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La partie immergée de l’oeuvre de Le Corbusier

Dans le port d’Austerlitz à Paris, la péniche « Louise-Catherine » est en partie sous l’eau depuis près de 6 mois maintenant. Différents acteurs se mettent en place pour sauver ce monument historique pensé par le célèbre architecte Le Corbusier, il y a près de quatre-vingt dix ans.

La Louise-Catherine et son mat noir vus depuis les quais de Seine

Depuis le trottoir qui borde la Seine, il est quasiment impossible de la voir. Son niveau est inférieur à celui des quais et sa couleur se confond avec celle des pavés. La Louise-Catherine est pourtant bien là, amarrée en 5 points à quelques mètres du viaduc d’Austerlitz. Seul son mat central noir et rouillé se dresse encore pour attirer notre œil. Il faut donc connaître son existence ou s’approcher et pencher la tête, pour comprendre ce qui nous fait face. Un bâtiment long de 70 mètres, large de 8 mètres et fait de 800 tonnes de béton apparaît alors, dans un état de délabrement avancé, de l’eau jusqu’à ses fenêtres rectangulaires brisées. C’est le 10 février dernier que la péniche a coulé, en 20 minutes seulement. « La voir couler, c’était violent » se rappelle Alice Kertékian, propriétaire du bateau. En cause, une fissure à l’arrière de la coque, provoquée par un choc avec une pièce métallique lors d’une manœuvre effectuée sur la péniche, suite à un problème pendant la décrue de la Seine.

État actuel de la péniche depuis les quais de Seine

Face à ce géant endormi, on peine à sentir l’importance du lieu. Une simple feuille blanche scotchée à côté du mat indique « SAUVONS LOUISE-CATHERINE. POUR LE RETOUR DE LA PÉNICHE. LES AMIS D’AIX LA CHAPELLE ». Certains passants s’arrêtent, regardent, lisent et cherchent à comprendre, mais leur intérêt repart aussitôt avec eux. D’autres ne prêtent aucune attention à la péniche, comme cette touriste, affublée d’un sac « I Love Paris ». Elle préfère prendre la Seine et le Viaduc en photo. Lorsqu’on lui demande si elle connaît l’histoire de ce bateau, elle répond spontanément non et poursuit son chemin. Elle s’en ira donc sans savoir la riche histoire de la Louise-Catherine, unique bâtiment flottant classé monument historique à Paris.

Retour aux sources

La péniche, qui fêtera ses 100 ans l’an prochain, est construite en 1919. À l’origine, le bateau nommé « Liège » est un chaland. Un bateau à fond plat, conçu pour le transport de marchandises par les rivières, les fleuves. Pendant quelques années, le « Liège » ravitaille Paris en charbon par la Seine, avant d’être laissé à l’abandon dans le port de Rouen. En 1929, le bateau est racheté par l’Armée du Salut, qui souhaite le transformer en asile flottant. Deux femmes, mécènes pour la fondation, jouent un rôle majeur dans ce projet, et dans le destin si particulier de l’ancien chaland. La première s’appelle Madeleine Zillhardt, femme de lettres et artiste, formée à la célèbre académie de Julian à Paris. En 1928, elle offre 1 500 francs pour l’achat d’une péniche afin de la transformer en abri pour ceux qui n’ont rien. Sa seule demande porte sur le nom du bateau. Elle souhaite l’appeler « Louise-Catherine » en hommage à l’amour de sa vie, l’artiste Louise-Catherine Breslau, rencontrée 40 ans plus tôt sur les bancs de l’académie de Julian. La célèbre portraitiste suisse-allemande, aujourd’hui exposée au Louvre, au musée d’Orsay ou encore au musée d’art moderne de Strasbourg vient en effet de s’éteindre à l’âge de 70 ans, le 12 mai 1927. La seconde se nomme Winnaretta Singer, princesse de Polignac. Proche du couple d’artistes, c’est elle qui impose le nom de Le Corbusier afin de penser entièrement l’aménagement de la péniche. Un choix logique puisque l’architecte travaille déjà pour l’Armée du Salut à pareille époque. En effet, entre 1929 et 1933, il dirige le projet de l’immeuble de « la Cité de Refuge ». Perle architecturale emblématique de la fondation, située dans le 13ème arrondissement de Paris, et toujours en activité après quatre années de travaux entre 2012 et 2016.

