Combien de publicités passent devant vos yeux chaque jour ? Indice : vous êtes loin du compte. Alors comment résister à l’agression visuelle ?
« Si j’ai besoin de quelque chose, je le sais, je n’ai pas besoin qu’on me le dise ! » s’insurge Geneviève, 75 ans, interrogée alors qu’elle attend son bus à Gare de Lyon. Contre quoi se dirige sa colère ? Les publicités bien-sûr : « Il y en a partout, on est envahis ! ». Certains diraient qu’elle exagère, que nous ne sommes pas littéralement envahis. Après tout, le nombre moyen de publicités croisées chaque jour n’est que d’environ… 2000. Pardon ?
Ce n’est plus une nouvelle, la publicité en ville est partout : affiches dans les arrêts de bus, métros et kiosques, offres spéciales sur les devantures de magasins, panneaux vidéo dans les gares, gigantesques bâches sur les échafaudages de travaux, panneaux routiers, spots audio dans les magasins…Difficile de comptabiliser le nombre de publicités auquel nous sommes exposés au quotidien, surtout quand on lui rajoute celui de la publicité médiatique : tv, radio, réseaux sociaux, etc.
Une chose est sûre : le nombre est énorme. Selon différentes études, il oscille entre 350, 1 200, 2 200, 3 000, 5 000 et 15 000. Si l’on fait une moyenne des différentes estimation, on arrive à environ 4500 messages publicitaires quotidiens. Considérons que seule une moitiée d’entre elles est due à l’affichage urbain, on arriverait tout de même à 2250.
Accepté comme un fait de société depuis l’explosion de la grande consommation, la sur-présence publicitaire rencontre désormais quelques obstacles. Dernier conflit en date : les protestations des dirigeants du Théâtre du Châtelet contre l’immense IPhone X planant calmement au-dessus de la place éponyme, en février 2018. Déclarées illégales par le juge, les bâches installées par JCDecaux ont donc été condamnées à être redimensionnées. Le seront-elles effectivement ? C’est une autre question.
N’oublions pas d’ailleurs que les plaintes émanants du théâtre avaient pour origine la baisse de leur chiffre d’affaire, conséquence directe de leur baisse de visibilité en tant qu’institution parisienne.
Mais à côté de ces conflits de visibilité, existe-t-il des initiatives citoyennes ? Oui ! Khaled Gaiji, porte-parole de Résistance à l’Agression Publicitaire (R.A.P.), nous présente son association :
« Cette association nationale existe depuis 1992 et a comme objet de lutter contre les effets négatifs des activités publicitaires sur les citoyens et l’environnement. Pour cela, nous réalisons des actions d’information, de sensibilisation, du plaidoyer (pour faire changer les lois) et enfin des actions publiques et non violentes sur les dispositifs publicitaires. »
Leur récente initiative du 3 février 2018 consistait ainsi à recouvrir les écrans vidéo de nombreuses villes françaises par un message simple, basique : « STOP PUB VIDEO ».
Pourquoi la pub vidéo en particulier ? En dehors du fait qu’un panneau vidéo consomme l’équivalent d’un foyer, notre cerveau est conditionné pour répondre au mouvement. Réflexe de prédateur… ou de proie ? Difficile pour nous d’échapper aux messages animés…(Pour en savoir plus sur les initiatives antipub de RAP et d’autres associations, jetez un œil à la vidéo de Vincent Verzat faite spécialement pour Noël dernier)
D’ailleurs R.A.P ne sont pas les seuls à réagir face à l’omniprésence publicitaire. De nombreuses associations agissent. Certaines, de manière légale : Stoppub contre les prospectus dans les boîtes aux lettres ou Paysages de France, contre la pollution visuelle. D’autres, comme Les Déboulonneurs par exemple, s’aventurent aux limites de la dégradation urbaine pour faire de leurs procès des outils de communication antipub. L’idée ? « Barbouiller » un panneau publicitaire à la bombe aérosol et risquer le procès, plus important par sa portée médiatique que par la peine encourue (quelques centaines d’euros).
La publicité commençerait-t-elle donc à avoir mauvaise presse ? Devant tant d’ardeur pour la faire taire, une question émerge…
La publicité en ville, est ce que ça vous gêne ? Sur 30 personnes interrogées dans les rues de Paris, 65% déclarent que non ! Les gens sont blasés mais s’en fichent. « Non, ce n’est pas beau mais ce n’est pas gênant » concède un étudiant à la Bibliothèque Publique d’Information (BPI). « Idéologiquement oui, mais dans les faits j’en fais fi » admet Isabelle, 53 ans.
