Force citoyenne et politiques urbaines : faut-il détruire pour rénover ?

Réalisé par Thomas Pendzel en 2007, le film 5-7 rue Corbeau fait revivre, à travers les yeux de ses habitants, un immeuble disparu, situé à l’adresse qui donne son nom au court-métrage. Parce qu’il évoque le destin d’un bâtiment insalubre, qu’il rapporte les points de vue de ses habitants, ce film invite à interroger les politiques de rénovation urbaine actuelles. 

L’immeuble du 5-7 rue Corbeau, rebaptisée rue Jacques Louvel-Tessier après la guerre, dans le 10e arrondissement, est en 1998 le plus important taudis de Paris. Il abrite alors 350 occupants, venus du nord et du sud de l’Europe, du Maghreb ou encore d’Afrique subsaharienne, répartis dans 168 logements d’une unique pièce. Finalement, l’immeuble est racheté par la ville, puis détruit en 1999, au terme de quatre mois de campement dans la rue de ses habitants. Le court-métrage de Thomas Pendzel, disponible gratuitement sur le site du GREC, pousse à de multiples réflexions, sur la ville et les problématiques du logement ; retraçant l’histoire d’un immeuble par les yeux de ses habitants, il amène aussi à questionner la place des citoyens au sein de l’espace urbain.

Manifestation des habitants du 5-7 rue Corbeau ; extrait du film de Thomas Pendzel.

Comme tout cadre spatial, l’immeuble du 5-7 rue Corbeau présente un double visage ; compilation de chiffres, de plans, de noms inscrits dans des dossiers administratifs, il existe aussi dans les souvenirs de ceux qu’il abritait, dans les mots qu’ils utilisent pour le ressusciter. Cette superposition de visages dévoile dans le film la distance qui sépare ces deux ordres, l’administratif formel d’une part, et l’émotif, le personnel, d’une autre. A l’un les termes génériques, statistiques, standards, à l’autre les mots remplis de vécu, plein de sens. Seulement, sur la scène publique et politique, les mots chargés d’expérience sont bien moins mis en avant que le lexique et les pratiques institutionnelles. Le film de Thomas Pendzel permet finalement d’inverser ce rapport de force.

Alors que le ministère de la ville a été  supprimé, qu’un Nouveau Programme National pour la Rénovation Urbaine (le NPNRU) se déploie jusqu’en 2020, le court-métrage 5-7 rue Corbeau amène aussi à questionner les démarches actuelles de renouvellement urbain, à les repenser sous l’angle du gouffre qui sépare l’approche institutionnelle de l’approche individuelle de l’espace urbain.

L’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine), chargée de mettre en œuvre le NPNRU (qui doit se déployer de 2014 à 2020), affirme  placer « l’humain au cœur des projets de rénovation urbaine » sur son site officiel. En outre, le NPNRU s’est distingué du premier PNRU de 2003 par son ambition d’associer activement les habitants au processus de renouvellement urbain.

De nombreux sociologues, urbanistes, architectes… se sont attelés à l’analyse de ces démarches, et plusieurs d’entre eux dressent un constat amer du déroulement des procédures de rénovation de l’espace urbain. Certes, en France, les projets d’aménagement urbain sont contraints au débat public ; néanmoins, les échanges entre les pouvoirs publics et la population sont très limités, et constituent davantage des sources d’information pour les habitants qu’une occasion pour ces derniers de participer à l’élaboration des projets.

En appui aux constats des universitaires et des professionnels, la formation de multiples collectifs citoyens, motivés par la volonté de ne pas être exclus des projets d’aménagement urbain, souligne l’absence de prise en compte des citoyens par les institutions. En effet, en pratique, la participation des habitants n’est bel et bien pas favorisée, voire entravée, ce que dénoncent notamment les collectifs « Pas sans nous » et APPUII. L’APPUII, à travers la tenue de conseils citoyens, de manifestations, d’études variées, cherche à faire entendre la voix des habitants concernés par des projets de transformation urbains, à valoriser leur expertise d’usage ; ainsi, le 23 septembre, les résidents des Groux (Fresnes) ont pu se rencontrer, afin de débattre du projet de démolition de leur quartier.

Les Groux, Fresnes

Ces initiatives, impulsées « par le bas », sont-elles vouées à gagner en visibilité, et ainsi, peut-être, à modifier la réalité des démarches de transformation urbaines ?

À l’occasion des 40 ans de la politique de la ville, le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, affirme vouloir donner une nouvelle dynamique à cette politique, au sein de laquelle seraient impliqués l’Etat, les collectivités, des associations, entreprises, ainsi que les citoyens. D’octobre 2017 à avril 2018, de nombreuses manifestations, actions, rencontres, vont être organisées. En se gardant d’une trop grande naïveté, il semble possible d’espérer que ce cycle de débats et de réflexions ouvre à de nouveaux horizons. En effet, des élus, des associations locales et des habitants, dès le lancement des 40 ans, le 6 octobre, ont été les locuteurs et interlocuteurs directs du ministre de la Cohésion des territoires et de son secrétaire d’Etat.

À suivre donc.

Marie

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