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Pantin | Que reste-t-il des Courtillières ?

Avec la Capsulerie, la Cité des 4000 ou encore celle des Francs-Moisins, les Courtillières font partie de ces lieux-dits de proche banlieue que les parisiens ne connaissent pas pour les bonnes raisons. En route pour une balade dans le quartier le plus emblématique, et aussi le plus enclavé, de la ville de Pantin : direction nord-est, quelque part après le périph’ et le long de la nationale 2 …

Moussa1 et Noé, 9 ans, sont nés à Drancy et vivent à Bobigny, tout près des Courtillières, à environ dix minutes à pied. Depuis quelques mois déjà, les deux copains viennent jouer par ici de plus en plus souvent ; ils profitent des nouveaux équipements qui poussent les uns après les autres dans cet espace en pleine restructuration.

« Avant, on venait pas. On savait même pas qu’il y avait un parc dans l’coin ».

A la fin du mois de juin dernier, l’inauguration du parc des Courtillières est venue parachever plus de dix ans de travaux de réhabilitation menés par l’ANRU2. Situé en plein cœur du quartier, cet espace vert sur lequel chacun a vue depuis son appartement, est un lieu de passage obligatoire. Quelques bâtiments ont d’ailleurs été détruits au préalable pour le rendre plus accessible, plus visible de l’extérieur aussi. Mais contrairement à d’autres projets, des destructions, il n’y en a pas eu tant que ça. A vrai dire, il a surtout été question de revaloriser l’existant. Quant au parc, c’était la toute dernière étape. L’endroit clé pour redorer l’image du quartier. Et une remise à neuf, ça se fête.

Dans une ville qui se gentrifie à toute allure, le quartier des Courtillières demeure pourtant isolé. Situé à Pantin, quelque part entre Bobigny, la Courneuve et Aubervilliers, il est à la fois proche et très éloigné de chacune de ces communes. Loin des commodités, loin du Grand Paris. Et surtout, il subit encore une réputation difficile : celle du ghetto, des trafics, et autres rodéos de voitures. A croire que le lifting offert par les autorités ne suffira pas à le débarrasser de cette image qui lui colle à la peau. Portrait d’un quartier aux habitants remplis d’espoir, mais aussi d’un brin d’amertume.

Un quartier tombé du ciel

Emile n’habite pas les Courtillières mais traverse le quartier régulièrement depuis plus d’une quinzaine d’année. Ce jeune retraité vient s’occuper de la petite parcelle de jardin qu’il loue juste à côté. Il y fait pousser des légumes. En général, il vient en vélo, car depuis le centre-ville de Pantin, c’est très mal desservi en transports en commun.

Le quartier a beaucoup changé, il a récemment été rénové. Mais selon lui, il y a toujours autant de problèmes qu’avant. « On voit encore des voitures brulées de temps en temps ». Il dirait même que ça empire.

Dans le jardin partagé, il regrette le temps où l’entraide était de mise. « Aujourd’hui, c’est assez mal entretenu, les gens ne font plus trop d’efforts. Et avec tout ce qui nous attend, 2024 et compagnie, je ne suis pas sûr qu’on puisse continuer à jardiner ici »

En 1954, suite à l’appel de l’Abbé Pierre et à la mobilisation de l’opinion publique qui le suit, le gouvernement décide de prendre des mesures d’urgence pour endiguer la crise du logement. Dans ce contexte, les 57 hectares de libres qui forment « Les Courtillières » se destinent à accueillir plus de 1500 logements3. Il s’agissait alors d’une zone militaire déclassée, couverte de terres agricoles et de jardins ouvriers, dont une toute petite partie est restée. Pensé par Emile Aillaud, le quartier des Courtillières sera l’un des premiers grands ensembles d’habitation construit en région parisienne.

A l’époque, il faut construire vite, et pas cher. Mais cela n’empêche pas l’architecte de voir les choses en grand et de faire preuve d’inventivité. Il imagine alors un monument central, le serpentin de béton, qui s’étendrait sur plus d’un kilomètre de long, ceinturant un grand parc paysager. Autour, il positionne plusieurs hautes tours en étoile.

