Arthur Gascoin, entrepreneur parisien de 33 ans et père de deux enfants, sera au départ de la 11e édition de la Route du Rhum le 4 novembre 2018. Pendant plus de 20 jours, il laissera sa vie parisienne en suspens pour vivre son rêve d’enfant.
Pour ses 40 bougies, la mythique transatlantique en solitaire qui relie Saint-Malo à Pointe-à-Pitre promet d’être grandiose. Avec 122 bateaux au départ divisés en six catégories (Ultime, Multi 50, Imoca, Class40, Rhum Mono et Rhum Multi), la présence des grands favoris que sont Armel le Cléac’h (vainqueur du Vendée Globe 2016-2017), le petit Mozart de la voile François Gabart ou encore Thomas Coville, et plus de 200 000 spectateurs le jour du départ, l’émotion sera à coup sûr de la partie. « Ce qui est beau c’est que les amateurs et les professionnels seront tous sur la même ligne de départ » s’émerveille Arthur. Du budget dépassant les 10 millions d’euros à celui n’excédant pas les 250 000, du trimaran de 32m de long au class40 de 12m19, tous traverseront le même océan, mais aucun ne vivra la même histoire.
Un pied marin, l’autre sur terre
La sienne a déjà ses premières pages noircies. De novembre 2017 à août 2018, il n’a cessé de switcher entre le costume du chef d’entreprise (En 1 Clic) à celui enfilé pour démarcher ses partenaires, en passant évidemment par la veste de quart/salopette du skipper et le lange/biberon du père aimant. Il s’est même à l’occasion munie d’une combinaison de survie afin d’apprendre les rudiments sécuritaires nécessaires à pareille épopée. On rembobine la cassette. Avril 2017, stop. Toujours dans un coin de ses veines, l’appel de l’aventure marine devient peu à peu omniprésente pour Arthur : « j’y pensait depuis longtemps, mais à force j’avais peur que cela ne reste qu’un rêve. Si tu ne déclenche pas les choses dans la vie, rien ne vient à toi. » Durant le printemps 2017, il envisage d’abord de se lancer à l’assaut de la transat Jacques-Vabres (course transatlantique en double qui part du Havre pour arriver à Salvador de Bahia, Brésil), mais le temps lui manque puisque celle-ci débute le 5 novembre 2017. Tant pis, son projet est en marche : « cela a eu le mérite d’étaler au grand jour mon envie d’y aller ». Deux jours plus tard, le dimanche 7, il expose son initiative appelée « UP Sail & Connect » devant une cinquantaine d’invités conviés dans la cantine de la pépinière 27 (incubateur du 11e arrondissement parisien). Celle-ci doit regrouper un club de partenaires complémentaires (start-up, PME et grands groupes dont les apports seront financiers ou en nature) qui lui permettront de vivre son rêve le 4 novembre prochain. Qui dit club, dit rencontres et networking bien sûr. Mais pas seulement ! Ce soir-là, Arthur leur présente un projet de traversée en solitaire motivé par un sentiment très personnel, mais qui ne sera possible qu’avec le soutien du plus grand nombre. Il porte des valeurs, un projet financier et s’en va chercher des moyens et de l’envie. Même quand il prépare une transatlantique, son côté entrepreneur n’est jamais bien loin : « je voulais monter quelque chose qui ait une vraie réalité financière. »
Courant février, il déniche sa monture (un Class40 floqué du numéro 91, dessiné par Jacques Valer), et son coach Patrice Bougard qui a participé aux deux précédentes éditions de la Route du Rhum (2014, 2010). Les entraînements peuvent alors commencer ! Il alterne sans relâche le bureau et les sorties en bateau. « Ce n’est pas toujours simple de trouver le bon équilibre entre famille/bureau/bateau. Quand je ne suis pas au bureau je ne me paie pas, donc c’est un stress supplémentaire, et puis forcément tout le temps passé sur le bateau ne l’est pas avec ma famille. » développe-t-il.
