Gare aux yeux : publicité et regards électroniques sous la ville

Couv_Gare_aux_yeux

Entre l’écrasante consommation énergétique des écrans-vidéos publicitaires, estimée comme équivalant à celle de trois familles, et l’imposition de contenus orientés, colporteurs de valeurs parfois réductrices, la lutte pour la réduction de la publicité dans l’espace public n’apparaît pas dénuée de sens.

Rares sont les enthousiastes et fervents usagers du métro. Flottement au milieu de visages fatigués ou fermés, les voyages souterrains ont bien peu de charme à faire valoir : un air saturé de particules fines, des couloirs gris, humides.

Et si les parois des boyaux parisiens étaient agréables à regarder ? Il faudrait peut-être d’abord qu’elles ne soient pas noyées sous les affichages publicitaires… D’ailleurs, Mediatransports, leader européen de l’affichage publicitaire dans les transports collectifs,  se vante sur son site des quelques 60 000 faces publicitaires installées dans le métro parisien.

Plus de 700 écrans-vidéo publicitaires dans le métro parisien

Depuis 2009, les couloirs souterrains de Paris se sont aussi vus agrémentés d’écrans-vidéo publicitaires, dont la consommation énergétique équivaut au moins à celle d’une famille de quatre personnes. Si les yeux des usagers du métro parisien se posent sur ces grands écrans, qui sont aujourd’hui plus de 700, ces derniers pourraient aussi leur prêter un oeil attentif. Les écrans-vidéo publicitaires sont ainsi équipés de capteurs d’audience. Ces dispositifs ont des capacités variables. En 2009, au moment de l’installation dans les couloirs du métro parisien des écrans vidéo, les capteurs de ces derniers étaient capables de compter les passants, mais aussi de détecter leur sexe et leur tranche d’âge. Des performances assez satisfaisantes pour quiconque souhaite viser juste.

Écrans publicitaires ou Big Brothers ?

L’année de la mise en fonctionnement des écrans vidéo, cinq associations, dont Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP), ont entrepris de poursuivre en justice la RATP, ainsi que sa régie publicitaire Métrobus (filiale de Mediatransports), à propos de ce projet. Sans conséquences juridiques, ce procès a néanmoins découragé Métrobus de mettre en fonctionnement ces capteurs espions. Officiellement inactifs, ces derniers suscitent la méfiance des associations antipubs, comme l’explique Thomas Bourgenot, le chargé de plaidoyer de RAP. « Les capteurs d’audience des dispositifs publicitaires installés dans les couloirs de métro ou les gares sont censés être inactifs ; légalement, s’ils venaient à être activés, ils devraient être accompagnés d’affichages présentant aux passants les opérateurs et les fins de ces capteurs. Mais je préfère prendre des pincettes ; depuis 2010, il n’y a pas eu un seul contrôle surprise effectué par la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés, en charge du contrôle de ce genre d’installations) sur ces dispositifs ! ». À l’exception de Mediatransports, il semble difficile à quiconque de s’estimer certain de la cécité de ces Big Brothers particuliers.

RATP vs. RAP : un dialogue peu fructueux

Lutter contre ces systèmes, contre la publicité massive imposée aux usagers, semble peu fructueux. D’abord, parce que le règlement de la RATP est le seul habilité à définir et réguler l’ampleur de la publicité dans les couloirs du métro. Et surprise, ce règlement laisse Mediatransports complètement libre de ses mains dans les souterrains de la ville. Thomas Bourgenot explique que RAP a tenté d’agir sur cette absence de réglementation en entrant en contact avec Île-de-France Mobilités (le STIF il y a quelques années). En effet, cet organisme définit les clauses du contrat d’exploitation qu’il signe avec la RATP, et qui repose notamment sur un système de bonus-malus. Ce dernier régule par la suite l’importance des revenus qui reviennent à la RATP. RAP a proposé de mettre en place une clause qui octroie à la RATP des bonus ou malus sur la publicité; malgré quelques déclarations positives, aucune modification n’a par la suite été actée. Oubliez le service public.

En 2017, un grand appel à idées auprès des usagers

Du 2 novembre 2016 au 2 février 2017, la RATP a lancé un grand appel à idées auprès des usagers du métro. Pourquoi ne pas en profiter pour s’adresser directement au concerné ? Jusque-là, les lettres individuelles semblaient apparaître comme le seul – timide – moyen de le faire.
À une première phase d’appel à propositions, une deuxième a été consacrée à un vote, destiné à faire émerger quelques projets. Les deux idées les plus plébiscitées ? Retirer les écrans-vidéos publicitaires et supprimer la publicité du métro. Début février, la RATP a annoncé les 5 projets phares retenus à la suite de cette grande consultation. Entre l’installation d’espaces verts, de purificateurs d’air, ou encore la mise en place d’une application RATP qui fonctionnerait même sans réseau, aucune trace des 2 propositions ayant recueillies le plus grand nombre de suffrages. Si la RATP explique cette subite disparition par l’apport financier de la publicité apparemment essentiel pour le fonctionnement du réseau, plusieurs voix s’élèvent, telle que celle du collectif RAP, afin de signaler que la publicité ne représente que 2% du chiffre d’affaire de la RATP…

Les usagers des transports collectifs, bâillonnés par tous à propos de l’omniprésence de la publicité ? Il ne reste plus qu’à barbouiller.


Écrit par Marie Piedeloup

Photographie de couverture : Eve Lloyd Knight