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Paris | 75 Tours Records : « faire que les jeunes pousses se rencontrent »

A deux pas de Strasbourg-Saint-Denis, ce studio fondé par Benoît, un jeune producteur et ingé son, enregistre les morceaux de la scène rap francilienne.

 

Ça fait combien de temps que 75 Tours Records existe ?

Ca fait quatre ans que le studio existe et deux ans qu’il est implanté dans le 2ème.

Comment t’es venue l’idée de créer un studio ?

C’est une envie que j’ai toujours eu dans un coin de ma tête. J’ai fait des études pour apprendre tout l’aspect technique, et après je me suis dis pourquoi je me lancerai pas ? Je me voyais évoluer que dans ce milieu d’ailleurs.

Tu peux nous raconter un peu les débuts ?

Les deux premières années j’étais dans le 20ème, métro Buzenval, rue des Haies. On était plusieurs ingés son dans le studio. Rapidement, j’ai eu pas mal de clients et j’ai commencé à plus trop avoir de créneaux possibles ce qui a fait que je suis retourné en appartement la deuxième année. J’ai gardé 20% de mes clients et j’ai plus fait de la composition, de la création, plein de choses qui demandaient pas d’avoir besoin un gros studio avec beaucoup de matériel. En parallèle, je cherchais un local à Paris ou proche-banlieue, nord-sud.

Le nom 75 Tours Records, ça vient d’où ?

J’ai toujours été fan de hip hop à l’ancienne, de gros boom bap américain. Et tu vois 75 Tours c’est comme les vinyles 33, 45 et comme on est à Paris, 75, c’est bien clair et net. Les gens retiennent.

Si tu devais décrire le studio en 4 mots ?

Inspirant, polyvalent, créatif, productif.

Tu peux raconter les débuts du studio ?

J’ai commencé en bossant avec Haute Culture, un site de rap français, qui propose des mixtapes d’artistes connus et pas connus en téléchargement gratuit. Le concept vient des États-Unis. À la base, ça s’appelait Dat Piff. C’est sur cette plateforme que pas mal de rappeurs américains se sont faits découvrir y’a quelques années maintenant. Du coup, j’ai directement commencé dans le milieu du rap avec les grosses têtes et les gars un peu moins connus que Haute Culture me ramenait. On a ridé ensemble pendant un an. C’est ça qui a lancé le stud et qui a fait découvrir à tous les petits jeunes de Paris qui faisaient du rap que le studio existait.

Benoît, jeune producteur et ingé son, enregistre dans son studio les morceaux de la scène rap francilienne/ ©Fiona Forte

Du coup t’as enregistré pas mal d’artistes du milieu rap francilien. Tu peux nous en citer quelques-uns ?

Dans le 20ème, à l’époque de l’Entourage, avec Eff Gee, j’ai pas mal bossé avec Despo Rutti, Sadek sur deux-trois sons pour la mixtape qu’il avait sorti sur Haute Culture, des collabs avec Melty-style, Lomepal, Jordee, 667 ou Cheu-B. J’ai fais ça avec pas mal de rappeurs qui commencent aujourd’hui à sortir du lot. À l’ancienne, j’ai aussi grave bossé avec Lord Esperanza, Youv Dee, L’Ordre du Periph’… à l’époque, les gars avaient même pas créé leur groupe ! C’est marrant, on s’est tous rencontrés à la même période quand on commençait à se consacrer à la musique et quelques années plus tard, on a tous évolué dans notre truc respectif et ça commence à marcher, c’est cool.

Et maintenant ?

Aujourd’hui, je compose des musiques sous le nom de B43. Ca va de l’électro à des morceaux plus pop. Mon gros kiff ça va quand même rester le hip-hop, c’est ce que j’écoute et fais depuis des années. On fait aussi du soundesign et de l’habillage pour des marques. Moi je pense que j’ai besoin de pas faire tout le temps la même chose dans la semaine.

