Entre références classiques et jeu avec la publicité, Nadège Dauvergne compose des images qui nous sont familières. Des Beaux-Arts au street art, interview d’une artiste qui a renoncé à l’art conceptuel.
Salut Nadège, j’ai été attiré par ton travail artistique dans la rue, tu peux te présenter ?
Je m’appelle Nadège Dauvergne, artiste depuis toujours, j’ai fait des études en art graphiques, puis les Beaux-Arts. Je fais du street art depuis 2013 et me consacre uniquement à ma pratique artistique.
Donc tu vis de ton art ?
D’une certaine façon car j’enseigne le dessin et la peinture. Avant j’ai eu d’autres boulots à côté – vendeuse de crêpes, fleuriste – surtout dans des moments de blocage créatif après les Beaux-Arts.
C’est les beaux-arts qui t’ont bloqué ?
Oui c’est assez étonnant, on pourrait croire qu’on y développe notre créativité, mais dans les années 1990 on était en plein dans l’art conceptuel, il n’y avait plus de dessin, plus de peinture, on nous demandait surtout des installations et avant tout d’aborder la question « qu’est-ce que l’art ? ». Mon truc à moi, la peinture, était complètement has been. J’en suis arrivée à me demander « mais pourquoi je veux faire de l’art ? Et si je ne faisais pas tout simplement des images ? ». Ça m’a débloqué, je ne me suis plus pris la tête avec cette histoire de faire de l’art ou pas.
Une spécificité de ton travail est d’avoir intégré des figures issues de la peinture classique dans des affiches publicitaires…Comment tu en es arrivée là ?
À la base je ne voulais pas spécialement travailler dans la rue, mais j’y suis arrivée par la publicité. Je m’amusais à utiliser des fonds de catalogues de mobilier pour y dessiner, au posca, des figures que je trouvais dans les tableaux classiques. C’était très surprenant car quand on cherche on trouve des fonds qui correspondent exactement, au niveau de l’angle etc., ça match complètement.
Intéressant ! Donc on trouverait les mêmes codes visuels et les mêmes matrices inconscientes dans la com contemporaine et dans les tableaux classiques ?
Exactement, les règles de composition sont les mêmes ! Règle des tiers, diagonales, nombre d’or… la publicité visuelle est la fille de la peinture. C’est notre culture de l’image. Que ce soit en partant du fond ou en partant d’une figure peinte, je trouvais toujours de quoi combiner les deux. Et un jour, je tombe sur une pub 4 x 3 mètres, qui vend un canapé…j’ai tout de suite pensé à décliner la formule en grand. Mais c’était dans la rue, ça pouvait être recouvert assez vite, il me fallait une nouvelle technique, plus rapide : le collage. Il m’a fallu reporter la petite figure initiale grâce à un quadrillage. Ensuite c’est assez rapide : fond à la bombe sur papier kraft, les détails au pinceau, le découpage et en 3 heures j’ai ma figure grand format prête à être collée sur un panneau 4 x 3.
Ça a l’air simple quand tu en parles comme ça, mais tu passes quand même dans l’illégalité là, comment s’effectue cette transition ?
Avec l’adrénaline. C’est un truc qui t’aspire. T’es à fond, tête dans le guidon. Au début tu regardes les dimensions, tu te dis « je vais pas réussir », mais une fois que t’es dedans c’est une aspiration. Je me suis vue coller des affiches à 6 mètres, du haut d’une échelle télescopique, à bout de bras. Tu ne réfléchis plus à ce moment-là. Et puis tu descends de l’échelle, tu regardes ton travail, t’y crois à peine, mais la pièce est collée, elle est là. Tu ne trouves pas ce shoot ailleurs.
T’as eu des interactions avec les gens ou la police ?
En général on me laisse tranquille. Une fois on m’a même payé un coup à boire. Mais ça change aussi avec les réseaux sociaux, parfois on me dit quand une œuvre a été volée !
On va parler un peu d’un sujet qui fâche : le street art en galerie. Toi tu es street artiste mais tu exposes également, c’est ça ?
J’expose en effet, à la galerie Lithium et ailleurs, au Cabinet d’amateur par exemple.
Est-ce que ce n’est pas un peu dénaturer le propre du street art que de le vendre en galerie ?
Alors attention, moi ce que j’expose en galerie c’est surtout mes dessins ! Donc ce n’est pas la même chose… le street art dans les galeries ça ne marche pas à mon sens. Avec les œuvres de Miss Tic encadrées à la Urban Art Fair, il y a quelque chose qui ne va pas. Tu perds quelque chose en la mettant chez toi. Il y a quelque chose de démocratique dans l’art de rue (on est pas des anges non plus, on est heureux de montrer notre travail), mais c’est délirant cette notion de propriété qui revient. Moi j’évite le mélange, ce que je mets dans la rue reste dans la rue et ce que je vends en galerie c’est mon travail de dessin. Si je mélange, ce sera probablement en sens inverse d’ailleurs, à l’avenir j’aimerais dessiner sur les murs, ça m’évitera de me faire voler mon travail de collage. Je compte donc dessiner directement sur les murs. C’est plus compliqué, ça prend du temps, mais il restera dans la rue.
Tu travailles toujours avec les images publicitaires ?
Récemment je copiais des fragments de peintures classiques – mains, visage, détail – sur des cartons. Mais en laissant les logos et les cycles préexistant sur les cartons, comme le résidu de la pub de notre époque. J’intègre des éléments de notre époque, comme si on les retrouvait dans le futur, pour se demander ce qui restera de notre civilisation.
Ça me fait penser au titre de ton solo show « tout doit (va) disparaître »
Voilà ! le slogan publicitaire « tout doit disparaître » se superposait à la phrase philosophique « tout va disparaître », c’était pour mon expo au cabinet d’amateur en 2015. Il s’agissait de montrer la fragilité de notre société, avec l’épuisement des ressources, notre équilibre relatif ne tient sur pas grand-chose !
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