L’Espace Paris Jeunes Mahalia Jackson : promouvoir la musique et la jeunesse du 20ème

Situé dans le quartier des Fougères du 20ème arrondissement, l’Espace Paris Jeunes Mahalia Jackson est un lieu de rencontres pour les jeunes du quartier. Le 13 mai dernier, l’équipe organisait une soirée hors-les-murs, à la Bellevilloise, avec en têtes d’affiche Kalash Criminel et 4Keus Gang. Nous avons rencontré Estelle Krief, la directrice, afin d’en savoir plus.

Est-ce que tu peux nous expliquer ce qu’est L’EPJ Mahalia Jackson ?

L’Espace Mahalia Jackson est un équipement de la ville de Paris, un des derniers Espaces Paris Jeunes (EPJ) à avoir été créé sur une dizaine que compte la ville. Leur mission est d’accueillir et d’accompagner gratuitement des jeunes de 12 à 30 ans. Ici c’est l’association Loudness, du 20ème arrondissement, qui gère l’Espace Paris Jeunes. Ça fait 4 ans que nous sommes ici, dans le quartier des Fougères (20ème).

Tu peux nous présenter un peu le quartier des Fougères (20ème) dans lequel l’Espace Paris Jeunes est installé ?

Dans le 20ème, il y a plein de micros quartiers, des fois séparés par une rue seulement ! Les Fougères en fait partie, au même titre que le quartier de Saint-Blaise, Python ou Les Tourelles… Les Fougères, c’est le quartier derrière le périph’ et les maréchaux. Avant il y avait deux grandes tours dans le square. Elles ont été détruites pour construire des logements sociaux. La population est de plus en plus mixte, mais reste à majorité d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique subsaharienne (Sénégal, Cameroun, Algérie, etc.). C’est en quelque sorte une cité territoire, même si les nouvelles générations bougent de plus en plus en dehors du quartier. Le sentiment d’appartenance reste toujours très fort : on voit partout marqué « FZR » (« Fougères Zone Rouge »), d’où le nom de notre soirée « Mahalia Zone Libre ! », entre autres. Il y a 10-15 ans, le quartier rencontrait pas mal de difficultés : la rue Paul Meurice perpendiculaire à l’EPJ par exemple, c’était la rue des prostitués et de la drogue. Certains grands racontent que quand ils étaient en primaire ou au collège, ils couraient le soir parce qu’ils avaient peur de se faire agresser. Maintenant, c’est plus tranquille et moins enclavé. Depuis une dizaine d’années, il y a eu plein de nouvelles choses qui ont participé à cette évolution : le square, la Maison des Fougères, un mini-centre social, le gymnase, le TEP, un skatepark, des éducateurs, et nous, depuis 4 ans. Le tram a aussi fait beaucoup pour désenclaver le quartier et a permis aux habitants de davantage circuler.

Une des nombreuses fresques de l'espace. Credit : betavita.
Une cuisine mobile a été installée dans l'espace. Credit : Fiona Forte.
La salle destinée aux jeunes des Fougères avec son babyfoot. Credit : Fiona Forte.
« FZR » (« Fougères Zone Rouge »). Credit : Fiona Forte.

 

Quelles activités proposez-vous aux jeunes ?

Ici, nous travaillons sur deux registres : d’un côté, on fait de l’accueil informel pour les jeunes du quartier qui se retrouvent ici pour discuter, écouter de la musique, regarder des clips ou jouer au babyfoot par exemple. À côté de ça, le pôle jeunesse s’occupe aussi de tout ce qui est loisirs, séjours et aide à l’écriture de lettres de motivation ou de CV. En résumé, de l’orientation et de l’information jeunesse. De l’autre côté, le pôle musical s’occupe de l’accompagnement des jeunes artistes via des ateliers notamment, et de l’organisation d’événements comme celui de la Bellevilloise et des open mics. On a du matériel professionnel, un studio, un ingénieur du son à plein temps et un coordinateur de pôle.

Comment est-ce que vous arrivez à gérer ces deux activités, entre animation jeunesse et musique ?