Comment interpréter un tel résultat ? « Nous ne prêtons pas forcément attention à l’immense majorité des publicités auxquelles nous sommes confrontés » explique Khaled Gaiji (RAP), « nous ne voyons pas la publicité obligatoirement de façon « consciente ». Mais notre cerveau enregistre les messages. C’est donc normal qu’ils donnent ce genre de réponse ».
Tentons de vérifier cela. À combien de publicité par jours les gens estiment-ils être exposés ? « Oh, beaucoup, sûrement… 20 ou 30 » ont répondu dix des personnes interrogées. « 100, 150 même ! » affirment les plus jeunes avec un air de défi. La moyenne finale tourne autour de 92… On est très loin des 2000 comptabilisées par les organes de recherche !
Alors où vont toutes ces publicités vues mais jamais retenues ? Si l’on admet depuis Freud que 90% de l’activité psychique se déroule hors-conscience, difficile de mesurer l’impact de tous ces messages ! « Ca a un effet indésiré c’est sûr, ça s’imprime malgré nous, on l’a pas choisi » constate Maturin, 22 ans. « Ça joue sur les affects » précise Alice, 23 ans.
Puisque notre cerveau sait faire le tri, la quantité n’est donc peut-être pas le bon indicateur pour mesurer l’impact du matraquage publicitaire. Ainsi Khaled Gaiji précise : « Pour notre association la publicité a deux formes d’agressions : l’une, quantitative (…) et l’autre, qualitative, sur le contenu des messages publicitaires qui sont par exemple idéologiques, inculquent le virus de la surconsommation, qui elle-même implique des dégâts écologiques et sociaux ».
Et parmi les dégâts sociaux les plus notables, la nouvelle venue est…
La généralisation des écrans aurait révélé un phénomène plus ancien : la baisse de notre capacité d’attention. À force de se battre pour notre fameux « temps de cerveau disponible », les annonceurs habituent notre attention à virevolter d’un stimuli à l’autre, au détriment de formes de focalisation plus soutenues comme la lecture. C’est la différence entre l’attention ascendante, motivée par un stimuli externe (la notification en rouge), et l’attention descendante, motivée par notre libre arbitre. Sauf que cette dernière est comme un muscle : moins elle est sollicitée, plus elle s’affaiblit ! Alors comment en prendre soin ?
Si la publicité sur internet peut se combattre à coup d’ad blocker, la publicité urbaine est plus complexe à esquiver. Il y a pourtant une autre source de stimuli visuels dispersée dans l’espace urbain… Elle est moins criarde, plus discrète que la publicité… Le street art bien-sûr !
Coup de bol, la scène street art parisienne est une des plus dynamiques ! Les rues franciliennes sont pleines de visages et de personnages qui passent eux aussi devant nos yeux chaque jour mais sans rien chercher à nous vendre. S’entraîner à les repérer est un véritable exercice de musculation pour notre attention.
Il s’agit de mettre à profit un mécanisme bien connu de la communication visuelle : la reconnaissance. En effet, notre regard aura toujours tendance à éclairer ce que l’on reconnaît. On n’y peut rien, c’est sans doute un réflexe issu de dizaines de milliers d’années passées comme chasseur-cueilleur.
La dernière évolution de cette merveilleuse capacité ? L’attraction magique du logo. Et si au lieu d’être attiré par la pomme d’Apple ou la virgule de Nike, nous l’étions par les pixels d’Invader, les seins de Intra Larue, les pieuvres de Gzup, les visages de Zelda Bomba, les octopodes de Kraken, les panneaux de Clet, les personnages de Kamlaurene, les créatures de Codex Urbanus ?
La bien-pensance d’une telle idée peut faire sourire les post-soixante-huitards désillusionnés. En 2014, le collectif Brandalism avait pourtant fait pas mal de bruit au Royaume Uni, en utilisant précisément le mobilier publicitaire comme cadre pour diffuser son message altermondialiste. Quoi qu’il en soit, notre quantité limitée de regards face à la quantité illimitée de messages publicitaires pose notre attention comme la nouvelle ressource rare du XXIème siècle. À l’heure où les publicités entrent dans l’espace domestique via les médias, c’est l’espace public qui redevient un enjeu crucial. Au-delà de sa valeur esthétique, le street art pourrait donc peut-être nous aider… à détourner le regard des publicités. Comme le résume bien Samia, 57 ans, « Regardez le « Je t’aime » là-bas (métro Saint Ambroise), c’est pas très beau mais c’est déjà mieux ! ».
Photos et texte par Antonin Garcia
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