Récemment installée à Bagnolet, Aglaé Bory poursuit, en marge de ses collaborations régulières avec la presse, son travail photographique personnel. Les femmes et les gens pris dans leur environnement y tiennent la première place et engagent à une réflexion sur la dignité humaine.
« Je ne pense pas faire de la photo pour me souvenir mais plutôt pour faire exister », explique Aglaé Bory avec un sourire. Un désir qui anime son travail et lui fait regarder intensément les humains et leur environnement. Ses séries sur la condition féminine (Corrélations, Intérieurs) ou sur les migrants (Les Invisibles) sont autant d’explorations des mystères intérieurs, dont les nuances infinies sont suggérées par la douce colorimétrie pastelle choisie par la photographe… Elle photographie par ailleurs presque systématiquement à la verticale, posture humaine par excellence.
Les conversations silencieuses
Aglaé Bory se souvient avoir commencé la photographie un peu par hasard. Peut-être parce que sa famille en prenait rarement. À la sortie de ses études, à l’École Nationale de Photographie d’Arles, ses talents de portraitiste se font rapidement remarquer. Elle enchaîne les commandes, pour la presse notamment, ce qui lui laisse peu de temps pour développer ses propres projets photographiques.
La naissance de sa fille est un tournant aussi bien personnel que professionnel. Elle inspire sa première série, Corrélations, ouvrage structurant et fondateur qui lui permet d’affirmer son art, tant dans les thématiques que dans sa manière de photographier. La série a été exposée de nombreuses fois, notamment à la Galerie du Château d’Eau, (Toulouse) en 2011 et au 104 (Paris) en 2010.
Les photos de la série « donnent à voir une femme qui vit seule avec son enfant ». Aux moments quotidiens de joie de la maternité s’ajoutent ceux de solitude, de découragement et de lassitude. Le caractère répétitif des jours rythmés par les bains, les jeux, les promenades et les repas. Le sommeil aussi, et plus tard, les devoirs. Actes que la mère doit incarner sans même y avoir été formée.
Les questionnements sur le lien qui unit une mère à son enfant sont pourtant nombreux à pouvoir s’entrechoquer dans le creux des heures intimes. Si on le dit inconditionnel, son ambivalence est souvent passée sous silence. Tant « l’amour d’une mère pour sa fille semble normal et naturel, un peu comme le jour et la nuit ». La série Corrélations puise sa force de ce constat : celui d’une maternité renvoyée à l’intime, peu questionnée, presque dissimulée.
En prenant les clichés, la photographe se souvient d’un « réel sentiment d’urgence, une nécessité ». À cet impératif de capturer l’instant, non pour le retenir mais pour en explorer la profondeur, Aglaé Bory répond par la minutie de la mise en scène. Entre documentaire et fiction, ces doubles autoportraits sont pris à distance, sur pied, grâce à un fil déclencheur symbolisant le dialogue silencieux entre mère et fille. La lumière, douce et nacrée, estompe la temporalité des images et des gestes tant de fois reproduits.
Si le mot autobiographie vient à l’esprit, celui d’universalité s’impose. « Je ne voulais pas faire un journal intime », précise l’artiste. On en sera convaincu dès lors que l’on considère les réactions de femmes et d’hommes mis face à ce travail : étonnés par la tristesse et le mutisme se dégageant des photos, beaucoup s’y sont reconnus. Non sans un travail de pédagogie parfois inévitable pour expliquer l’absence apparente de joie.
Les enfants grandissent, c’est inévitable. Les séparations elles, adviennent. L’absence qu’elles entraînent se doit d’être interrogée. Dans sa série En Parallèle, la photographe a ainsi cherché à s’intéresser aux moments passés entre sa fille, devenue adolescente, et son père. Des moments où elle n’aurait « pas dû être là ». Ses choix esthétiques ont été conditionnés par la forte ambivalence de cette situation. Ainsi, les sujets de ses photos sont toujours pris derrière une vitre ou de loin. Il n’existe aucune interaction évidente entre la photographe et ses sujets. Parfois même, ceux-ci n’apparaissent pas sur le cliché : perchés dans les hauteurs des chaises volantes d’une fête foraine, nous ne sommes informés de leur présence que par le discours de la photographe, qui guide notre lecture. La distance est subtilement suggérée et crée le sens.