Se jeter à l’eau pour réussir
En Mai, il participe à sa première course de la saison « l’Armen Race Uship ». Parti avec quatre équipiers, il prend finalement la difficile décision d’abandonner à mi-parcours pour ne pas compromettre ses chances pour le Rhum : « Les problèmes que l’on a rencontrés (usure des voiles, un réglage du mât pas idéal, des batteries à plats et une météo défavorable) auraient pu être contournés, mais avec la mer on ne sait jamais donc on a préféré ne pas forcer, de peur d’abîmer le bateau ! Et puis l’objectif principal reste le Rhum en novembre prochain. » Amer de cette contre-performance, Arthur positive : « j’ai pu réaliser la majorité des manœuvres et me rendre compte que je maîtrise bien le bateau », et se promet une revanche : « Si j’en ai l’occasion je la referais ! » « Il n’y a pas de moment idéal, le tout c’est de se lancer et d’y croire. » Ces quelques mots sortis de sa bouche à de multiples reprises traduisent relativement bien le personnage : lucide et téméraire. Pour lui, la vie c’est comme quand il a décidé de quitter une carrière toute tracée pour monter sa société en 2012, ou encore lorsqu’il a décidé de fonder sa famille quelques années plus tard, il faut se jeter à l’eau pour réussir. Qui ne tente rien n’a rien comme dit l’autre.
A peine le temps de cogiter que le voilà deux mois plus tard face à son premier grand test : la Drheam Cup – Destination Cotentin (course qualificative pour le rhum). Six jours en solitaire éprouvants physiquement – il ne peut dormir que par tranche de 20 minutes maximum – et forcément psychologiquement : « La Drheam c’était hyper marquant pour moi puisqu’il s’agissait de ma première régate en solo. » Il ajoute amusé : « comme je suis amateur, à mon arrivée personne ne m’attendait sur le ponton. C’était étrange. » Une fois le pied sur terre et l’émotion évacuée, il lâche sans sourciller qu’il se sent « prêt pour le Rhum », ce qu’il considère comme son « véritable et seul objectif ». La solitude durant plus de 20 jours ne l’effraie pas plus que ça : « vivre en communauté c’est une affaire de compromis. Chacun à son rythme. Là le compromis tu le fais avec ton bateau. »
Une dernière ligne droite en forme de boucle temporelle
Tant mieux, à deux mois du grand saut le top chrono est lancé. Le club UP est maintenant bien étoffé (Affinis, Airplus, Bio c’Bon, Capgemini, Corsair, DagoBear, En 1 Clic, Geo PLC, Gyro Productions, Ker-Meur, Marco-Polo, Ritme, SNCF, les Supélec, Ullman Sails) et accompagné des contributeurs (Volvic, Izipizi, Bagart, …). Une large communauté le suit attentivement, d’ailleurs petite anecdote représentative de ce lien fusionnel : des portraits photos de ses suiveurs et partenaires orneront l’intérieur de son bateau pendant la course. Un moyen non dissimulé de s’accorder une respiration quand la pression sera trop forte. Côté pratique, le bateau est proche de sa configuration optimale et Arthur rentre petit à petit dans le couloir qui le mènera à son nirvana. Mais comme son coach Patrice le souligne : « aujourd’hui c’est son idéal, mais il n’a que 33 ans il aura plein d’autres projets ! ». Ce rhum pourrait davantage lui ouvrir l’appétit : « Le fait de l’avoir fait, je me dirais que rien n’est impossible dans le futur. »
A croire que l’histoire est un incessant recommencement.
Voilà 55 ans et bientôt quatre générations que sa famille possède un bateau nommé Timia qui arpente les mers du monde sur sa belle coque vernie. C’est à son bord que Jérôme Boyer, son oncle, décide à 18 ans de traverser l’Atlantique avant de faire de cette passion son métier. Perdue entre un futur rempli de possibilité, un passé riche en tradition et un présent palpitant, cette course en solitaire vient décidément de loin.
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