Suffit-il de mettre de l’art dans l’espace publique pour parler de street art ? Non, pas selon Codex Urbanus, street artiste auteur de l’essai Pourquoi l’art est dans la rue ? A l’heure des festivals street art et des commandes municipales, enquête sur une question majeur de l’art : la liberté. Suite et fin de l’interview dont la première partie est ici.
Tu as fait une conférence plutôt corrosive à Sciences Po récemment, dans laquelle tu insistais sur l’essence profondément libre du street art. Mais paradoxalement, pour accéder à cette liberté, selon toi, le street art doit correspondre à un critère sine qua none : l’illégalité. Mais du coup Codex, avec un critère normatif comme ça, est-ce qu’on ne va pas à l’encontre de l’idée de liberté ?
Mais non l’un découle de l’autre ! T’es obligé de casser la loi pour être libre. Sinon, il faudrait demander la permission. Or, si tu demandes la permission à qui que ce soit, tu ne vas probablement pas l’avoir, et si jamais on te la donne, on attendra quelque chose de toi en échange… et ça, ça te fait perdre ta liberté. C’est du domaine du ressenti mais c’est bien présent.
Quand une personne te dit « ok je te donne le droit de faire un truc sur mon mur », elle sous-entend « y’a quand même intérêt que ça me plaise ! ».
Tu veux dire que ce n’est pas explicitement formulé ? Tout est échange, et il n’y a pas vraiment de « carte blanche » ?
Non, il y a des attentes tacites. Quand une personne te dit « ok je te donne le droit de faire un truc sur mon mur », elle sous-entend « y’a quand même intérêt que ça me plaise ! ».
Après la liberté par l’illégalité, tu donnes trois critères discutables : gratuité de la démarche, ego artistique et stratégie d’occupation. Tu peux me les expliquer ?
Alors gratuité de la démarche, c’est comme l’illégalité, ça garantit ta liberté. Le jour où on te file un biffeton, tu perds ta liberté. Ce n’est plus un accord tacite, on attend vraiment quelque chose de toi. Moi je suis mal à l’aise avec les commandes, les gens te payent avant donc tu marches sur des œufs.
Le deuxième critère c’est l’ego : il y a un besoin de reconnaissance dans le street art qui rejoint la démarche du graffiti. Ça passe notamment par la signature. Bon, c’est un peu un faux critère, car personne n’a « pas d’égo », ça n’existe pas, mais j’entends trop d’artistes revendiquer une fausse discrétion. Pour moi ça ne marche pas, si tu squattes la ville, tu ne le fais pas à moitié.
Le dernier : la stratégie d’occupation. C’est le côté systématique : il faut exister de manière régulière dans le temps et dans l’espace. Occuper le terrain et montrer ton boulot.
Du coup on est assez proches des critères du graffiti non ?
Complètement, il y a des tonnes de passerelles entre le graffiti et le street art. Mais je pense que les différences sont marquantes et l’emportent sur les ressemblances.
Après les critères du street art, tu passes aux écueils ; et là tu ne prends pas vraiment de pincettes : le monumentalisme, l’engagement politique, le rôle des experts, le festival street-art, le pseudo street-pop-art, tout ça, tu attaques assez sévèrement !
Hahahah c’est vrai que je n’y suis pas allé avec le dos de la cuillère. Les écueils pour moi ce sont de faux critères, que beaucoup de gens utilisent pour juger du street-art, et qui créent une espèce de Frankenstein où tout se mélange. Résultat : tu vois des artistes sans aucun lien avec le street art et qui prétendent être des street artistes, reconnus comme tels par de soi-disant experts. Tu vois des expositions complètement déconnantes. Tu vois des livres qui sortent avec des trucs qui ne sont pas du tout du street art. Tu vois des suiveurs de street-art qui partagent de la pub sauvage sur internet. C’est chiant quoi. Donc ouais y’a un petit côté coup de gueule : « Faites vos devoirs ».
Tout ce que je dis ça vaut pour moi. C’est ma manière de voir les choses. C’est aux gens d’adhérer ou pas.
Mais du coup, en distribuant des baffes comme ça, n’as-tu pas peur de te retrouver dans la position de l’expert qui distingue le bon du mauvais, position que tu dénigres par ailleurs ?