Il a fallu trouver une identité entre les deux pôles, c’était un challenge. Il y a deux ans le pôle musical tournait déjà bien : y’avait Kohndo, Sabrina la coach vocal, un public. Mais les gens rentraient et allaient directement au pôle musical. On a donc décidé de décloisonner les pôles et mener une réflexion sur les activités informelles. Depuis on forme une seule et même équipe avec des compétences qui se rencontrent et se complètent. Des animations communes ont été créées : notamment du beatbox et des open mics qui visent les artistes du pôle musical et les jeunes du quartier qui montent sur scène ou viennent écouter.  

Credit : betavita.
Credit : betavita.
Credit : betavita.
Credit : betavita.
L'équipe de l'EPJ. Credit : betavita.

 

A quelle fréquence organisez-vous les open mics ?

En moyenne, un par trimestre. Cette année y’en a déjà eu 2 et il y en aura un autre d’ici la fin de saison.

Le pôle musical propose différents types d’ateliers, tu peux nous en dire plus ?

On a trois ateliers hebdomadaires, tous gratuits : le “workshop de Kohndo”, les ateliers de coaching vocal et celui de MAO (Musique Assistée par Ordinateur). Il y a environ 10 jeunes par atelier. Kohndo est là depuis le début, c’est un ami de Factor, le président de Loudness (c’est son blaz, son vrai nom c’est Patrice Onle). Les jeunes viennent d’un peu partout et sont incroyables. Au pôle musical, l’arrivée d’Alessandro, notre ingénieur du son, a pas mal changé les choses : il a commencé à faire enregistrer de la musique à un groupe du quartier éphémère, les Sama Gang, ce qui a permis aux jeunes du quartier de se lancer pour venir enregistrer. Avant, il y avait une forme de plafond de verre. Ils se disaient « ce truc c’est pas pour nous ». Mais en fait, si c’est pour eux !

Vous avez  réduit le nombre d’ateliers proposés aux jeunes, pourquoi ?

On voulait faire correspondre les ateliers à une demande. La première saison, il y avait une quinzaine d’ateliers : graff, djing, poska, customization… les jeunes du quartier ne s’y retrouvaient pas parce qu’il y avait trop d’offres et que les sujets ne les intéressaient pas forcément. On s’est adapté. La danse hip-hop ici ça n’a pas marché par exemple. Les filles ici elles font de l’afro, pas du hip-hop. Nous on n’est pas là pour imposer, on est là pour les jeunes, pas pour forcer. C’est pour ça que maintenant on fait des stages très courts comme l’atelier beatbox, qu’on a gardé trois ateliers et qu’on a lancé un cours de japonais notamment : les jeunes du quartier qui ont 20-25 ans kiffent le manga et ça leur parlait.

Vous organisez également des séjours pour les jeunes du quartier. C’est quoi la prochaine destination ?

Le Japon justement ! Ca fait un an et demi que Vincent, référent jeunesse, prépare le séjour avec AFS (Action Fougères Solidaire, jeune asso du quartier, ndlr) et ça y est les billets sont pris, les jeunes partent en juillet pour 15 jours. Le voyage va prendre la forme d’un reportage participatif : via la campagne crowdfunding pour laquelle les jeunes ont fait un teaser, les donateurs vont donner des missions aux jeunes qui vont devoir filmer des choses selon les missions données. C’est un mode kino, ce qui veut dire faire un film avec peu de moyens. On est accompagné par l’association Aéona sur ce projet.

On a aussi fait un séjour sur une île de loisirs pour les filles qui vont au collège. L’année dernière co-organisé avec la MJC du quartier. On aimerait faire un séjour au ski l’année prochaine. Il y a aussi des séjours autonomes grâce à l’aide aux départs aux vacances de la région. Deux groupes de jeunes majeurs issus du quartier sont partis en Espagne l’année dernière comme ça. Cette année, un séjour sera organisé à Marseille cet été avec des mineurs.

En moyenne, combien de jeunes viennent à l’Espace ?