Egalement à l’origine de la Cité de l’Abreuvoir, un grand ensemble tout en courbes et en couleurs de Bobigny, et plus tard des célèbres « Tours Nuages » de Nanterre, Emile Aillaud peaufine son style aux Courtillières en proposant une véritable réinterprétation de la très en vogue « cité-jardin ». Il applique ce concept au logement social collectif, et n’hésite pas à en casser les codes, rompant par exemple avec la monotonie des façades, grâce à l’usage de mosaïques et de couleurs pastels : majoritairement bleu ciel à l’extérieur du serpentin, et rose à l’intérieur.

Véritable ville dans la ville, le quartier des Courtillières est rapidement doté d’établissements scolaires et d’équipements publics : crèches, écoles, collège, bibliothèque, maison de quartier, centre de soins… tous sont construits quasiment au même moment que les immeubles d’habitation.

L’œuvre, aujourd’hui reconnue comme faisant partie du patrimoine architectural du XXème siècle, est très bien reçue par la presse, qui parle alors de « Manhattan à Pantin » … Un aspect des Courtillières que beaucoup semblent avoir oublié au fil des années.

Silvia, Odette et Maria, les « Madames-chats » autoproclamées du quartier, vivent bien loin de New-York et de ses beaux quartiers. Elles font passer leurs journées au pied des tours qui encerclent le serpentin, en donnant à manger aux animaux errants et en échangeant les derniers potins. Ensemble, elles évoquent un temps révolu, et un avenir qui les inquiète, notamment du fait de leur maigre pension de retraite.

Arrivées entre les années 1950 et 1970 du Portugal, de Serbie et d’Italie, elles se disent elles-mêmes issues de « l’immigration à l’ancienne » ; et ne manquent pas de regarder avec une pointe de jugement les nouvelles générations. Depuis le temps qu’elles sont là, des rénovations du quartier, elles en ont vu. Celle-ci n’est pas la première. « Mais ils ne font jamais vraiment ce dont on a besoin, c’est de l’argent gaspillé. ».

« On n’a plus rien dans le quartier. Les commerces partent, les gens ne disent plus bonjour. Et pendant ce temps, on nous stocke ici comme des bestioles » / « On ne peut pas sortir le soir, jusqu’au petit matin, ça circule. La police passe, mais ne fait pas grand-chose » / « Nous on voit tout, on ne dit rien… et on rigole aussi parfois »

« Il y a beaucoup de gamins qui trainent. Ils n’ont rien à faire » / « On n’est plus très nombreux de notre époque. Les autres, ils sont partis, ou ils sont décédés. Les habitants ont changé. Ce n’est plus la même clientèle comme on dit. Mais on ne peut pas trop en parler ».

Un ghetto utopique ?

Comme pour bien d’autres cas, le décalage est flagrant entre les intentions affichées et la réelle évolution des conditions de vie aux Courtillières. Au fil des années, le quartier serait ainsi passé du rêve d’un lieu vert et aéré, où tout serait disponible dans un périmètre de proximité, au fléau des bâtiments délabrés, de la misère sociale, des conflits.

Mais s’il faut se méfier de l’image édulcorée des quartiers, la caricature n’est pas non plus bonne à prendre. Et tout le monde aux Courtillières n’a pas l’air de partager l’idée que « c’était mieux avant » comme semblent le dire nos trois « dames-chats ». Les témoignages ont d’ailleurs tendance à entrer en contradiction les uns avec les autres. Et certains sont tout simplement plus nuancés.

Sofiane est arrivé des Quatre-Chemins (Pantin-Aubervilliers) en 2014, dans le cadre du projet de réhabilitation. Le quartier, il ne le connaissait pas beaucoup, il ne faisait qu’y passer, sans s’arrêter.

« Avant, c’était plus sombre ici ».