Tout ce que je dis ça vaut pour moi. C’est ma manière de voir les choses. C’est aux gens d’adhérer ou pas. Si quelqu’un vient me voir pour me dire « le vrai street art il est dans les festivals de street art », je suis curieux d’entendre ses arguments. D’ailleurs je crois que j’enfonce des portes ouvertes là-dessus, tout le monde est d’accord avec ce que j’écris. Il y a juste eu un malentendu sur ce qu’est le street art et ce qui y est lié. Mais je vois pas bien comment on pourrait me défendre que les grands murs du XIIIe arrondissement soient du street-art. Qu’on vienne me l’expliquer. Moi je veux bien qu’on soit toujours d’accord avec tout et qu’on arrondisse les angles mais au bout d’un moment y’a plus de discussion. Là je donne mon point de vue, et si quelqu’un a un raisonnement à m’opposer je suis preneur.
Moi je me suis rendu compte que je m’affranchissais des règles légales mais que je m’en mettais d’autres.
Ces conflits me ramènent à une thème plus vaste, c’est que le street art permet d’aborder le débat sur l’espace publique, sur la citoyenneté et sur la politique au sens pure du terme : si tu poses un truc dans l’espace publique, tu imposes ta vision de ce qu’est la vie en communauté. Qu’est ce que t’en pense ?
Le street art est une utopie qui exprime le fait que beaucoup de lois et de législations sont plus aliénantes que aidantes pour la population et que le citoyen du future ne devrait pas avoir besoin des lois mais devrait avoir assez de discernement pour ne pas faire n’importe quoi. Moi je me suis rendu compte que je m’affranchissais des règles légales mais que je m’en mettais d’autres : je ne dessine pas sur des murs en pierre de taille ou sur des monuments historiques, je ne travaille pas trop proche d’autres street artistes. J’ai pas besoin que cinq cent connards dans un hémicycle décident pour moi. Y’a trop de règles qui sont là pour supprimer les différences, te forcer à être une bonne petite fourmi et faire un seul truc. Moi je ne veux pas me limiter à être guide touristique, ou street artiste, je veux pouvoir changer, faire plein de trucs.
Hors de la rue, tu revendiques le fait que les artistes doivent systématiquement être payés pour leur travail.
Oui tout travail mérite salaire. On vit dans un monde où on a quasiment instauré l’idée que la culture était gratuite. Je suis farouchement opposé à ça car ce n’est pas bon pour la culture, qui donne l’impression d’être un truc de semi-mendiant. Ça donne l’impression que les artistes, dans le spectacle vivant ou ailleurs, sont de gros assistés de merde qui attendent leur subvention, c’est nul. Pour les spectateurs, dès qu’un truc est un peu cher, ils ne veulent plus y aller car ils ont l’habitude que tout soit à moitié prépayé par Papa l’Etat et c’est pas normal non plus, il faut savoir casser sa tirelire parfois. Enfin, dans les arts graphiques, ça produit cette idée totalement fallacieuse selon laquelle l’artiste doit vivre d’amour et d’eau fraîche et manger dans le caniveau pour suivre le but éthéré de son art… ça me rend dingue. D’abord ce n’est pas vrai historiquement, la plupart des gros artistes auquel on peut penser étaient de gros businessmen. C’est aussi une manière d’être astucieux, si tu veux faire des trucs qui ne sont pas vendables ben c’est à toi de faire aussi des trucs à côté qui sont vendables.
Être street artiste et artiste qui vend en galerie, c’est un défi ?
Je ne suis pas un très bon négociateur et je trouve que c’est difficile de négocier quand t’es artiste. T’as toujours un peu peur que quelqu’un te réponde « Non mais c’est moche ». Ce sera toujours une possibilité, et quelque part c’est toujours vrai, t’as rien à répondre à ça ! C’est pour ça que je pousse un coup de gueule, c’est trop facile d’attendre que les artistes demandent, c’est mal élevé.
Et toi Codex, tu exposes bientôt ?
Ouais, et pas n’importe où : dans les égouts de Paris ! L’expo s’appelle « Légendes Souterraines » et a lieu du 2 au 30 juin 2018. J’attends aussi la sortie officielle de mon bouquin Pourquoi l’art est dans la rue ? le 12 septembre.
Propos recueillis par Antonin Garcia
Photo de couverture : Clément Charleux
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