Nombreux sont les citadins à déambuler dans le décor urbain sans prêter attention aux détails qui le recouvrent : façades, échafaudages, gouttières, escaliers… À travers ses photos, Jules Hidrot s’en inspire afin de déplacer notre regard sur la ville et se la réapproprier.
Les clichés de sa première série Diplopie (2014-2017), Jules Hidrot les a principalement trouvés au hasard des rues franciliennes, sur le dos de sa « petite bécane ». Pour lui, photographier la ville, c’est un moyen de la supporter. De l’aimer aussi. « Ça me permet de prendre du plaisir partout où je vais. De toujours découvrir de nouvelles choses ». Avec un sourire, le photographe précise : « après, je trouve beaucoup plus de richesses dans les quartiers un peu “abîmés”, dans les architectures à la beauté moins évidente… On y trouve davantage de matières et de couleurs ».
À Pantin par exemple, il entre par un petit portail laissé accidentellement ouvert par un employé. On y découvre une piscine en travaux, à la façade en briques. « Parfois, c’est une question de chance. J’étais là au bon moment. J’étais à peine sorti que le passage était refermé ».
Dans le 13ème arrondissement, un escalier baigné de lumière attire son objectif. Le cliché avait été pris à l’occasion d’une exposition réalisée en 2015 par la galerie Art and Craft, située dans la rue où se trouve l’escalier. Dans cette rue vit un couple qui franchit alors par hasard les portes de l’espace. « Ils ont vraiment aimé cette photo sans se rendre compte qu’il s’agissait d’un escalier devant lequel ils passaient tous les jours. Lorsque je leur ai expliqué, ils n’en revenaient pas ». Le couple décide d’acheter le cliché pour le mettre chez lui. En partant de l’exposition, la femme remercie le photographe « de nous rééduquer à regarder la ville ».
On s’étonnera également d’une photo prise à Villemomble, celle d’un bâtiment en rénovation et aux plaques décollées. Plus particulièrement, d’un petit pan de rideau vert au centre de la façade. Celui-ci « donne à l’image tout son équilibre ». Pour cette photo, Jules Hidrot se souvient s’être placé sur une butte, face au bâtiment, afin d’obtenir un cadrage serré et des lignes droites. Il regrette parfois n’avoir pas pu prendre de photos, faute d’avoir trouvé le bon endroit. « J’ai jamais passé le cap d’aller sonner chez les gens pour monter. J’ai toujours un peu peur de les déranger », avoue l’artiste.
Photographies extraites de la série Diplopie
Plus à l’aise pour photographier l’architecture que les personnes selon ses dires, Jules Hidrot signe pourtant, à l’occasion d’un travail de commande en 2015, des portraits tout en sensibilité de personnes âgées en Seine-Saint-Denis. S’il regrette le peu d’interactions lors des séances, il admet néanmoins se concentrer davantage « sur le cadre et l’énergie du cliché que sur l’attitude de la personne ». Les humains, il préfère les prendre sur le vif, sans artifices. Perfectionniste et architecte dans l’âme, Jules Hidrot explique que si à ses débuts, il pensait qu’être photographe c’était « savoir tout faire : portraits, extérieurs, studio… », il a peu à peu accepté le naturel avec lequel il photographie l’immobile.
Jules Hidrot se rappelle avoir découvert la photographie à travers la vidéo. Adolescent, il reçoit une petite caméra numérique avec laquelle il s’amuse à filmer. Il monte lui-même les plans et réalise alors le pouvoir narratif de l’image. C’est au sein du collectif 9ème Concept qu’il fait plus tard ses armes. En parallèle des expositions et événements qu’il organise, il filme ou photographie les artistes conviés. Un déclic : « j’ai réalisé que ce que j’aimais, c’était faire des images. Alors j’ai quitté mon boulot pour ne faire que ça ». Le passage de la vidéo à la photo s’est ensuite fait « naturellement », notamment grâce « à la génération 5D, un boîtier qui permet de switcher de la photo à la vidéo ».
Monteur d’images virtuose à l’instinct aiguisé, l’artiste autodidacte nous raconte avec Diplopie, par la minutieuse disposition des images, une histoire en deux temps : d’un côté, le photographe montre la photo originale, un morceau de ville, et de l’autre la photo modifiée, reconstruite. La série reçoit ainsi son nom du phénomène éponyme désignant « la perception simultanée de deux images d’un simple objet [et…] se traduit par une sensation de vision double ». Retournées puis dédoublées, les façades des bâtiments se transforment en étonnantes abstractions. Ces diptyques, pris avec une sensibilité architecturale et plastique évidente, interrogent nos points de vue sur les décors urbains que nous traversons quotidiennement. Le travail de transformation est volontairement dévoilé et nous plonge dans une déambulation urbaine irréelle et libératrice : « comme devant un tableau abstrait, c’est à toi d’interpréter ce que tu vois. »
Photographies extraites de la série Mémoire de Ville
Ces clichés sont également les témoignages de villes en constante évolution, de travaux, de rénovations… et de disparitions. Laissant en suspens sa série Diplopie, Jules Hidrot poursuit sa réflexion sur l’environnement urbain et se lance il y a trois ans dans Mémoire des villes, une série qu’il publie exclusivement sur Instagram. Constituée de fragments poétiques –parce qu’oubliés– de villes qui racontent les souvenirs de ces espaces, ces feuillets d’Hypnos modernes jouent avec les détails ignorés par les passants : bâches, bouts de tôles, tuyaux… Mis bout à bout, ils forment comme un puzzle abstrait que chacun peut moduler à sa manière. « J’aime tous ces petits morceaux de couleurs qui émergent des travaux urbains. Ils ont à la fois quelque chose de graphique et d’apocalyptique. On se situe toujours dans un entre-deux. S’agit-il de rénover ou de détruire ? ».
Photographies extraites de la série Concentration
En parallèle de cette série, Jules Hidrot prend encore de la hauteur avec Concentration (2017). La série rassemble des photos non transformées de toits de villes retournés ou pivotés. Vue d’en haut, la densité de la ville se révèle. Les jeux d’ombres et de couleurs provoqués par les toitures prennent des allures de collages ou de peintures cubistes. « Ce projet est dans la veine de Diplopie, dans la continuité de ce jeu avec les visions. De prime abord, ton esprit voit la photo retournée. En cherchant à te raccrocher au réel, tu commences à la fixer. C’est alors que tous les repères s’effacent. Mon travail se concentre justement sur cette frontière entre abstraction et réalité ». L’illusion se renforce lorsque les images sont imprimées. On peut alors s’en éloigner ou s’en rapprocher, et ainsi se perdre dans l’image, comme à l’intérieur d’un escalier de Penrose. À ces labyrinthes infinis et libérés des fers de la gravité, existe-il une sortie ?
Écrit par Fiona Forte
Photo de couverture : « villemomble – 2015 » de la série Diplopie © Jules Hidrot
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