Entre les jeunes qui viennent ici pour discuter et ceux qui viennent aux ateliers du pôle musical, on touche une centaine de jeunes environ. Sur un mois entier on peut être sur 900-1000 jeunes qui viennent pour faire différentes activités. Certains viennent ici tous les jours, d’autres le mercredi, pour écouter ou regarder de la musique sur les ordinateurs par exemple. Ils s’appellent après le collège ou le lycée et se rejoignent ici. L’EJ, c’est un peu un point de ralliement en fait. Des fois en hiver, y’a 30 à 40 jeunes, filles et garçons. En été, les jeunes vont faire un barbecue dans le square d’en face, puis viennent se poser ici. Au final, on a différentes ambiances en fonction des saisons et des jours.

Comment le contact est-il établi avec les jeunes ? 

On essaye au maximum d’établir une relation de confiance avec les jeunes tout en établissant un cadre. On a une équipe stable et des projets supers intéressants et du coup les jeunes nous le rendent. On a notamment monté des séjours avec eux et ils sont contents de venir là sans qu’on vienne les embêter. Je dirais que les jeunes m’influencent plus que moi je les influence. Y’a un vrai dialogue, on se connait.

Comment ça se passe pour venir enregistrer au studio ?

Il suffit de prendre rendez-vous et de s’inscrire sur le planning ! On a mis un cadre pour les sessions : pas plus de 7 dans les studios notamment. Ce qui est génial c’est que les jeunes respectent cet espace : y’a pas un portable qui sonne, pas un pour couper la parole à l’autre ou pour interrompre la prise de son. Le président de Loudness nous soutient, il produit des artistes. Notre plus value, c’est une vraie connaissance de la musique que les jeunes écoutent. Alessandro, notre ingé son, n’est pas un pur technicien : c’est un artiste, il vient de Naples, il a de l’expérience, du charisme avec les jeunes, sait se faire respecter et est bon en technique aussi.

Open Mic. Credit : betavita.
Open Mic de décembre 2017. Credit : betavita.
Open Mic de décembre 2017. Credit : betavita.
Open Mic de décembre 2017. Credit : betavita.
Open Mic de décembre 2017. Credit : betavita.
Enregistrement au studio de l'EPJ. Credit : betavita.
Enregistrement au studio de l'EPJ. Credit : betavita.
Atelier de MAO à l'EPJ. Credit : betavita.

 

Vous avez organisé le 13 mai une première soirée hip-hop solidaire à La Bellevilloise. Vous vous étiez fixés quoi comme objectifs ?

On a voulu organiser cette soirée pour deux choses : d’un côté, valoriser les jeunes et ce qu’on fait ici, notamment nos artistes qui sont montés sur scène, et de l’autre, aborder la thématique de la paix dans les quartiers. Aux Fougères comme dans d’autres quartiers, y’a des rixes entre jeunes. Nous, on ne peut pas dire : on fait de la musique et on occulte le reste, surtout qu’on est tous les jours en contact avec les jeunes.

Vous avez donc décidé de reverser l’intégralité des bénéfices de cette soirée à l’association Action Ré’Elles qui oeuvre pour la paix dans les quartiers. Comment avez-vous abordé avec eux la thématique de la paix dans les quartiers ?  

On a beaucoup réfléchi en équipe. On sait très bien qu’en classe, dire aux jeunes « c’est pas bien de se battre », ça n’a pas d’impact. Ils disent : « qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Si je vais pas me battre, je vais passer pour un fragile ». Y’a leur virilité qui est en jeu. On sait aussi qu’il s’agit de cycles, que les batailles entre les quartiers dans le 10ème, le 19ème, le 20ème, le 18ème, y’en a qui ont commencé il y a 30 ans. Les générations se transmettent ça sans même plus savoir pourquoi y’a eu des bagarres à l’origine. Ce sont des questions de territoire.

Aux Fougères, ça commence tôt, à partir de 13-15 ans, souvent pour des petites provocations. Pour une vidéo Snapchat d’un jeune qui vient d’ailleurs, ils vont se chauffer. Jusqu’à maintenant, il n’y a jamais eu de morts ou de blessés graves, mais on sait jamais comment ça peut se terminer. Dans le 19ème et à la Roquette, il y a eu un décès. À la Roquette, un jeune de 15 ans a voulu séparer deux jeunes qui se battaient et a pris un coup de couteau. Dans le 19ème c’était entre deux cités, Curial et Riquet. Le jeune s’est aussi retrouvé là sans être impliqué et il s’est pris une balle. Après ces événements, l’idée était de donner la parole à des personnes qui combattent ces violences, notamment Action Ré’Elles, une association de mamans en colère, qui s’est créée il y a 4 mois à la suite du décès du jeune homme. Elles ont organisé une marche blanche en novembre dans le 19ème. Il y a eu 400-500 personnes, un monde fou ! Nous avons voulu les soutenir non seulement à l’événement du 13 mai mais aussi pour la suite.

