Grand Paname – Rap et Banlieues : les diamants de la couronne

Chronique du rôle joué par le rap dans la mise en place du Grand Paris

La reprise de la mesure de Médine (c’est nous l’Grand Paris) en tête de cortège de la manif du 26 mai dernier n’a fait que raviver ma flamme pour le rap conscient et engagé (qui prétend faire du rap sans prendre position ?). En 2018, il paraît que Rap + Politique n’égal plus Kery. Et si l’univers créé par le rap francilien avait fini par donner des idées aux aménageurs du territoire ?

Qu’on soit enfant de banlieue, des barres ou des pavillons, ou jeune du 7ème, qu’on soit étudiant à Paris 1, à Paris 8, cadre dynamique, mère quinquagénaire ou grand père retraité dans les tours du fin fond du 13ème, on aura tous longuement ou vaguement entendu parler du Grand Paris. Ce projet monstrueux, c’est l’ambition de faire de Paris (la plus belle île de France) et de son agglo « l’une des plus grandes métropoles du XXIème siècle ». Le site dédié au projet insiste sur trois points : « Il [le projet du Grand Paris] a vocation à améliorer le cadre de vie des habitants, à corriger les inégalités territoriales et à construire une ville durable ».

(re)tracer les lignes

C’est donc un projet ES spécialité DD. À tour de rôle, les politiques s’en emparent (on notera quand même que cette idée date des années Sarko), s’interrogeant sur les dynamiques sociales des relations centre/banlieues « parisiennes ». En 2008, la classe politique pense l’idée du projet novatrice, comme une nouvelle façon de penser et de voir Paris et ses couronnes. « On a mis le doigt sur un truc là les gars ». Comme si personne n’avait déjà porté un tel discours. Et pourtant, le Rap est l’essence même de ce discours global sur les conditions de l’agglomération. Ses pionniers en font l’état des lieux à l’époque même où Sidney faisait les présentations et introduisait le Rap et le H.I.P. H.O.P. aux français. L’élite se dira peut être étonnée d’entendre le titre Grand Paris de Médine, et hypocritement « ravie » d’y voir les quartiers populaires prendre part au débat, mais mesdames messieurs les politiques cela fait déjà plus de 20 ans que les rappeurs ont un coup d’avance sur vous.

Nanterre cité Pablo Picasso / Fiona Forte

J’suis du grand Paris sans être trop Parisien

On entend de plus en plus de rappeurs s’approprier l’appellation du Grand Paris (WM étant le plus récent à ma connaissance), pourtant l’idée même est dans les esprits depuis longtemps. Bien avant les filtres Snapchat, ils faisaient les présentations du territoire pour nous. Du département (Sofiane 9-3 Ya zga) à la rue (Sinik – Rue des Bergères) en passant par la cité (Nessbeal – Le Loup dans la Bergerie, aux Hautes Noues) et le quartier (Doc Gyneco – Dans ma rue, une ode au 18e), le rap nous emmène aux quatre coins de l’île de France. Sans même aller jusqu’à Mantes, par exemple, on a l’impression de connaître un peu la ville grâce à Expression Direkt et son 7-8.

Y’a les Tarterêts, y’a Grigny G2, y’a Champtier du Coq – Niska

Le rap est marqué par un discours géographique fort, c’est territorial. C’est dans son ADN. Ce Grand Paris que veulent rebaptiser les politiques, c’est une mosaïque d’espaces, de quartiers et de cités, à la fois reconnaissables architecturalement (les grands ensembles, les « tours ») et pourtant toutes hyper uniques. Faire référence au Grand Paris c’est faire référence à une communauté dans laquelle chacun revendique un micro territoire. Certain.e.s oublié.e.s ou amalgamé.e.s, en tout cas mis.e.s de côté, les banlieusard.e.s font le constat d’un délaissement vis à vis du centre névralgique parisien depuis la nuit des temps. Ce sont ces problématiques territoriales qui sont criées dans les textes de rap : le manque ou l’abandon d’infrastructures dans les quartiers (113 – Les Princes de la Ville, « rénover les bâtiments on attend toujours »), de transports, d’opportunités professionnelles (La FF – L’amour du risque, « sortir des rues sans futur »). En dressant le constat amer du manque d’égalité entre les territoires (il y a aussi des banlieues riches en périphérie), les rappeurs dressent déjà les grandes lignes du Grand Paris.  

