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Street art dans le 13ème, côté face

Longtemps laissé de côté par les parisiens et les touristes, le 13ème agit depuis 2010 afin de rendre ses terres attractives. L’arrondissement a ainsi choisi le street art comme outil de promotion, mais pas d’y impliquer ses artistes locaux.

D’extérieur, se balader dans les rues du 13ème arrondissement est une expérience. Il suffit de marcher quelques minutes au gré de ses envies pour tomber face à d’immenses fresques colorées – et je ne suis pas le premier flâneur tombé sous leur charme. « Le projet street art 13 tourne autour du muralisme XXL. C’est la particularité du 13ème » explique Kasia Klon, fondatrice des « Street art tour » à Paris. L’endroit est un terrain de jeu incroyable pour les artistes car il concentre le plus grand nombre de tours HLM de Paris. Aujourd’hui, sont ainsi présentes 50 œuvres réalisées, par 22 street artistes de renommée mondiale, comme C215, Inti ou encore Shepard Fairey.

De gauche à droite : Inti « La Madre Secular 2 » – Conor Harrington « Étreinte et lutte »

Des images pour l’image

Catherine Weigel d’Angelo, chargée de mission culture à la mairie du 13ème explique que cette politique menée par le maire Jérome Coumet et le galeriste Medhi Ben Cheikh a pour objectif d’apporter « un reconnaissance internationale à l’arrondissement, une connaissance tout court même » et de « créer un immense musée à ciel ouvert. » 

Le premier gros coup arrive en 2013 avec la « Tour Paris 13 ». Une centaine de street artistes venus du monde entier, travaillent pendant 7 mois afin de donner une nouvelle et dernière vie au bâtiment condamné à la destruction.

La « Tour Paris 13 » – ©europeaupif.blogspot

Le projet est une réussite et apporte une certitude : le street art peut déplacer les foules et permettre à l’arrondissement de changer sa perception. « Cela fait 4 ans que j’organise des visites dans le 13ème. Au début il n’y avait que des parisiens, des initiés au street art. Maintenant il y a des personnes qui n’ont aucune expérience dans l’art. Une fois, une famille m’a même demandé : mais qui est Dali ? » s’amuse Kasia. « Les gens viennent de partout. Des États Unis, du Mexique, du Canada et il y a encore plus de parisiens ».

Au delà des touristes, les riverains de cette partie de l’arrondissement apprécient eux aussi les efforts faits. On les voit sourire, fiers lorsqu’un groupe s’arrête devant chez eux pour admirer une œuvre, prendre une photo. Il faut dire qu’entre ces immenses tours de béton froides et impersonnelles qui cachent l’horizon, « les habitants avaient perdu le sens d’eux-mêmes. Ils se sentaient petits entre ces grands murs » confie Kasia. Pour les impliquer, la mairie leur donne ainsi le choix entre 3 fresques d’un même artiste afin de déterminer laquelle viendra prendre place leur bâtiment.

Des riverains impliqués, mais les artistes locaux…

Les artistes, eux, sont choisis par la mairie et la galerie Itinerrance, et dédommagés pour leurs frais techniques grâce à un système de mécénat.

De gauche à droite : fresque « Untitled » de l’artiste Seth et « J’ai retenu mon souffle » du duo Faile

Si la promotion de l’arrondissement passe par le street art et intègre ses habitants, elle ne passe à l’inverse que très peu par la promotion de ses propres artistes. Il suffit de prêter attention aux noms qui ont participé aux différentes manifestations artistiques pour s’en rendre compte. Entre la « Tour Paris 13 » et le projet « Street art 13 » seul Tore, artiste local, a pu venir exprimer son art grâce à ses relations, lors de l’événement de 2013. Pourtant, en dehors des sentiers officiels mis en avant, de nombreux collectifs et beaux projets existent là-bas.

