Enquête | Bondy ou la passerelle

Bondy est considérée depuis peu comme la ville des possibles, notamment grâce à la percée de Mbappé. Pourtant, quelques jeunes dits « scolairement ambitieux » souhaitent s’en extraire. Enquête chez des jeunes avides d’ailleurs.

À Bondy, à l’Atelier Sciences Po de cette année, ils étaient une dizaine d’élèves à suivre les enseignements de leurs professeurs-tuteurs respectifs. Pendant cinq mois, deux heures par semaine, les étudiants travaillent sur leur dossier de presse. Parmi eux, on trouve Dragos, Isaiah et Shameem. Madeleine et Sonia, quant à elles, sont en CPGE (Classes Préparatoires aux grandes écoles de commerce et de Management). Tous les cinq ont donc pour ambition d’intégrer ce qu’on appelle « une grande école ». Si aucun d’entre eux n’avait cet objectif il y a quelques années, le regard de leur entourage (famille et professeurs) a joué un rôle important dans leur choix actuel.

Les Grandes Écoles, un « truc de Parisiens » ?

Pour eux, l’envie de s’engager dans une voie prestigieuse vient presque autant de la promesse d’un avenir professionnel « sûr » que de leur volonté de prouver qu’ils peuvent, eux aussi, y arriver. Comme une sorte de « challenge », ils se lancent vers les filières dites « élitistes ». Shameem savait « juste que c’était une Grande École réputée, enfin un truc de Parisiens », et elle n’imaginait pas qu’elle aussi pouvait tenter sa chance. Sonia explique de manière convaincue : « tu vas pas taffer chez Google ou LVMH avec un BTS, moi aussi j’voulais être comme les grands patrons ».

De fait, vouloir faire de hautes études sélectives et prisées n’a pas la même signification selon la ville ou le quartier d’où l’on vient car l’accès à ces filières sélectives n’est pas le même pour tous. D’après l’Observatoire des inégalités, en 2016, les enfants de cadres occupaient encore la moitié des places en CPGE et dans les écoles d’ingénieurs, soit huit fois plus que la part des enfants d’ouvriers. Par ailleurs, l’entrée dans les Grandes Écoles ne s’est pas tellement démocratisée au cours des dernières années malgré certaines initiatives à l’instar de la filière ZEP d’accès à Sciences Po, qui comptait tout de même, d’après Libération, 40% d’élèves de CSP+ en 2016.

Le 93 reste dans le 93.

À Bondy, ces élèves sont souvent décrits par les autres élèves, le corps enseignant ou leur entourage comme « ambitieux », un terme qui déplaît beaucoup à Sonia. Souligner l’ambition de jeunes de Bondy souhaitant s’orienter vers de Grandes écoles, c’est pointer que ce choix n’est ni habituel ni normal. À Jean Renoir, le seul lycée général de la ville, chaque année, les élèves de Terminale qui se dirigent vers les classes préparatoires sont largement en minorité. De même, les acceptés à Sciences Po Paris grâce à l’atelier sont entre 0 et 3 par an (et si on ne compte pas ces élèves de l’atelier, il n’y en a aucun par promotion). Ces chiffres remettent-ils en cause leurs capacités intellectuelles à y aller ? Évidemment, non. Leur dossier scolaire est solide, sinon la porte d’admission ne leur serait pas ouverte. Ensuite, la phase d’admission à Sciences Po (entretiens oraux) est identique qu’on ait emprunté le parcours classique, ou bien qu’on vienne d’un des 106 lycées de la Convention d’Éducation Prioritaire. Et le taux de réussite de ces oraux est également le même dans ces deux voies (entre 10% et 15%).

Cet adjectif « ambitieux », lancé comme un pseudo encouragement, enferme plutôt ces élèves dans les schémas qu’on se fait d’eux et qui in fine leur font croire qu’ils ne peuvent pas aller vers les voies qui ouvrent le plus de portes. Et que ceux qui y foncent sont des exceptions. Être étonné de leur choix d’études, c’est marquer la différence. Pourtant de l’autre côté du mur, voir les fils et filles de cadres dirigeants à HEC Paris ne fait sourciller personne. C’est moins un défi personnel qu’une revanche sur le corps enseignant et tous ceux qui pensent, comme le formule amèrement Isaiah, que « le 93 reste dans le 93 ». Pour eux, le 93 doit pouvoir sortir du 93 sans difficulté.

