L’écologie urbaine est encore balbutiante mais se développe. La nécessité d’agir pousse certaines villes à penser autrement. Henri Landes, directeur général de la fondation « GoodPlanet » créée par Yann Arthus Bertrand, nous parle de sa vision de ce concept encore parfois galvaudé.
Noise la Ville : Quelle est votre définition de l’écologie urbaine ?
Henri Landes : Je définirais l’écologie urbaine comme la prise en compte de la nature, dans des zones qui ont subi une baisse de naturalité. Il s’agit de regarder de manière transversale et holistique comment remettre de la naturalité en ville.
N.V : Géographiquement, quand peut-on parler d’écologie « urbaine » ?
H.L : Malheureusement je crois que l’on parle beaucoup d’écologie urbaine quand on voit une zone qui est très bétonnée ou à faible naturalité. On commence alors à refaire des actions pour reconquérir de la biodiversité ou recréer de la biodiversité et réfléchir plus intelligemment à notre approvisionnement, à notre consommation énergétique. Hors, ce qui serait intéressant ce serait de parler de moins en moins d’écologie « urbaine ». Je pense qu’il ne faut pas se fixer comme objectif l’urbanisation. Il faut plutôt percevoir toutes les opportunités de préserver de la naturalité et de savoir construire des logements et des zones d’activités vraiment en harmonie avec la nature. Donc de manière très différente par rapport à avant.
N.V : En 2050, 65 à 70% de la population mondiale sera urbaine. Nous serons alors pratiquement 10 milliards d’habitants sur Terre. L’écologie urbaine va t-elle ainsi devenir LE sujet majeur écologique dans les prochaines années ?
H.L : J’espère que nous allons plutôt nous poser la question de comment préserver et moderniser les zones rurales, dans une ère de technologie et de prise de conscience, qui nous permet de nous déplacer un petit peu moins. Quand on parle de la population urbaine qui va augmenter, on parle beaucoup des pays en voie de développement. Il est important de se dire que ces pays n’ont pas de leçons à prendre des pays développés. On devrait plutôt essayer de maintenir un équilibre et ne pas opposer rural et urbain. Je trouve d’ailleurs que cette opposition devrait être un jour obsolète. En 2050, les villes ne ressembleront plus du tout à celles d’aujourd’hui. On voit par exemple en Chine des villes forestières qui se construisent. Il y aussi plus de mouvement des villes comme Paris, ou en Europe, afin de recréer des espaces verts et reconquérir une biodiversité qui est en déclin permanent. Les rapports qui sortent sur les oiseaux, sur les insectes, sont de plus en plus regardés. Nous entrons dans une ère où nous allons parler de plus en plus d’adaptation aux changements climatiques. Il faudra donc beaucoup plus de capacité d’adaptation aux inondations, aux chaleurs extrêmes. Ce qui veut dire beaucoup plus de végétations et d’espaces naturels. Demain, l’écologie urbaine aura donc un sens très différent.
N.V : L’écologie urbaine passe par des politiques, des actions faites par l’Homme. Ainsi, est-il possible de recréer une nature, un écosystème réel en ville, alors qu’une partie de la nature est par essence, incontrôlable. N’y a t-il pas là une limite ?
H.L : Oui il y en a une, mais il faut simplement comprendre quelles sont les interactions possibles avec la nature. Que le terme d’écologie urbaine, qui n’est pas très joli, ne soit plus un oxymore. Nous aurons réussi lorsque les Hommes auront compris que même en zone urbaine, ils ne peuvent pas vivre sans une interaction plus riche et plus conséquente avec la nature. Les limites de la naturalité en ville seront repoussées à partir du moment où on appréciera et embrassera cette nature plus sincèrement. Il est illogique de penser que l’humain est séparé de la nature. De nombreux peuples autochtones n’ont pas le terme de « nature » dans leur vocabulaire. Il faut se rappeler que la nature est formidable dans ses innovations, dans son intelligence et dans sa capacité de résilience. Si on observe, comprend et laisse vivre la nature, elle peut faire des choses incroyables pour la création d’espaces de vie, d’apports de nourriture, de services de dépollution. Xavier Mathias a par exemple utilisé le terme de « 8ème continent de béton » sous nos pieds, en référence au 7ème continent de plastique dans la mer. En dessous de tout ce que nous construisons, il y a encore de la terre et de la nature. Sa biodiversité est très riche. Il faut donc se rappeler que sous nos pieds, il y a une vie qu’il faut laisser vivre car elle nous permet de respirer, de nous nourrir. Il ne faut pas penser que la terre est sale, au contraire. Si on est objectif, l’urbanisation est une pollution vis à vis de la terre, c’est ça qui est sale.
