Mercredi 17 octobre, se tenait lors du MaMA festival une conférence organisée par la MAP[1] au FGO-Barbara, sur les liens entre ce « Grand Paris », ses dynamiques et sa création culturelle. Et tentait d’apporter des réponses à cette question centrale : la musique est-elle une composante majeure de développement urbain ? Compte-rendu des discussions…
Autour de la table animée par Maud Cittone fondatrice de la Bise fraîche[2], plusieurs intervenants du monde de la musique, acteurs de la culture, responsables de tiers-lieux sont venus discuter de la place de la musique dans le développement urbain. Fazette Bordage tout d’abord, fondatrice d’une des premières friches culturelles en France qui a aussi créé Mains d’œuvres à Saint-Ouen et plus récemment participé à la mise en place de « cocréation » de projets entre la municipalité du Havre, les artistes et les acteurs culturels du territoire. Fazette Bordage est aussi experte associée à la mise en place du projet culturel de la Société du Grand Paris. A ses côtés, Claude Paquin, spécialiste en ingénierie culturelle qui a initié au sein de l’ANFIAC[3] les premières études d’accompagnement des politiques culturelles et territoriales. Autres invités présents, Yoan-Till Dimet co-fondateur de Soukmachines ainsi que David Georges-François fondateur du collectif MU qui occupe actuellement la Station Gare des mines. Enfin, Lucie Buathier coordinatrice de Paris Jazz Club et Kamel Dafri directeur du festival « Villes des musiques du monde » et de l’association éponyme complétaient ce panel.
Expérimentation musicale et territoriale
La conférence démarre de ce point essentiel : la musique est la première pratique culturelle des français. Pour Yoan-till Dimet , cela ne fait aucun doute étant donné que les événements qui rassemble le plus de monde à Soukmachines sont les événements musicaux. La musique permettrait de fédérer, de coordonner et de créer un mouvement puisque les gens se déplace pour elle. Ce qui en soit était déjà le cas dans les années 80, rappelle Fazette Bordage. Pour elle, la musique est aussi au cœur de la naissance des friches. Dans les friches se produisaient de jeunes groupes qu’on ne pouvait voir nulle part ailleurs, et qui osaient expérimenter de nouvelles choses. Kamel Dafri fait d’ailleurs remarquer que souvent les tiers-lieux et autres lieux dédier à la musique en banlieue sont des laboratoires d’essais où l’on peut se permettre d’expérimenter différentes choses avant de les développer dans la capitale.
la lutte des classes transparaît aussi à travers la musique
Il souligne aussi que les musiques du monde par exemple sont très peu représentées en conservatoire, ce qui pose la question de leur place dans le monde de la musique. Les Antilles sont considérées administrativement comme française mais pas leur musique. L’inverse du Jazz, estime Lucie Buathier. Plus de 600 concerts de jazz sont organisées en moyenne dans la capitale. Ce qui en fait la deuxième capitale mondiale du Jazz après New-York. Les musiques du monde ne bénéficient pas d’une telle représentation dans la capitale. Pour Kamel Dafri, la lutte des classes transparaît aussi à travers la musique et ce n’est pas un hasard que certaines musiques soient plus privilégiées que d’autres dans les conservatoires et sur la scène musicale. La musique un caractère éminemment politique. Tout mouvement de spontanéité culturelle et de convivialité porte en lui ce pouvoir de fédérer. Et la musique permet donc à la fois de déplacer et de fédérer. Toute la question est de savoir quel rôle joue cette dernière dans l’organisation de la ville mais aussi de sa vie particulièrement avec la construction du Grand Paris.