Un au-delà de la ville : « Bondy ok, mais c’est pas Paris quoi. »

Tous les cinq admettent ne pas avoir une vision de Bondy particulièrement positive. Comme si cette passerelle pour sortir du 93 n’allait que dans un sens. Pour Dragos par exemple, les sorties dans cette ville périphérique ne se résument qu’au trajet maison-lycée. « Je ne traîne pas à Bondy » explique Madeleine qui partage le même avis, tandis que Shameem trouve Bondy « bof », et Sonia critique la fermeture d’esprit de ses habitants. Seul Isaiah a un avis plus nuancé : s’il apprécie le climat doux qu’on peut ressentir à Bondy et l’identité de la ville, il avoue cependant qu’il ne souhaiterait pas y revenir après ses études.

Revenir ici, surtout si je pars à Paris…ça me ferait chier.

Qu’est-ce qui fait de Paris cet eldorado ? Pour tous les cinq, il y a un énorme écart entre l’attractivité de Bondy et celle de Paris. Un gigantesque fossé entre deux villes, qui pourtant se traverse en à peine un quart d’heure. A tel point que revenir à Bondy après être parti sur Paris serait synonyme d’échec.

Ils justifient leurs départs par leurs études. À Jean Renoir, l’atelier graine d’orateur nourrit l’attrait pour les Grandes Écoles de ces jeunes et notamment des IEP. Son gérant Greazi Abira explique que la qualité de l’enseignement (professeurs de renom, caractère pluridisciplinaire) et le réseau futur qui permettra d’accéder à certaines opportunités justifient l’engouement autour de Sciences Po. Toutefois, ce qui interpelle, c’est surtout que même sur le long terme, ces jeunes ne souhaitent pas revenir à Bondy. Un des facteurs d’explication réside peut-être dans la tendance actuelle à assimiler la banlieue à une périphérie de Paris plutôt qu’à un centre de plein droit où d’autres activités propres peuvent s’y développer : des projets d’associations ou d’initiatives locales par exemple (expositions, pièces de théâtre, concerts à l’auditorium, maisons de quartiers, potager à la Sablière…). Ils imaginent qu’une fois partis de Bondy, ils ne voudront plus revenir, obnubilés par ce qu’il se passe ailleurs. Shameem résume très bien cette idée qu’ils partagent tous : « Bondy ok, mais c’est pas Paris quoi ».

« Prouver qu’on peut réussir là où des plus favorisés ont échoué »

Travailler à fond pour partir de Bondy ne veut pas dire que les cinq cherchent à fuir la ville par dégoût. Chacun admet un certain avantage à être à Bondy même si ce dernier peut se résumer qu’à la proximité Bondy-capitale. Dragos note que « la banlieue faut en profiter. Tu peux faire ça 1h le matin, 1h le soir. Le RER c’est comme une passerelle ». Bondy leur a fourni les armes dans ce combat pour l’élévation sociale. C’est la famille bondynoise de Madeleine et Sonia qui les a poussées à faire une prépa – leur frère et soeur respectifs, c’est aussi Jean Renoir qui a mis en place l’atelier Sciences Po ou Graine d’Orateur pour justement leur permettre de s’envoler vers autre chose et « prouver qu’on peut réussir là où – comme le note fièrement Dragos- des plus favorisés ont échoué ». Bondy, pionnière dans leurs espérances post-bac, a fait leur éducation, ce qu’ils sont, et ce qu’ils vont devenir.


Texte et photo de couverture par Ludivine Boucher

Article réalisé dans le cadre du programme Le Bruit de ma Ville

Ludivine Boucher

Du parcours scolaire d’un citadin lambda à la ville dans sa totalité : Ludivine aime écrire sur ce qu’elle connaît et ce qui la touche.

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Ludivine Boucher

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