L’exemple « V13 »

L’un des plus emblématiques est le collectif « V13 », fondé par le graffeur « Sure » en 1995. Connu pour son collectif, l’homme de 43 ans l’est également pour ses actions sociales comme « Village 13 » qui propose depuis 2010 des activités aux jeunes du quartier. Car un de ses objectifs est « d’occuper les gens ». « Sure » est une figure locale appréciée de cette « zone » de l’arrondissement « laissée par la mairie » où « il n’y a pas de street art ». Il suffit de faire quelques pas à ses côtés dans son quartier de la poterne des peupliers pour s’en apercevoir. Ce natif du 13ème au crâne rasé, au visage marqué par une vie mouvementée et affublé d’un ensemble jogging Lacoste blanc, s’arrête pour dire bonjour à chaque personne croisée. Pour lui, les projets de la mairie « sont biens car ça ramène du monde, mais ça ne fait rien pour le quartier ». Il poursuit, « c’est positif oui, mais il n’y a pas d’artistes du 13ème ». C’est pourquoi l’an passé, le collectif a réalisé sa « Tour 13 » avec le projet « Bat K-13 » dans un ancien bâtiment ERDF vide depuis 3 ans. Niché au 148 de la rue Tolbiac, le collectif investi l’endroit afin d’en faire un lieu d’art, de rencontre et d’échange où les jeunes peuvent venir pour ne pas « traîner dehors ». Le début du projet « était un peu brouillon » mais celui-ci prend forme. « Sure » s’est même « arrangé pour faire venir des artistes de Paris qui n’étaient pas issus du street art afin de montrer qu’on pouvait faire comme la Tour 13. Sans subventions ni moyens ». Ils y installent également un studio d’enregistrement semi-professionnel, organisent des cours d’initiation au graffiti et abritent même quelques familles sans logement.  

Cage d’escalier du Bat K-13 ©LeMonde.fr

Malgré 7 expositions, de nombreuses visites, dont celle de Madame Wang – propriétaire de Lanvin-, des retombées presse importantes et une réquisition citoyenne proclamée par le collectif et l’association « action concrète », le squat est fermé par la mairie. Les causes : des nuisances sonores, des normes de sécurité non respectées, en plus d’une plainte déposée par le bailleur Enedis.

« V13 » signifie « Vecteur 13 » en hommage à « Vecteur », proche de « Sure » condamné à 8 ans de prison en 1995. 

« Bat K-13 » signifie « Bâtiment K-13 ». Le « K » est un hommage à Kim, fils décédé du fondateur de l’association « action concrète ».

 

Un projet commun : la poterne des peupliers

Pourtant, les différents partis se respectent. « Les street artistes n’ont pas recouvert les tags qui étaient déjà présents sur les murs, par respect pour les graffeurs d’ici » indique Kasia. « Sure » emboîte le pas, à de rares exceptions près, « si on fait un beau projet, la mairie laisse nos peintures ». D’ailleurs, la preuve d’un dialogue complexe mais possible existe. En s’enfonçant dans le quartier, loin des bâtiments haussmanniens de Tolbiac, derrière un parc, notre œil est attiré par une immense fresque ou le bleu domine. Plus « street », avec un ressenti plus artisanal et spontané, on est pourtant tout autant saisi à sa vue. Le projet de la poterne est réalisé par « V13 » en 2015 pour les 20 ans du collectif, avec l’aide de la marie et 2 000€ de subventions.

Une partie du graffiti de V13 sur la poterne des peupliers

Car le problème serait finalement là selon Madame Weigel d’Angelo. Pour elle « il y a de la place pour tout le monde » mais « ils n’ont pas les moyens techniquement et budgétairement » pour réaliser seuls de tels projets. « Et nous, on ne finance pas les fresques, c’est du mécénat » insiste t-elle. De toute façon, le collectif ne veut pas de subventions « parce qu’on veut être en autogestion ». Le bâtiment K-13 d’ailleurs « était en autofinancement. Il y avait une cagnotte et les visiteurs donnaient ce qu’ils pouvaient pour subvenir à nos besoins et poursuivre le projet ». En se passant la main sur le crâne, l’artiste admet également n’avoir « jamais donné de dossier écrit » pour ce même « K13 ». Mais leur réel souhait est simple : avoir un lieu. Pour le prochain projet prévu, ils ont déjà « dit à Mr Mirmont (adjoint à la sécurité) qu’on était prêt à payer l’eau, l’électricité et internet ».

En cas d’issue positive, il s’agirait là d’une bonne nouvelle pour tous, car nul doute qu’avec une entente entre la municipalité et ce collectif local, c’est l’image du 13ème qui en sortirait encore grandie. Enfin cette fois-ci, grâce à ses propres talents.

Grégory

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