Ton meilleur souvenir au studio ?

J’en ai plus d’un mais si je devais choisir ce serait le jour où j’ai eu les clés de mon local. J’ai mis tellement de temps avant de trouver le local parfait. Un petit bijou sur deux étages : le stud en bas, le salon au dessus, sous verrière et en plein coeur de Paname. Le plus important c’est que les gens s’y sentent bien.

T’as des artistes avec lesquels t’as particulièrement aimé collaborer ?

Grave ! Y’en a pas mal. Y’a Seth Gueko qui passe en ce moment. Benash aussi, le petit protégé de Booba. Y’a quelques années, j’avais enregistré un son avec Faada Freddy, un musicien sénégalais qui chante et fait des percus avec son corps, accompagné d’une guitare. J’ai de très bons souvenirs avec Iseult aussi. En vrai, le truc c’est que les artistes détente qui se prennent pas la tête, c’est super cool de bosser en stud avec eux. Quand t’y penses, le studio c’est assez intime : cinq heures d’affilée avec un gars, c’est pas rien ! L’ingé, c’est la première personne à entendre le gars dans le casque. Les premières sessions généralement on se jauge, on se capte tu vois. Avec Greg Frite maintenant, à force de bosser ensemble, le gars arrive en stud et ça va trop vite. Je connais quand c’est bon, quand il faut que je le relance. Limite on a plus besoin de se parler. Il me fait confiance et il me laisse faire.

La meilleure session au studio ?

C’était seulement 3 semaines après l’ouverture du studio dans le nouveau local. Un pote m’appelle un soir pour me dire qu’il y avait des Canadiens de passage à Paris qui avaient besoin d’un stud pour la soirée : Smoke Dawg et Pressa, ils faisaient la première partie de Drake à Bercy le lendemain sur sa tournée de 2017. On a fait du son, c’était une super rencontre. Ca m’a donné de la force pour la suite.

A deux pas de Strasbourg Saint-Denis à Paris, le 75 TOURS Records/ ©Fiona Forte

Tu dirais quoi de la jeune génération d’artistes rap ?

Ce que je vois moi chez ceux qui percent et arrivent à sortir du lot, c’est le taff, le boulot. Ils sont investis à 100%, ils vivent ça. Après je dirais, mais c’est pas un scoop, que le rap français est super influencé par les États-Unis mais avec 4 ans de retard. Moi j’ai vu l’évolution. Quand j’ai commencé y’a 4 ans, je bossais souvent avec des rappeurs qui enregistraient leurs morceaux sur des prods old school. Ces deux dernières années, c’est quasiment plus que de la trap vocodeur.  

On parle souvent du miracle de l’autoproduction pour la scène rap actuelle. T’en penses quoi ?

Je dirais déjà que l’autoproduction c’est possible maintenant, mais y’a 20 ans ça l’était pas. Tous les anciens par exemple, Greg Frite, qui a 40 ans maintenant. Quand il avait la vingtaine, il avait un groupe qui s’appelait Triptik avec DaBaaz. Il me disait : « à l’ancienne, un artiste s’il voulait faire de la musique, c’était moins simple, y’avait pas les réseaux : aujourd’hui, dès que t’as fini ton son, tu peux le balancer et il peut y avoir 100 000 personnes qui le voient ». Ca va plus vite mais après les artistes qui percent, ils sont toujours grave entourés. L’autoproduction ça permet surtout de se faire connaître plus vite.

T’as des conseils pour les jeunes artistes qui se lancent ?

Franchement pas faire de la musique parce que c’est la mode. Les gars qui font ça ils durent 15 jours parce qu’ils s’investissent pas. Quand je vois des petits qui sont au lycée et se donnent pour venir au studio, ça fait trop plaiz, ils sont investis ! Respecter les gens avec qui on travaille, la musique c’est un milieu où le respect est super important. C’est un maxi travail d’équipe ! Il faut savoir s’entourer et toujours avoir un avis objectif sur les situations, ce qu’on te dit. Et après foncer et bosser, bosser, bosser… Faire écouter sa musique aussi. Il faut pas avoir peur des retours, c’est comme ça qu’on évolue.

