Portrait | Karima, conseillère funéraire : une ode à la vie

Karima décrit son métier de conseillère funéraire avec passion et pragmatisme, le temps d’un dernier trajet en RER E entre Haussmann Saint-Lazare et Pantin, avant de déménager à Saint-Raphaël.   

Dans les couloirs sombres et bondés de la ligne E du RER, Karima trimballe une grosse valise, un pilot case, un sac de sport, un sac à main et son chat nommé « Bouba ». Karima est éreintée par son voyage : « j’ai des bleus partout à cause des bagages » dit-elle en achetant son ticket de train.

Cheveux tirés en arrière, vêtue d’un long manteau gris, Karima revient d’un séjour de formation à Caen. Une fois formée, elle pourra gérer le Crématorium de Saint-Raphaël qui ouvrira au début de l’année 2018. Ce trajet en RER constitue son dernier retour à Pavillon-sous-Bois, où elle vit et travaille. Cette dernière est impatiente de quitter le 93 et d’entamer une nouvelle routine plus ensoleillée.

La quinquagénaire lave les corps et les présente aux familles. Karima arrive par hasard dans ce milieu à l’occasion d’un stage d’observation au collège : « Je marche, je suis tombée sur la première boutique, j’ai vu de la lumière, j’ai vu des fleurs et je suis rentrée. Je ne connaissais pas du tout et j’ai vu que c’était une boite de pompes funèbres. J’ai aimé le contact avec les familles qui est vrai. »

Elle emploie d’innombrables comparaisons pour rendre son métier intelligible et « normal », assimilant par exemple, l’appareil de crémation à un four à pizza. La conseillère funéraire se compare à une sage-femme : « L’accouchement ce sont des vrais rapports, tu écartes les cuisses on voit ta foufoune. Excuse-moi mais tu es sincère ! ». Un accouchement qui se passe bien et un enterrement qui se passe bien « c’est kif-kif bourricot ».  

D’autres anecdotes citées par Karima illustrent sa quête de vérité : « Ce banquier, quand il rentre dans mon bureau et qu’il enterre sa femme ou sa mère et il pleure comme un bébé et il est vrai ! »

Son empathie se note dans ses gestes, Karima n’hésite pas à tenir mes mains à plusieurs reprises pour remarquer qu’elles sont froides ou pour illustrer la réaction des familles en signe de reconnaissance.

La satisfaction des familles est signe d’un travail bien accompli : « C’est un métier extraordinaire, ce n’est pas une question de salaire mais de reconnaissance. Quand tu as des familles qui viennent et qui te prennent dans les bras et qui te disent : “merci ma fille” ça vaut tous les salaires ».

D’ailleurs, dans le domaine funéraire Karima peut se permettre de changer d’entreprises du jour au lendemain car il n’y a pas de chômage. Elle interroge : « T’en connais, toi, des conseillers funéraires ? Quand t’appelles une boite de pompes funèbres et que tu dis que tu as 15/20 ans d’expérience, ils t’embauchent direct ! ».

Néanmoins, la conseillère funéraire admet certaines difficultés du métier. Il est délicat d’être témoin de la souffrance des familles lorsque le défunt est jeune : « Il n’y a pas longtemps, un jeune de 26 ans s’est jeté d’un viaduc. Quand tu entends la maman qui prend la parole et qui pleure son fils, ouais… tu as la petite boule dans la gorge » concède-t-elle.

Pourtant, son parcours professionnel n’est pas compris par tout le monde. Son métier suscite incompréhension et dégoût chez certaines personnes. Pour éviter tout débat improductif, lorsqu’on lui demande ce qu’elle fait dans la vie : « Franchement, je dis que je travaille dans l’événementiel. C’est vrai, je bosse dans l’événementiel, après dans quel domaine… »

Sa passion pour la musique et la danse peut brouiller les pistes. En effet, Karima est également musicienne et danseuse.

Non, « travailler au service de la mort » n’est pas synonyme de pessimisme, de dépression ou de pensées morbides au quotidien. Bien au contraire, l’exercice de son métier est un éloge à la vie et à l’humanité : « Ça ne te rend pas triste au contraire, ça te donne la pêche ! Quand tu sors dehors t’as pas envie d’être triste et t’as pas envie de râler. Tu es heureuse d’être en vie et même les râleurs tu les aimes. Tu aimes tout. (…) Quand tu rentres chez toi, t’es en vie, t’es en forme et pleine santé. Qu’est-ce que tu veux de plus ? »


Écrit par Zeïneb Boughzou

Illustration par Afroboyiv

Article extrait de la série de portraits sur le RER E

Le 6 décembre 2017, onze jeunes auteur.e.s sont partis à la rencontre de parfaits inconnus sur les quais et dans les rames du RER E. De ces rencontres, ils ont choisi de mettre en lumière une ou deux personnalités. Voici donc la première série d’articles du programme « Le Bruit de ma Ville » : des portraits d’usagers de la ligne nord du RER E.

Zeïneb Boughzou

Contemplative du monde, Zeïneb prend le temps d'écouter les histoires des gens qu'elle rencontre. Elle grandit à Bondy (93), vit ensuite à Santiago, Montevideo et New-York, avant de revenir pour ses études à Paris.

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Zeïneb Boughzou

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