Des passerelles entre image et symbole
On le sait, les femmes ont longtemps été cantonnées au travail domestique. Elles le sont encore – bien trop souvent. L’espace intérieur est ainsi devenu par extension féminin, synonyme de soumission et d’aliénation. La photographe, fervente admiratrice des oeuvres de Francesca Woodman et Virginia Woolf, souligne cependant qu’il peut également se transformer en espace de création. Virginia Woolf, dans Une chambre à soi, soulignait d’ailleurs le caractère vital de la possession d’un espace privé pour développer son travail artistique.
S’inscrivant intuitivement dans la lignée de ces femmes qui se sont emparées du sujet, la photographe, si elle n’a pas l’impression à titre personnel d’être cantonnée à son espace domestique, élève à son tour sa voix et l’interroge dans sa série Intérieurs. « J’ai voulu faire dialoguer l’espace domestique et l’espace intérieur de chaque femme, interroger la légitimité qu’une femme peut ressentir à être ce qu’elle souhaite devenir ou faire ».
Sur les photos, le corps féminin est tantôt dissimulé par une pile de couverture, tantôt par des chiffons, un tapis ou des rideaux. On le devine aux coins des pièces, sous une table ou derrière le battant d’un placard. Un visage est cachée par un sac poubelle qui ne dévoile que la base d’un cou. L’étouffement est palpable. Tout est figuré comme si les questions d’égalité homme-femme n’avaient pas toutes été résolues.
Afin d’approfondir sa réflexion, Aglaé Bory qui s’est mise en scène dans cette série, poursuit désormais son travail avec d’autres femmes. « En fait, à travers ce jeu avec l’environnement et le décor, j’essaye de montrer que cet espace d’enfermement peut aussi être un espace de réinvention de soi ».
En 2016, elle participe à l’exposition-vente « Refuge(s) » organisée par l’association L’Auberge des migrants afin de récolter des fonds pour les habitants de la jungle de Calais. Elle réalise pour l’occasion des diptyques mettant côte-à-côte, au format vertical, des hommes et des paysages. Les sujets de ses portraits nous fixent droit dans les yeux,leur regard témoigne de leur exil. Elle tente ainsi de « redonner une petite visibilité aux personnes vivant à Calais », sensible à la situation migratoire actuelle et consciente de l’importance de trouver la juste distance face aux parcours douloureux de ces hommes.
La série Les Invisibles est ainsi présentée en 2017 aux côtés de Mers Intérieures, dans le cadre de la programmation Off des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles. Durant cette exposition qui rassemble les deux séries, nommée Les Traversées, la photographe organise deux tombolas caritatives en faveur de l’association SOS Méditerranée qui affrète des bateaux de sauvetage au large des côtes méditerranéennes. « La mer représente à la fois l’appel de l’ailleurs et une barrière infranchissable, dangereuse et parfois mortelle » explique Aglaé Bory. « En rassemblant ces deux séries, j’ai voulu montrer ce paradoxe et proposer un acte citoyen en faveur des personnes que j’avais photographiées ou étant dans la même situation ». Une démarche qu’elle souhaiterait reproduire cette année en faveur des femmes, avec la série Intérieurs.
Regarder la ville autrement
Vivant à Bagnolet depuis trois ans, Aglaé Bory pose désormais son regard sur la ville et ses habitants, avec la volonté de réfléchir aux interactions entre personnes et territoires. Elle avait auparavant eu cette démarche pour sa série Au loin nos paysages, présentée à l’hiver 2017 à la BNF à l’occasion de l’exposition Paysages français.. La série regroupait des portraits et des paysages de sa terre natale, l’Alsace. « À Bagnolet, j’ai voulu continuer à travailler sur les paysages urbains, en l’occurrence ceux de ma ville. C’est aussi un moyen pour moi de mieux la connaître et la découvrir ». Elle s’intéresse en particulier à la jeunesse de Bagnolet mais aussi à l’organisation de ses bâtiments, la circulation des voitures et l’atmosphère particulière qui y règne. Un hommage qu’elle envisage de terminer en un an.
Entre documentaire et fiction, il existe un fil ténu sur lequel Aglaé Bory s’appuie avec délicatesse pour rendre visible par l’image, vectrice d’émotions ineffables, l’imperceptible. Un regard qu’elle pose sur l’épaisseur des choses et leur complexité pour tenter, à son échelle, de « parvenir à trouver de l’équilibre face au monde et à la vie ».
Texte écrit par Fiona Forte
Photo de couverture : Aglaé Bory (série « En Parallèle »)
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