoire de l’avortement à travers la perspective de médecins, parfois poursuivis ou condamnés pour avoir assister des femmes lors d’une IVG. Là encore, les témoignages sont déclinés sous plusieurs formes visuelles. Une vidéo réunissant les témoignages de plusieurs médecins a été réalisée en collaboration avec Médecins sans Frontières, partenaires de l’exposition. Elle réunit des témoignages de plusieurs des médecins de l’association qui a intégré il y a 10 ans l’accès à l’interruption volontaire de grossesse dans ses projets de soins maternels.

Sur une petite étagère, le visiteur pourra décrocher un téléphone et entendre une voix, terrible. Celle d’un homme qu’on écoute menacer un médecin qui travaillait à la clinique d’Orlando en Floride. « Je voulais qu’on puisse s’imaginer ce que ressent une personne lorsqu’elle entend la voix d’un inconnu lui répéter : You like killing babies, don’t you?” (« tu aimes tuer des bébés, n’est-ce pas ? ») explique la photographe.

Il est urgent de se confronter au travail de Laia Abril. Même dans les pays où l’accès à l’avortement est légalisé, les débats sont loin d’être conclus. Or, la sensibilisation aux droits des femmes est primordiale, particulièrement à l’heure du retour et/ou de maintien du conservatisme à travers le monde. Ces évolutions appellent aux prises de conscience et aux changements.


Texte : Fiona Forte

Photo de couverture : Laia Abril, Portrait de Marta, 29 ans, Pologne, 2016.

Fiona Forte

Originaire de l’Essonne, Fiona construit sa réflexion autour de la ville à travers des projets visuels et éditoriaux pensés pour donner la parole aux habitants. Après des études de lettres et de sciences politiques, elle se tourne vers le journalisme et l’organisation de manifestations culturelles, en se spécialisant dans les enjeux urbains. En parallèle, sa pratique photographique s’enrichit au contact des pays qu’elle parcourt, notamment ceux du continent américain, et de reportages en région parisienne. Elle se consacre actuellement à l’écriture d’un documentaire vidéo sur le carnaval de rue brésilien et à la réalisation d’une série photographique sur les liens entre masculinité, féminité et séduction.

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Fiona Forte

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