Le studio c’est aussi une plateforme de connexions entre les rappeurs ?

Ouais, ça va avec l’esprit que je veux apporter à mon studio : le fait qu’on se sente bien, à l’aise, cultiver le relationnel. Tous les gars qui viennent, je les pousse à rencontrer d’autres artistes, à se renseigner sur des scènes d’open mics, etc. Tout ce qui peut faire que les jeunes pousses se rencontrent et collaborent ensemble. Par exemple, à l’époque L’Ordre du Periph’ et leur clippeur, Baïsela prod, ils se sont rencontrés dans mon stud du 20ème. Une autre fois, t’avais Cheu-B et Leto au stud qui cherchaient des prods. J’ai fait venir un jeune beatmaker de 18 ans. Il a été vif et on a passé un bon moment. J’aimerais bien faire des rencontres sous forme d’événements entre producteurs et rappeurs. Sous forme de petites sessions au stud. Ce qui est cool c’est qu’on est posé au calme en haut, et si y’en a qui veulent descendre maquetter ou autre, ils peuvent le faire à tout moment.

A l’étage, au dessus du studio, le salon sous verrière permet de profiter du soleil parisien./ ©Fiona Forte

Des anecdotes au studio ?

Parfois t’as des mecs qui poussent le rôle de rappeur à l’extrême. Ils pensent que faire du rap c’est être dans ce rôle, ce personnage un peu gangster. H24 : avec tes potos, au stud, sur scène, dans ton clip ou limite en courses avec ta mère. Ca fait qu’une fois y’a des mecs qui sont arrivés à 14h avec leur bouteille de vodka, leur redbull et leur joint. À 14h45, ils étaient défoncés. Y’en a un qui demande s’il peut se mettre à l’aise. Je lui dis « ouais vazy tranquille, t’es dans la cabine ». Je suis devant mes machines je fais pas gaffe. Et au bout d’un moment, je me rends compte que le gars était en calbut et en chaussettes. Pépouze.

L’artiste que tu voudrais voir passer au studio ?

Action Bronson. Si j’étais cainri et gros, je voudrais être ce gars.

C’est quoi la prod du futur pour toi ?

Je vois bien un mélange de trap dans les rythmiques, pas dans les mélodies, pas dans les synthés. Rythme trap parce que le public s’est grave habitué à la trap mais avec des sonorités beaucoup plus douces, limite oldschool. Les deux mondes peuvent se rencontrer.

Des artistes qui passent au studio à découvrir absolument ?

Brice, Feutrance, c’est mon gars sûr lui. Quand je te parle son du turfu, t’as lui. On créée beaucoup ensemble et il y a une réelle connexion artistique. On vous prépare d’ailleurs des petites surprises pour la rentrée.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour 2018 ?

De sortir mon projet avec quelques artistes qui sont autour de moi. On voudrait faire une release party et quelques dates. On veut aussi faire des portraits vidéos des artistes qui passent ici pour les faire découvrir. A suivre donc !


Propos recueillis par Fiona Forte

Fiona Forte

Originaire de l’Essonne, Fiona construit sa réflexion autour de la ville à travers des projets visuels et éditoriaux pensés pour donner la parole aux habitants. Après des études de lettres et de sciences politiques, elle se tourne vers le journalisme et l’organisation de manifestations culturelles, en se spécialisant dans les enjeux urbains. En parallèle, sa pratique photographique s’enrichit au contact des pays qu’elle parcourt, notamment ceux du continent américain, et de reportages en région parisienne. Elle se consacre actuellement à l’écriture d’un documentaire vidéo sur le carnaval de rue brésilien et à la réalisation d’une série photographique sur les liens entre masculinité, féminité et séduction.

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Publié par
Fiona Forte

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