Selon lui, maintenant que les travaux sont terminés, les habitants sont plutôt mélangés, entre anciens et nouveaux venus. L’ambiance est assez calme. « Ma philosophie : je n’embête personne. Je sais bien ce que les gens racontent, et je vois bien les jeunes faire leurs petites affaires. Mais c’est comme ça partout. Est-ce qu’il y a un endroit en Ile-de-France qui n’est pas touché ? »

« Les travaux, c’est bien joli, mais ce n’est pas parfait. On a déjà eu des fuites d’eau dans les halls d’escaliers. Il y a des choses qui se décollent… je me demande comment ce sera dans deux ans. Quand on signale un problème, ils disent qu’ils vont venir. Je n’ai jamais vu personne… et ils prétendent nous consulter ! »

« Le parking, ce n’est même pas la peine d’en parler. Les gens des quartiers alentours n’ont pas de place pour se garer, donc ils viennent ici, puisqu’on en a un grand et flambant neuf. C’est devenu comme un lieu de stockage pour toute la ville »

Les Courtillières n’ont pas atteint le statut de cité futuriste et idéale voulue par ses constructeurs ; mais elles ne sont pas non plus un cauchemar tel que parfois décrit par les médias ou présent dans l’imaginaire collectif. A vrai dire, c’est un quartier bourré de potentiel, dans une ville où près de 45% de la population a entre 15 et 45 ans4. C’est aussi un quartier qui a ses propres figures modèles, à l’image de la romancière Faiza Guène, qui en est originaire.

Les Courtillières sont aujourd’hui en pleine mutation. Tous ceux qui fréquentent ce quartier ont forcément observé à quel point il a rapidement changé de visage ces dernières années. Et nombreux sont ceux qui se sont interrogés sur le bienfondé de cette démarche. Les habitants des Courtillières en seront-ils réellement les premiers bénéficiaires? Si pour l’instant, le changement de façade est bel et bien visible ; attendons de voir la nature du changement de fond.

Comme dans les années 1950, la mairie a déployé un programme très ambitieux : de nombreuses rénovations, ouverture de nouveaux lieux, notamment d’une ludothèque… et surtout, elle a cherché à développer la participation des habitants à la vie locale, à travers d’importantes phases de concertation. A ce jour, on peut effectivement constater que les travaux réalisés sont d’une ampleur considérable, et qu’ils contribuent à mettre en valeur la force indéniable de l’identité esthétique des Courtillières. En revanche, seules les années à venir nous diront si les habitants auront droit à « plus que du beau »5, car une chose est sûre : leurs attentes ne se sont pas arrêtées là. Il n’y a qu’à aller boire un café à la Maison de quartier des Courtillières pour le constater : des idées et de l’envie, ici, il n’en manque pas…

Ousmane est arrivé en France en 2011, il est étudiant. Depuis quelques temps, il vient souvent à la Maison de quartier des Courtillières, où il rencontre les autres bénévoles de son association. Ensemble, ils mènent des actions de récolte de fond pour soutenir des projets éducatifs et le développement d’infrastructures aux Comores. Ils organisent aussi des évènements culturels en Seine-Saint-Denis.

« On met pas mal de choses en place. / Les difficultés que j’ai rencontrées, je n’en veux pas pour nos petits frères. »

« On a demandé des espaces partout, dans plusieurs villes du département, et c’est dans ce quartier qu’on a été reçu les premiers. Ici, les jeunes sont encouragés, y compris par les autorités »


Tous les prénoms ont été modifiés à la demande des interviewés
Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine / Aux Courtillières, les premières réhabilitations ont débutées en 2007-2008. http://www.ville-pantin.fr/grandsprojets-courtillieres.html
Près de 2000 aujourd’hui.
Tandis que la moyenne française en ville peine à franchir les 30%. Source : http://www.linternaute.com/ville/pantin/ville-93055/demographie
5 « Les Courtillières à Pantin : le ‘’droit au beau’’ au cœur d’une rénovation ambitieuse » / http://www.ville-et-banlieue.org/courtillieres-a-pantin-droit-beau-coeur-dune-renovation-ambitieuse-22893.html

Photos : Février 2018, Olga Benne

Article réalisé dans le cadre du programme Le Bruit de Ma Ville

Olga Benne

Née sur une presqu’île méditerranéenne, Olga a vécu à Paris, Bombay et Istanbul, avant de poser ses valises à Pantin, une ville de Seine-Saint-Denis qu’elle apprend à connaître depuis deux ans. À travers l’écriture et la photographie, elle s’attache à relayer les histoires banales comme les trajectoires extraordinaires qu’elle croise jour après jour.

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Publié par
Olga Benne

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