Une œuvre méconnue mais importante de Le Corbusier

Malgré un temps de réflexion court pour conceptualiser le lieu, seulement quelques mois, la Louise-Catherine est un terrain de jeu formidable pour l’artiste. Il réussit à créer l’espace nécessaire pour 160 lits et casiers répartis dans 3 dortoirs, 2 appartements, des cuisines, une salle à manger et un jardin suspendu à l’extérieur. La Louise-Catherine prend fonction officiellement le 1er janvier 1930. Elle accueillera des milliers de sans-abris jusqu’en 1994, date à laquelle elle est fermée par la préfecture de Paris pour des raisons de sécurité. Même si il s’agit de l’unique œuvre flottante jamais créée par Le Corbusier, celle-ci reste peu connue. Pourtant, son importance est majeure dans le développement d’un Le Corbusier encore méconnu du très grand public à l’époque. « L’aménagement de l‘asile flottant synthétise ses vingt premières années » de travail, explique Michel Cantal-Dupart, éminent architecte-urbaniste, tombé amoureux de la péniche plusieurs décennies auparavant et président de l’association « Louise-Catherine ».

Salle à manger de l’asile flottant et système « Dom-Ion » avec pilotis porteurs

Le lieu lui permet « d’expérimenter un certain nombre de théories qu’il déclinera par la suite ». Comme la détermination de la structure et de la taille idéale des unités d’habitation. Une notion architecturale connue sous le nom du « Modulor », formellement théorisée par l’architecte en 1945. Celle-ci servira par exemple de base pour la création de la « Cité Radieuse » à Marseille (1947/1952). Il y travaille également son principe de « Dom-Ino » qui permet aux murs, grâce ici à 36 poteaux centraux, de ne plus être porteurs et ainsi obtenir une plus grande liberté de création des espaces et des formes.

Une troisième vie pour l’éternelle Louise-Catherine

En 2006, le bâtiment est racheté par des particuliers et l’association « Louise-Catherine » est créée. Ensemble, ils veulent redonner vie à la péniche malgré un coût de réhabilitation conséquent, environ 1,2 million d’euros. Leur souhait : transformer la péniche en musée. Un lieu d’expositions permanentes et temporaires autour de l’architecture. Mais avant de penser à nouveau à cette étape, il faut donc pour le moment renflouer le bateau, suite à la voie d’eau survenue le 10 février dernier. Une fois la Louise-Catherine revenue à niveau et vidée de son eau, le cours de sa réhabilitation pourra reprendre. Grâce à la sollicitation de l’architecte japonais Shuhei Endo – qui avait été choisi en 2009 pour travailler sur le projet de musée autour de l’ancien asile flottant – une entreprise nippone, pays passionné par les travaux de l’artiste, a prévu d’offrir deux plateformes d’accessibilité. Une autre, spécialisée dans le béton, veut aussi aider à restaurer la péniche.

Projet originel de Shuhei Endo et son procédé caractéristique de tôle ondulée

Le temps devient court, car la première exposition est censée prendre place à l’automne prochain, avec les travaux de jeunes architectes japonais inspirés du travail de Le Corbusier. Depuis le 20 avril dernier, le toit et la partie haute du bateau sont donc devenus visibles avec la baisse des eaux de la Seine. Espérons que les dégâts sur la coque soient légers, afin de pouvoir donner bientôt une nouvelle jeunesse à cette vieille dame oubliée, et lui offrir enfin la place qu’elle mérite.

Biographie

Charles-Édouard Jeanneret-Gris, plus connu sous le nom de Le Corbusier est un architecte suisse naturalisé français, né le 6 octobre 1887 à La Chaux-de-Fonds. Il choisi ce pseudonyme au moment de la création de « L’esprit nouveau » en 1920. Une revue consacrée à l’esthétisme contemporain dans toutes ses manifestations. Architecte-urbaniste reconnu mondialement, il marque de son empreinte le XXème siècle, avec de nombreuses créations visibles à travers le monde. Ses inspirations architecturales, qui allient esthétisme et fonctionnalité, proviennent de ses nombreux voyages pendant sa jeunesse. Représentant important du mouvement moderne, il introduit les idées de « fonctionnalisme » « purisme » et le lien entre nature et architecture. Il théorise également de nombreux principes comme le « Modulor » ou le « Dom-Ino ». Selon lui, l’architecture moderne se définit en 5 points : les pilotis, la fenêtre-bandeau, le plan libre, la façade libre et le toit-terrasse. Il décède le 27 août 1965 à l’âge de 77 ans, dans la commune de Roquebrune-Cap-Martin dans le Sud-Est de la France.

Grégory

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