Entre Kalash Criminel, 4Keus Gang ou encore Awa Imany, vous avez affiché une belle programmation. Comment avez-vous choisi les artistes ?

On voulait cibler tous les jeunes du quartier, pas seulement ceux du pôle musical qui ont l’habitude d’aller voir des lives. Les jeunes du pôle jeunesse, ils « regardent » la musique mais ils ont pas forcément la culture concert. On voulait aussi casser l’enclavement du quartier. La Bellevilloise, c’est à 20 minutes en transports des Fougères, mais pour certains jeunes ça parait presque plus facile d’aller à Salou en Espagne. C’est pour ça qu’on a décidé de mettre une expo photo et d’impliquer un maximum les jeunes pour qu’ils puissent venir à la soirée. Pour les têtes d’affiche, c’est pas anodin qu’on ait choisi 4Keus Gang et Kalash Criminel : ce sont des artistes que les jeunes écoutent, comme notre guest Awa Imani.

Vous avez également choisi de présenter une exposition photo réalisée par des jeunes du XXe. Vous pouvez nous en dire plus ?

L’idée, c’était de valoriser le boulot de jeunes de chez nous. L’exposition a été affichée durant le mois de mai dans la Halle aux Oliviers de la Bellevilloise. L’exposition s’appelait « Un autre regard » et regroupait 10 photos prises par Maël L. Nicolas, photographe et membre fondateur du collectif AutoFocus Records, une association créée par des jeunes du XXe qui sont passés par nos studios.

C’est quoi la suite ?

Et bien on va continuer ce qu’on aime faire. Ici on fonctionne comme un centre social, un laboratoire. On tente, ça marche, tant mieux, ça marche pas, on retente autre chose. Rien n’est figé, au contraire. Avec les jeunes qui viennent dans le lieu, chaque saison s’ouvre sur le champs des possibles.

Sinon avec l’équipe on aimerait faire « Mahalia Zone Libre #2 » en 2019. A la Bellevilloise aussi si on peut car le lieu est super !

La soirée du 1er mai à La Bellevilloise en images 

Kalash Criminel. Credit : Fiona Forte.
Kalash Criminel. Credit : Fiona Forte.
4Keus Gang. Credit : Fiona Forte.
4Keus Gang. Credit : Fiona Forte.
4Keus Gang. Credit : Fiona Forte.
Awa Imani. Credit : Fiona Forte.
Les jeunes de l'atelier Kohndo sur scène. Credit : Fiona Forte.
Les jeunes de l'atelier Kohndo sur scène. Credit : Fiona Forte.
Les jeunes de l'atelier Kohndo sur scène. Credit : Fiona Forte.
Les N.O. Makers. Credit : Fiona Forte.
Mokish. Credit : Fiona Forte.
Mc Hmcee Da Duke au chauffage de la salle ! Credit : Fiona Forte.

Propos recueillis par Fiona Forte

Photo de couverture : betavita

Fiona Forte

Originaire de l’Essonne, Fiona construit sa réflexion autour de la ville à travers des projets visuels et éditoriaux pensés pour donner la parole aux habitants. Après des études de lettres et de sciences politiques, elle se tourne vers le journalisme et l’organisation de manifestations culturelles, en se spécialisant dans les enjeux urbains. En parallèle, sa pratique photographique s’enrichit au contact des pays qu’elle parcourt, notamment ceux du continent américain, et de reportages en région parisienne. Elle se consacre actuellement à l’écriture d’un documentaire vidéo sur le carnaval de rue brésilien et à la réalisation d’une série photographique sur les liens entre masculinité, féminité et séduction.

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Publié par
Fiona Forte

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