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Fresnes – Face au projet de démolition de leur cité, les habitants des Groux mobilisés

En 2015, le bailleur Valophis rachetait la cité des Groux à Fresnes (94) et annonçait son projet de démolition. Depuis, les habitants réclament le droit d’être informés sur le futur projet immobilier les concernant et le droit de rester sur le quartier.

« Pour moi, c’est pas une voisine, c’est la famille » explique Mme Benali, qui habite depuis 1972 aux Groux. Elle ajoute : « c’est pour ça qu’on veut pas partir ». Maïmouna Kanouté (dite « Mahye »), habitante des Groux et membre active dans les associations 83e avenue et Renaissance des Groux, renchérit : « Les Groux, c’est un esprit de famille ». Pourtant depuis le rachat de la cité, les 200 logements qu’elle compte ont peu à peu été vidés, sans qu’aucune charte de relogement ou de date de démolition n’aient été communiquées. Au 5 mars 2018, il ne restait plus que 121 logements occupés selon l’association APPUII (Alternative Pour des Projets Urbains Ici et à l’International) qui effectue chaque mois des relevés de la vacance. Elle accompagne l’association Renaissance des Groux depuis mai 2016 pour que les locataires soient entendus et que les liens forts qui les unissent ne soient pas détruits brutalement par un délogement systématique. Ainsi les locataires membres de l’association se mobilisent depuis trois ans pour la reprise du dialogue avec le bailleur, qui ne donnait plus de nouvelles. Celui-ci a annoncé récemment prévoir toujours une démolition visant à la diversification de l’habitat, entre logements sociaux et logements privés. Bien qu’une parole collective se soit faite entendre en mars dernier à travers une pétition ayant récolté plus de 600 signataires (dont 100 familles sur 121) et une manifestation au siège de Valophis le 5 mai dernier, celle-ci semble jusqu’ici ne pas être écoutée.

Les Groux : une cité-transit construite en 1968

Certains habitants sont arrivés dans la cité il y a 5 ans, d’autres il y a plus de 30 ans ou au moment de la construction de la cité en 1968. À l’époque, on l’avait édifiée comme cité-transit ; les Groux ne devaient être, pour chacun de ses habitants, qu’un lieu de résidence temporaire. Une première réhabilitation avait eu lieu au début des années 2000, époque où la cité était stigmatisée, notamment pour des affaires de deal ou de délinquance. « La réhabilitation de son image a peu à peu été rendue possible grâce à l’arrivée il y a dix ans de figures engagées politiquement telles que Fresnes Avenir ou Almamy Kanouté » explique Bruno, architecte à la retraite et membre d’APPUII, lors de l’une des réunions de l’association Renaissance des Groux. Des citoyens qui par leurs combats sont parvenus à renvoyer une image plus positive du quartier. Aux Groux, on se souvient surtout de la solidarité du voisinage et de rires d’enfants, bien que l’on soit d’accord pour souligner l’adaptation nécessaire des bâtiments qui ne sont pas équipés en ascenseur et sont pour certains en mauvais état. « Je ne comprends pas pourquoi ils n’ont pas fait les choses bien dès le début » se demande Mme Benali.

Malgré ses inconvénients, la cité reste agréable, avec une grande cour au milieu de ses cinq bâtiments, des arbres, et des jeux pour enfants, notamment une table de ping-pong, un toboggan et un cheval à bascule. Les couleurs vives de ses équipements accompagnent avec charme les différentes teintes bleutées de ses murs et de ses volets.

Une des façades de la cité des Groux à Fresnes. Credit de la série : Fiona Forte.
Le bus 286 relie la cité des Groux à la gare RER d'Antony.
Un des nombreux arbres de la cour de la cité des Groux.
Le bâtiment A, à l'entrée de la Cité des Groux.
La cité des Groux compte de nombreux jeux pour enfants.
La cour de la cité des Groux avec son toboggan.
La table de ping-pong de la cour de la cité des Groux.
Plus d'une cinquantaine de photos de Mathieu Do-Duc ont été exposées en plein air dans la cité depuis octobre 2017.
Sur le bâtiment B, les habitants ont inscrit des mots pour répondre au projet de démolition.

 

Pourtant, nombre d’entre eux sont désormais fermés. Les boîtes aux lettres des anciens habitants ont été retirées et fin janvier, on découvrait avec stupeur qu’un des hall d’entrée avait été entièrement muré. A l’intérieur des bâtiments, les portes des logements évacués ont été scellées et en plein hiver, période de l’année où les jours sont les plus courts, les lampadaires de la cité n’ont plus fonctionné durant un mois et demi. Face à cette situation, les habitants ont réagi avec les moyens du bord, en reliant les câbles aux compteurs situés dans les sous-sols. 

Une opération de démolition totale sans concertation  

Depuis l’annonce il y a trois ans d’une opération de démolition-reconstruction, la concertation avec les habitants s’est faite a minima : s’agit-il d’une démolition totale ou d’une opération-tiroir ? Pourquoi la réhabilitation n’a-t-elle pas été envisagée ? Où et comment sont relogés les habitants ?

« La Cité des Groux a été vendue par la SEMIDEP à Valophis sans que personne ne connaisse les conditions de vente et s’il y avait une clause de démolition » remarque Bruno lors d’une des réunions de l’association Renaissance des Groux.

