Ojalá, c’est une web-série participative sur la vie quotidienne, les problématiques et les espoirs de jeunes qui s’apprêtent à passer leur Bac et à se lancer dans la vie d’adulte, en périphérie parisienne. Rencontre avec les réalisateurs Camille Cibot et Alexandre Muñoz-Cazieux, et les actrices Aurélie Lema et Maeva Niangoula, pour parler de leur projet.
Une série participative pour se réapproprier le récit des quartiers
La caméra suit les jeunes dans leur quotidien entre le lycée, le quartier, la maison, la débrouille, et leurs aspirations pour la suite. C’est dans ces cadres que les acteurs improvisent leurs propres dialogues sur des thèmes fixés. Les réalisateurs insistent sur l’importance de ne pas mettre des mots sur cette jeunesse et de la laisser s’approprier le réel pour qu’elle puisse s’y reconnaître ensuite.
La série prend comme décors le 19ème arrondissement et Aubervilliers, notamment le lycée professionnel d’Alembert où se passe le premier épisode « Alexia et Rudy » et où Alexandre, co-réalisateur, était professeur d’espagnol.
Camille et Alexandre se sont rencontrés dans le 19ème, où ils étaient voisins. Ils se sont lancés dans ce projet avec l’idée que le réel qui les entourait n’était ni présent ni reconnaissable dans les représentations du cinéma et des médias. Ils ont voulu filmer les quartiers et leur jeunesse en s’éloignant des récits les liant presque toujours à la violence, au désœuvrement ou au trafic de drogues. Ojalá raconte au contraire la détermination et une forme de « débrouille » forcée de ces jeunes face aux événements quotidiens, dans un contexte social où les adultes – souvent tournés en ridicule – ne leur donnent que peu de ressources pour s’orienter et s’épanouir. Ni dans les études, ni au fond de manière générale dans une société dans laquelle ils vont pourtant devoir choisir leur voie.
La série donne la parole aux premier.e.s concerné.e.s en les laissant libres de raconter des situations qui les représentent. N’importe quel jeune se reconnaissant dans ces histoires peut y participer, en passant un casting ou en donnant des idées de situations ou anecdotes vécues. Maeva et Aurélie évoquent longuement ce lien et cette sensation de communauté qui se crée entre jeunes d’une même zone, impliqués dans la création de ce projet à travers lequel ils racontent leurs vies dans la ville. Le but, c’est que ce sentiment d’appartenance touche aussi ceux qui les regardent, qu’ils se retrouvent dans la série.
Beaucoup jouent leurs propres rôles avec naturel estime Maeva, elle-même passée par le stress de Parcoursup et l’orientation post-bac l’année dernière, comme le personnage qu’elle incarne. Aurélie, comédienne de formation qui joue le rôle d’Alexia, estime elle qu’il n’y a pas énormément d’enjeu à s’incarner soi-même. Pourtant, se dévoiler,avoir du recul sur ce que l’on est et ce que l’on vit pour le transmettre à l’écran n’ont rien d’une évidence. Et c’est justement ce double jeu qui crée des personnages attachants.
« Pablo Escobar sur Parcoursup »
Si on sait où les scènes se déroulent, les repères spatiaux sont peu présents sur les plateaux : un lycée, un immeuble, un banc ou un arrêt de bus qui pourraient être ceux de n’importe quelle ville et ne donnent que peu d’indices sur les lieux de l’action.
Camille, co-réalisateur, confirme ne pas vouloir restreindre ces vies au bâti de la ville qui les entoure. Ici, filmer une cité c’est montrer l’ambiance qu’on y trouve, les histoires qui s’y passent et les relations qui s’y créent. On y voit le rapport des jeunes entre eux, face à leurs différences ou encore leurs relations avec la famille, plus que les classiques tours ou halls d’immeuble trop souvent pris comme décor d’un cinéma qui stigmatise les grands ensembles.
Pour les actrices, ces scènes pourraient avoir lieu n’importe où tant les problématiques quotidiennes abordées sont communes à tous les jeunes en manque de repères à ce moment charnière de transition : les problèmes d’orientation, d’absentéisme et de fatigue scolaire, ou encore ce moment où, arrivé au mois de juin, en terminale, on se pose encore la question du « mais qu’est-ce que je vais faire après ? »
Cependant, on voit au fil des épisodes se dessiner des institutions faibles, notamment scolaires, auxquelles fait face cette jeunesse. On trouve cette critique dans l’incompréhension d’une lycéenne à qui on refuse tous ses vœux d’orientation face à la caricature du système Parcoursup incapable de lui fournir des explications, dans le retard d’un chargé de soutien scolaire trop occupé à « swiper » sur son application Tinder, ou encore dans les différences de traitement appliquées par un employeur de supermarché G20.
Ce qu’on voit dans Ojalá ce sont des jeunes qui affrontent leurs situations sans avoir le sentiment de mener un combat, car ils ont fini par intégrer cette violence symbolique dans leur quotidien. Lycées sous-équipés et dévalorisés, professeurs peu investis, système scolaire dépassé dans lequel ils peinent à s’épanouir en sont autant d’incarnations. Restent les personnages, déterminés à suivre leurs objectifs. Et l’humour ambiant.
Ojalá quoi ?
Le titre « Ojalá », « j’espère » ou « espérons-le » en espagnol vient d’une idée donnée par Alexandre, que toute l’équipe a adopté. Pour les actrices, « ça allait bien avec cette idée des espoirs de leur jeunesse ». La preuve : quand on leur demande de commencer une phrase par Ojalá aujourd’hui, elles répondent : « Ojalá on perce » ou « Ojalá, « Ojalá » pète le million ! ». Elles ont hâte de continuer la série et de faire évoluer leurs personnages dans cet « après » où l’ensemble commun du lycée se disperse pour que chacun puisse suivre sa propre voix.
Couverture : Les actrices Maeva Niangoula et Aurélie Lema dans l’épisode 5. Crédits : Ojalá la série