N.V : Vous avez en partie grandi et étudié à San Francisco. La ville pourrait devenir la première à atteindre le « zéro déchet » en 2020 et souhaite atteindre les 100% d’énergie renouvelable d’ici 2030. Est-ce actuellement la ville développée à prendre en exemple ?
H.L : Elle est l’une des villes à prendre en exemple, oui. Il y a des endroits à San Francisco où on essaye de consommer de la nourriture qui est extrêmement locale. Grâce à des systèmes de circuits alimentaires de proximité. La compréhension de comment stimuler l’économie locale en créant des zones, des lieux de vie autour de la nourriture, est un principe très intéressant. Il s’agit de recréer de la vie autour de la culture de la nourriture, et que la nourriture qui n’est pas consommée retourne à la terre. Des « zones maraichères » qui pourraient être petit à petit, en développement, si on veut imaginer plus d’harmonie entre les humains et la nature. De plus, je pense que s’engager dans le « zéro déchet » est une façon assez intéressante de se lancer, car le tri embête beaucoup de gens. Si on imagine ne plus avoir de déchets, je crois qu’on s’émancipe d’une corvée qu’on s’est créée : gérer ses déchets. Imaginer autant : l’éco-conception dans les produits, que des produits sans emballages et faire ses course sans avoir de produits emballés… Dans les cinq ans à venir, je pense que la plupart des citoyens voteraient pour. De même que de consommer des produits alimentaires qui ne sont pas pollués ou néfastes pour la santé publique.
N.V : Mais faire ses courses avec ses propres bocaux, Tupperwares ou même jardiner en ville, implique une forme de responsabilisation qui pourrait être vue comme une contrainte par certains ?
H.L : Oui. Il faut prendre un peu plus de temps pour vivre de manière plus respectueuse de la nature. Cette contrainte sera surtout de temps, et moins à propos de disponibilités financières. Les solutions pour moins dépenser : dans sa consommation alimentaire, matérielle, énergétique sont là. Ce n’est pas plus cher de vivre de manière plus écologique. À part dans certains cas où on se reconvertit vers le bio ou des produits plus haut de gamme dans le textile, sans rechercher les vrais solutions cohérentes. Réparer au lieu de racheter par exemple. Cela n’est donc pas une contrainte financière. Cela prend simplement un peu plus de temps. Une fois que l’on a compris comment il faut faire, ce n’est pas nécessairement plus long. Il faut simplement prendre un peu plus de temps pour réfléchir et chercher les quelques solutions qui sont de l’ordre du bon sens.
N.V : Y a t-il d’autres villes qui agissent concrètement avec des résultats tangibles ?
H.L : Vancouver est aussi une ville intéressante, pour tout ce qu’elle fait sur les quartiers, sur la lutte contre le gaspillage alimentaire, sur les énergies renouvelables et aussi au local. La ville bénéficie de beaucoup d’énergie renouvelable mais aussi hydraulique.
Des zones périurbaines en Amérique latine sont aussi à prendre en exemple. Également Copenhague et Amsterdam sur le sujet de la mobilité, ou Totnes, la ville de Rob Hopkins, le fondateur du mouvement « Transition ». Il relocalise la consommation alimentaire, énergétique et même le système monétaire avec une monnaie locale et complémentaire à la livre sterling. Il y a un certain nombre d’exemples assez intéressants. Ce qui est important donc, c’est de passer de ce stade qui est encore marginal à une communication, une imprégnation du grand public pour que cela soit la norme dans dix ans. Je pense que pour cela nous sommes sur la bonne voie.
N.V : Paris de son côté, vise à travers les 500 mesures de son plan climat, à devenir une ville neutre en carbone et alimentée à 100% par énergie renouvelable à l’horizon 2050. Ces mesures vous paraissent-elles possibles et suffisantes ? La ville va t-elle actuellement dans le bon sens ?