Si deux réunions et un atelier dit « urbain » (une visite de la cité Brigaux Pelleautier à Choisy) ont été organisés par le bailleur, aucune échéance de démolition n’a été annoncée et l’avis des habitants n’a pas été sollicité. Faute d’information, seuls trois locataires se sont rendus aux ateliers car ils pensaient « que tout était déjà terminé » analyse Mahye. Le bailleur a pu conclure alors que cela n’intéressait pas les locataires et en a fait une arme de choix dans la non-concertation avec les habitants de la cité.  

Face aux incertitudes, les habitants restants manifestent leurs inquiétudes et leur amour pour leur quartier : « ils veulent détruire mais ils ne détruiront que les bâtiments… les souvenirs restent » voit-on écrit sur le mur en briques du bâtiment B. Dans une atmosphère conviviale, souvent accompagnée d’un goûter préparé par Monique, la présidente de l’association Renaissance des Groux, les locataires se retrouvent tous les lundis pour tenter de trouver des solutions, informer les locataires et connaître leurs souhaits. « Nous souhaitons des garanties de la part du bailleur, notamment le relogement des habitants à loyer équivalent et la prise en charge des coûts de leurs déménagements » explique Mahye. Un projet de charte de relogement a ainsi vu le jour. « L’essentiel est de faire le projet avec les habitants » souligne Maxime Poumerol de l’APPUII qui assure la permanence aux Groux. Il poursuit : « l’enjeu majeur, c’est que les habitants actuels qui le souhaitent puissent rester sur le quartier (y compris dans des logements neufs) et ne soient pas déménagés loin des Groux. Ce n’est pas une bataille patrimoniale mais une bataille pour faire reconnaître une « communauté » ».

En mars dernier une première pétition a été adressée à Valophis. Celle-ci a récolté plus de 600 signataires et demandait au bailleur la reprise du dialogue et la transmission des documents qu’il s’était engagé à communiquer. Le document proposait également la création d’une plateforme d’échanges entre le bailleur, les habitants et la ville. A cela, Valophis a répondu par des courriers individuels adressés aux locataires.

Des habitants mobilisés pour raconter l’histoire de leur cité

« Maman on a retrouvé tes copains de quand tu étais petite ! » dit une petite-fille à sa mère qui regarde la centaine de clichés du photographe Mathieu Do-Duc réunis à l’occasion du vernissage de l’exposition « Chronique de la cité des Groux » qui a eu lieu le 12 avril dernier à l’Ecomusée de Fresnes. Un moment émouvant pour le photographe et pour les habitants, anciens ou actuels, qui reconnaissent les visages de leur enfance et se remémorent la vie de la petite cité entre 1986 et 1994. C’était l’époque du glacier et de Madame Postale, dite « Misère » qui avait monté avec d’autres habitants du quartier des séances d’aide aux devoirs. Sur les petits posts-its de couleurs mis à disposition, des noms et des anecdotes ont été noté par les visiteurs de l’exposition.

Un travail de mémoire indispensable que Mahye, commissaire de l’exposition, a débuté en octobre dernier. Après quatre ans de travail, une cinquantaine de photos avaient été exposées en plein air dans le quartier durant trois mois. Plus de 300 personnes étaient venues pour admirer les photographies. « Nous avons un trésor. C’est notre histoire en images ! Notre Famille en images ! » explique Mahye avec émotion. Le photographe revenu à Fresnes lors des deux expositions ajoute : « Je voulais casser l’image horrible que la cité avait. A l’époque, quand je suis arrivé aux Groux, j’ai trouvé une famille, de la fraternité et de la solidarité ».

A travers les photographies, une autre histoire des Groux est montrée : celles des repas entre voisins, des jeux d’enfants dans la cour des bâtiments et de la convivialité. Le documentaire réalisé par Mahye et diffusé lors des deux événements, transmet également cette image en demandant aux habitants un mauvais et un bon souvenir dans la cité. Un propos nuancé qui sans voiler les pendants négatifs de la cité, rappelle que son histoire ne se résume pas à ceux-ci.

Un avenir incertain malgré une reprise progressive du dialogue

« Il faut aller ailleurs, c’est ça le problème. L’éviction ne protège personne. On n’est pas sûr de revenir » s’inquiète Jeanne qui habite depuis plus de 30 ans dans la cité. Si l’avenir reste incertain, les élus et la maire de Fresnes semblent être depuis quelques mois davantage à l’écoute des inquiétudes des habitants qu’ils soutiennent dans leur démarche.

Farid Bouali, directeur général adjoint de la structure départementale Valophis, s’engageait quant à lui dans Le Parisien à reloger les locataires qui le souhaitent à Fresnes et à revenir une fois le chantier terminé. « Les deux déménagements se feront à notre charge » précisait-il. Pour le moment cependant, aucun calendrier n’a été fixé. La raison évoquée, si elle est respectée, est la volonté de laisser un temps à la discussion. Reste à savoir si celle-ci se fera avec les habitants des Groux.


Texte et photos par Fiona Forte

Fiona Forte

Originaire de l’Essonne, Fiona construit sa réflexion autour de la ville à travers des projets visuels et éditoriaux pensés pour donner la parole aux habitants. Après des études de lettres et de sciences politiques, elle se tourne vers le journalisme et l’organisation de manifestations culturelles, en se spécialisant dans les enjeux urbains. En parallèle, sa pratique photographique s’enrichit au contact des pays qu’elle parcourt, notamment ceux du continent américain, et de reportages en région parisienne. Elle se consacre actuellement à l’écriture d’un documentaire vidéo sur le carnaval de rue brésilien et à la réalisation d’une série photographique sur les liens entre masculinité, féminité et séduction.

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Fiona Forte

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