Dois-je passer ma vie en marge d’un système qui me dévisage ? – Rocca

Paris 19ème cité Curial Cambrai – Le bruit de ma ville / Sofiane Zekri

À chacun sa banlieue, la mienne je l’aime

Même si les problèmes sociaux revendiqués par les rappeurs d’île de France sont similaires d’un territoire à un autre, le rap donne quand même à voir des dynamiques sociales et des lieux différents. Chaque territoire a sa spécificité, son représentant. L’identité de chaque rappeur, revendiquée fièrement parce que chacun RPZ, est mise à l’honneur dans « Paname All Starz » dès 2003. Bien avant le clip 2017 de Médine. À l’époque déjà, le morceau faisait se succéder des représentants de tous les départements de la petite et de la grande couronne de Paris (et le 18e du Doc et d’Haroun). Mais cette notion du represent ne va pas sans leur (ré)appropriation de l’espace public.

C’est mon ghetto et jl’aime – Sniper, l’Skadrille

Le rap français est le reflet de l’ambiance particulière (ou en tout cas singulière) de lieux connus et reconnus par les « siens ». C’est souvent la démonstration d’un sentiment d’appartenance partagé. Les rues, les espaces, les coins, les recoins, tout ou presque est approprié en banlieue. Tout a un deuxième blaze. Au travers de leurs sons, les rappeurs mettent sous les yeux du grand public cet autre univers qui leur appartient. Et qu’ils connaissent mieux que personne. Chacun à sa manière, ils se positionnent comme les cartographes du Grand Paris, avant même que les politiciens ne mettent des mots sur le projet. En banlieue plus qu’ailleurs, la cartographie est un art de rue.

Nos barres d’immeubles font partie des meubles / Un jour l’hexagone se souviendra qu’on est la partie noble – Médine

Clichy-sous-Bois cité du Chêne Pointu – Le bruit de ma ville / Olga Benne

Qui pourra stopper la street’zer ? Banlieusards forts et fiers

Et quand le « Grand Paris » se définit par une étendue de la ville de Paris vers ses couronnes, les banlieusards s’invitent eux aussi au centre en s’appropriant l’espace et en (re)prenant la place qui leur revient. Avec le tribut des faits et des personnalités qui font la culture populaire, Médine renomme le boulevard de la Villette « Bouna et Zyed » quand Assa Traoré ouvre la voix à Opéra. Il va sans dire que cette mise en avant des références emblématiques des quartiers populaires peine à être reconnue et à être entendue par les instances parisiennes.

Quand les banlieusards sortent – Casey

Le projet du Grand Paris est l’occasion pour les invisibles de se réapproprier leur image. Pris pour cible pendant des années, leurs revendications éternelles semblent enfin se faire entendre et se faire une place dans le débat public. Le projet du Grand Paris promet d’agir sur ces problèmes que les textes de rap dénoncent depuis toujours, « le cadre de vie des habitants, les inégalités territoriales et cette incapacité à penser une ville durable ». Le rap a donc joué son rôle de mise en lumière des problèmes liés à la territorialité Paris-Banlieues dans les nouvelles dynamiques métropolitaines. Grâce aux rappeurs (entre autres), qui peignent les attentes du monde de demain, les sujets chauds bouillonnent dans la tête de ceux qui font les jeux. Et si pour le rappeur Havrais la banlieue influence le monde, on sera aussi d’accord avec Geoffroy de Lagasnerie : elle est son centre.

Le monde ou rien – PNL

Les banlieues en tête de cortège / Yassin Alam


Photo de couverture : Walt Jabsco

Shanice Mendy

Shanice retranscrit la beauté de ce qui rythme nos vi(ll)es, de ce qui donne de la couleur. Paris est la plus belle île de France, racontons-la...

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Shanice Mendy

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