H.L : Oui c’est possible. Non seulement c’est possible mais c’est aussi nécessaire vis à vis du réchauffement climatique. À cette date, l’ensemble de la population mondiale devra vivre de manière sobre en carbone et donc être proche du 100% renouvelable. L’engagement de la ville de Paris sur cette voie est donc un bon choix. Nous sommes encore au début des innovations de la décentralisation énergétique, de l’efficacité énergétique et de la compréhension du grand public de la possibilité de consommer moins. Nous sommes vraiment au début. Une révolution énergétique va se lancer. 2050 c’est demain, mais cela nous laisse tout de même quelques décennies pour changer.
N.V : Plus généralement, l’écologie semble encore être, dans les actes, perçue comme secondaire. Comment expliquer cela alors que le sujet a été au centre des débats politiques récents et que tout le monde à conscience de la nécessité d’agir ?
H.L : Les responsables politiques prennent des décisions qui révèlent des impératifs de création, de maintien d’emplois et du chiffre d’affaire. On leur explique qu’il est primordial de maintenir une activité d’une certaine manière. De ne pas créer de nouvelles contraintes ou prises en compte. Ils comprennent tous que le changement écologique est nécessaire. Mais cela sous-entend de réorienter les investissements et d’en créer de nouveaux. Cela veut aussi dire accepter une évolution des règlementations, des textes de loi. Ces changements ne sont pas faciles, cela prend du temps. Ils sous- entendent aussi que des personnes qui travaillent dans certaines entreprises soient accompagnées. Sans cela, il serait difficile pour elles de retrouver du travail. Il y a donc un enjeu social très important. Les citoyens, eux, sont face à des réalités quotidiennes : se déplacer, faire les courses, joindre les deux bouts… ce n’est pas simple. Leur demander de prendre un peu plus de temps pour reconnecter leur mode de vie à la nature n’est donc pas une proposition facile. Ils vont dire que quand ce sera plus simple de consommer de façon écologique alors « bien sûr, on le fera ». Il y a de nombreuses belles initiatives qui émergent et qui vont prendre de plus en plus d’ampleur. Quand les responsables des grandes entreprises verront que ce changement est possible, je pense qu’il y aura alors un basculement. Si on décidait plus vite en haut comme en bas, qu’on y va et de manière très ambitieuse, alors on pourrait le faire plus rapidement. Cela sous-entend qu’il y ait un changement de la perception de la richesse et de ses indicateurs. Il serait intéressant de redéfinir ce qu’est une bonne qualité de vie et de faire de la reconnexion avec la nature une priorité. LA priorité. Il faut réaliser que l’écologie ce n’est plus du long terme, l’écologie c’est du court terme.
N.V : Henri Landes, vous êtes donc entre autres : co-auteur du livre « le déni climatique », maitre de conférence à Sciences Po sur les questions de développement durable, fondateur du think tank « CliMates » et directeur général de la fondation « GoodPlanet ». Cette multi-casquette montre-t-elle qu’il n’y a toujours pas assez de personnes qui s’engagent dans les questions écologiques ?
H.L : Aujourd’hui je n’ai que deux vraies principales activités : enseigner à Science Po et diriger de la fondation « GoodPlanet ». Il est vrai que plus on s’engage, plus on crée avec d’autres, plus il y a d’opportunités. Cela m’aide dans mon travail mais il faut alors savoir priorisé son action. C’est sûr qu’il n’y a toujours pas assez de gens engagés. C’est d’ailleurs pour cela que j’adore travailler pour «GoodPlanet». Afin de sensibiliser, éduquer les plus jeunes ou accompagner les entreprises. Mais ce n’est pas pour cela que j’ai plusieurs casquettes. C’est simplement par ce que j’aime ce que je fais. Je dis souvent à mes étudiants que l’on est beaucoup plus heureux si on s’engage et que l’on apprend plein de choses. On réalise alors que l’on n’a pas le choix ! Il n’y a pas besoin d’être catastrophiste. Il faut seulement réaliser que l’on n’a pas le choix, mais surtout que : c’est possible.