L’Grand Paris
Le 1er janvier 2016, la métropole du Grand Paris voit le jour. L’idée du Grand Paris est ancienne, et prend enfin forme – progressivement. La Société du Grand Paris se charge de la construction du Grand Paris Express et ses 200 kilomètres de ligne automatique, et la Métropole tente de faire exister le territoire en tant que tel. Mais il existait déjà des mouvements fédérateurs. Claude Paquin spécialiste en ingénierie culturelle, souligne que dès 1991, lors de la création de son agence culturel Tertius, des formations sur les enjeux de la métropole avaient été crées en partenariat avec la DRAC[4]. La conscience que la valorisation des interdépendances entre le centre et sa périphérie permet d’engendrer de nouvelles opportunités de coordinations et dépasser ce vieux clivage centre/banlieue était déjà présente. A Montréal, Simon Brault a ainsi valorisé la création d’espaces d’intermédiations en promouvant notamment l’idée de créer des réseaux plutôt que des gros organismes paralysants. Et, selon Claude Paquin, la métropole actuelle est loin de s’arrêter à son périmètre administratif. Il y a même des tensions entre la métropole administrative instituée aujourd’hui, les trois départements qui composent sa banlieue proche et la métropole réelle générée par les pratiques.
Dès le départ, une politique culturelle à été incluse dans la construction du Grand Paris. La Société du Grand Paris a misé sur la création d’événements culturels dans les nouvelles gares du Grand Paris Express afin que ces lieux ne se limitent pas à de simples zones de trafic mais deviennent aussi des lieux de vies. Le rêve, c’est d’étendre la magie de Paris au-delà du périphérique. C’est d’ailleurs là que de nombreux tiers-lieux ont vu le jour à: la Station Gare des mines, de la Halle Papin ou encore Mains d’œuvres pour ne citer qu’eux. Pour Yoan-Till Dimet, David George-François et Fazette Bordage, tous trois impliqués dans la création et la gestion de tiers-lieux, ces espaces répondent à une demande. La banlieue sert d’incubateur de projets et de poumons à la ville offrant une plus grande liberté notamment au niveau de l’espace.
la musique reste la grande absente de la co-construction du Grand Paris
La culture récupérée ?
Cependant les acteurs des tiers-lieux se demandent s’il n’y pas une instrumentalisation des friches. Ces dernières ne coûtent quasiment rien aux collectivités mais participent grandement à la vie culturelle de Paris et sa banlieue. Ces lieux attirent diverses populations et permettent qu’un mouvement se crée de Paris vers sa banlieue et de décentrer les offres culturelles. En ce sens, ils participent à la construction du Grand Paris, vécu par le public dans ses pratiques culturelles. Et pourtant, la musique reste la grande absente de la co-construction du Grand Paris. Il n’y pas de fonds alloués à la musique dans ce projet de grande envergure.
C’est ce grand engouement pour l’urbanisme transitoire qui est remis en cause par les acteurs des friches. Créer un développement de proximité, un ancrage local demande du temps. Leur but serait de pouvoir se pérenniser dans un lieu. Or ce qui assure la survie des collectifs qui animent les friches, c’est d’avoir des murs pour y développer une variété d’activités. Mais trop souvent, les tiers-lieux sont selon instrumentalisés pour servir un « marketing territorial ». Certains lieux aux portes de Paris se retrouvent dans une zone frontière et participent au décloisonnement de la capitale. Mais se retrouvent mis en concurrence par des projets privés qui surfent sur l’engouement pour l’urbanisme, mais pour qui la musique n’a pas forcément de poids. Le Grand Paris se construit autour des questions de mobilité, et cette politique culturelle promise dans les gares reste lettre morte. Rien n’a encore été mis en place, les futures gares ne sont pas encore toutes sorties de terres et rien ne vient compléter ce premier projet. Les événements musicaux créent la mobilité et l’engouement mais sans l’aide des fonds publics pour l’instant. Les acteurs de la musique et des friches se débrouillent alors seuls, en variant leurs activités et en comptant sur la coopération, la fédération, l’interdisciplinarité et l’inter-territorialité. Jusqu’à quand ?
Replay disponible ici.
[1] Réseau des Musiques Actuelles de Paris http://www.reseau-map.fr/
[2] Agence de communication et de booking spécialisé dans la musique http://labisefraiche.fr/
[3] Association Nationale pour la Formation et l’Information Artistique et Culturelle
[4] Direction Régionale des Affaires Culturelles