L’été 2018 connait des pics records de chaleur et de pollution à travers le monde. Si rien ne change, ces températures pourraient devenir la norme et même être considérées un jour comme douces. Mais alors, à quoi pourrait ressembler un été à Paris en 2074 ?
Paris, le 25 Juin 2074.
René, 21 ans, doit se rendre chez son grand-père Quentin pour lui tenir compagnie en ce jour de ses 79 ans. Il lui faut traverser les quelques rues qui séparent Nation d’Oberkampf. Mais d’abord, se réveiller. René allume méthodiquement la télé :
« Les records de températures sont tous battus, et pour la première fois depuis des milliers d’années, la température dépasse les 50°C dans la capitale. Le ministre aux canicules, à la désertification et à l’eau vient d’annoncer la mise en place du plan « sueur froide » pour lutter contre les décès liés à cette vague de chaleur inédite en France ».
Lassé d’entendre en boucle ces informations, René coupe la télé, et monte un peu plus la clim’ qu’il a toujours connu. « Hmm , encore un petit frisson d’air à 19°C avant d’affronter la canicule » pense-t-il. « Heureusement que ce sera une affaire de 15 minutes ! »
Les portes de l‘immeuble s’ouvrent sur la chaleur suffocante de la rue. René n’y était plus habitué. Le bitume fond au soleil, dégageant une étrange odeur de plastique brûlé. Dehors, pas un chat. Tous les commerçants sont fermés. Toutes les familles aisées sont allées passer des vacances en Norvège, où, parait-il, l’été y est bien plus supportable qu’ici. Les déchets s’entassent depuis la grève des éboueurs de la semaine dernière. L’air chaud lui brûle les jambes, et assèche sa bouche.
Enfin ! L’immeuble de son grand-père et son isolation végétale parfaite. Quel bon goût avait eu ces ingénieurs qui s’étaient inspirés des termitières africaines !
Quentin l’attend sur le seuil de l’appartement, le regard toujours vif malgré son âge avancé. Un petit sourire inhabituel illumine le visage du vieillard. René sait que les extrêmes climatiques fascinent toujours son grand-père. Il faut dire qu’il en a vu des records climatiques battus au cours de sa vie! Et sa carrière de climatologue lui fait voir les choses avec beaucoup de recul. Un recul que René aime beaucoup retrouver dans les narrations de son grand-père. Quand il était jeune, René lui posait plein de questions, sur le temps qu’il faisait, avant, en France.
« La dernière neige à Paris a eu lieu en 2025. Cela a surpris tout le monde car il n’y en avait pas eu depuis 2012 ! Par contre, dans les années 1990 et même avant, il neigeait tous les hivers à Paris. Des amis de mes parents m’ont même confié qu’ils avaient connu des températures de -15°C. Cela, je ne l’ai pas connu, car quand je suis né, le réchauffement climatique avait déjà commencé. Un petit demi-degré à l’échelle du globe, pour la France, c’était tout bénéf’ ! Mais dans les années 2030, quand on est passé au-dessus de 1,5°C, on avait déjà perdu l’espoir de retrouver de la neige à Paris, et de faire du ski en France. La neige donnait un caractère magique à la capitale, et tout le monde se mettait à faire des batailles de boule de neige. »
René écoutait toujours avec attention cet historien du climat, qui parlait avec calme et sérénité du grand dérèglement qui bouleversait depuis des décennies l’avenir de la planète. Il écouta son âme qui s’emplissait d’une grande tristesse à l’évocation de ce monde disparu. Mais comme il était aussi curieux de comprendre cet étrange monde auquel son grand-père avait appartenu, il le pressa de continuer.
« Aucun appartement n’avait la clim’, ils n’avaient pas été conçus pour de telles chaleurs. Et impossible de faire pousser toutes ces mangues et ces avocats dans le Sud. Mais bon, dans l’ensemble, on n’a pas trop souffert ici. Certes la Gironde est peu à peu stérilisée par la montée des eaux, les plages corses ont disparues à jamais, la Seine déborde régulièrement…, certes, les vagues de chaleur tuent chaque année plusieurs milliers de personnes, la sécheresse a poussé les habitants du Sud-Est à déménager vers le Nord…, mais c’est bien peu, comparé à d’autres pays. Au Sud, tout est pire. Juste à côté, l’Espagne est entrée en guerre civile suite aux « grandes arides » (le milieu des années 50, ndlr). Les pays du Maghreb et du Moyen-Orient ont été ravagés par une famine historique, tandis que les Pays-Bas ont déjà abandonné un tiers de leurs terres aux océans. »
Plus encore que le climat, René voulait tout savoir des modes de vies de l’époque.
« De mon temps, il n’y avait pas de quotas de viande, on en mangeait même deux fois par jour ! Ah les irresponsables que nous étions. Mais nous ne savions pas. McDonald commercialisait de burgers, et pas des micro-pousses, et les jeunes aimaient McDonald. Paris est quand même devenu plus agréable maintenant, avec tous ces jardins partagés, ces laveries collectives, et surtout ses bords de Seine complètement sauvages. Et surtout, tout va mieux depuis que les gens travaillent moins. Avec 40h par semaine dans les années 20, tout le monde souffrait beaucoup de maladies mentales. Cela doit te paraitre invraisemblable que l’on travaillait autant non ? Toi, tu es né en ville, tu ne connais que la semaine de 15h. Comment organisions-nous les délibérations citoyennes de quartier, me demanderas-tu ? Eh bien, il n’y en avait pas. On n’avait pas le temps. »
René voyait bien que son grand-père tentait de lui faire voir le beau côté des choses, mais il était nostalgique, de ce passé qu’il n’avait pas connu, avant le « grand réchauffement » (période que les historiens et climatologues datent approximativement de 2010 à 2050). Puis la nostalgie fit place à de la colère. Comment son grand-père, éminent climatologue, n’avait-il pas réussi à imposer à temps des mesures contre le changement climatique ? Comment toute une génération, née à la fin du 20e siècle, avait-elle pu laisser faire ça ?
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