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Paris 19ème | Rencontre avec l’équipe du film « Comme un Loup »

Paris, Cambrai, 19e arrondissement. Un film : Comme un Loup. C’est l’histoire de Yaya Cissé, un jeune lycéen dont la vie oscille entre son quotidien dans le 19e, le quartier où il a grandi, et celui de son nouveau lycée situé près de la Place de la Nation. Le travail des jeunes et des réalisateurs est une réponse face au déterminisme social, aux cases, à la manière dont la société nous conditionne. Il est la réponse d’une génération qui a déjà besoin de témoigner de son présent.

« LE FILM EST SURTOUT NÉ DE LA RELATION DE CONFIANCE QUI S’ÉTAIT TISSÉE ENTRE LES JEUNES ET NOUS, DE NOTRE ENVIE DE FILMER CE QU’ILS VIVAIENT »

Elle est venue comment l’idée de faire un film sur le 19e ?

Alexandre : Elle s’est un peu imposée à nous quand je suis venu m’installer dans le quartier, il y a deux ans. Ma pote Fanta habitait sur le boulevard McDonald. Un jour j’ai poussé la porte du local Jeunesse Feu Vert où Karim (ndlr : le chef du service) faisait de l’aide aux devoirs aux jeunes du quartier. Il m’a dit qu’il n’y avait personne pour encadrer les mardis et jeudis et m’a proposé d’aider. J’ai accepté. Yaya, c’était l’un des seuls garçons. Il était lycéen à l’époque, en première.

Yaya : En plus, le jour où Alex est arrivé je ne voulais pas rester au local ! Soraya n’était pas là, et c’est avec elle que je faisais mes devoirs d’habitude. Du coup je me suis dis que j’allais partir. Et puis Karim m’a dit de rester et de m’asseoir avec Alex. C’est des choses simples qui nous ont rapproché : il avait fait ES au lycée, comme moi.

Félix Schoeller, Yaya Cissé et Alexandre Muñoz-Cazieux ©David Attié

Alexandre : L’idée du film a germé à partir de ce moment là. J’avais envie de filmer des scènes de vie, des histoires. C’est Yaya qu’on suit dans le film mais ça aurait pu être n’importe quel jeune du quartier : Souleymane, Djibril, Sofiane, Ousmane… Ils recoupent tous plein de choses : un rôle à assumer à la maison, leur scolarité, le foot, le local, la vie de quartier… Ils sont au milieu d’un carrefour de trajectoires et on a juste besoin de leur tendre le micro pour qu’ils prennent la parole. Ils ont plein de choses à dire. On manquait d’un cadre technique par contre, du coup j’ai appelé Félix, un ami d’enfance et on a commencé à filmer.

Ça semble être une démarche simple…

Alexandre : C’est l’idée qui est simple. Dans les faits ça ne l’est jamais vraiment. Les jeunes n’avaient pas forcément envie de se faire filmer au début, c’est une question de lien et de confiance. De confiance en l’autre et de confiance en soi-même. Mais c’est allé vite, les jeunes ont été bienveillants. J’ai commencé le soutien scolaire en décembre 2015 et on a commencé à filmer en février 2016. Rapidement le rapport s’est inversé et c’est les jeunes qui nous ont mis la pression (rires).

Félix : Yaya n’arrêtait pas de me dire « mec par contre faut que ce soit bien hein ! J’espère que tu vas bien le faire »

Yaya : Ouais c’est vrai… Dans le quartier ils n’arrêtaient pas de me demander quand la bande-annonce sortirait.

Au stade de Curial Cambrai ©David Attié

Félix : Après c’est vite devenu naturel, on n’a jamais préparé aucune scène. On voulait juste suivre Yaya dans son quotidien au début, le filmer. On s’est ensuite rendu compte que beaucoup d’autres jeunes avaient envie de parler. Je pense qu’une vraie relation de confiance s’est créée, notamment grâce au travail d’Alex au local (Jeunesse Feu Vert).

Yaya : Ils filmaient tout direct. Par exemple ils me disaient « on vient te chercher à la sortie du lycée (Maurice Ravel) à 16h avec la caméra épaule ». Je prévenais mes potes 5 minutes avant que ça sonne sans rien préparer. Je leur disais juste : « y’aura un truc, y’aura un truc ».

Comment votre démarche de filmer le quotidien de Yaya a-t-elle évoluée en idée de documentaire pour devenir « Comme un Loup » ?

Alexandre : Comme on le disait, le film est surtout né de la relation de confiance qui s’était tissée entre les jeunes et nous, de notre envie de filmer ce qu’ils vivaient. On a commencé à filmer beaucoup dehors, au quartier et au local mais aussi pendant les trajets quartier-lycée. On s’est vite rendu compte que la vie d’un jeune du 19ème ce n’est pas que ça. C’est aussi être à la maison et avoir des rapports privés. C’est comme ça qu’on a commencé à filmer en famille, dans le cercle familial de Yaya, chez ses amis du lycée…

Yaya : Je ne voulais pas au début, je n’y voyais pas trop l’intérêt et puis je me disais « y’a beaucoup de monde, faut que j’explique à mon oncle et tout… »

Alexandre : Ça a pris du temps mais on ne pouvait pas faire sans. C’était impossible, il fallait vraiment que ça sonne vrai ce docu, que les gens s’y reconnaissent.

Félix : Et puis du coup ça a répondu à pas mal de questions. Ça en a soulevé plein d’autres mais ça nous a aidé à mettre le film en perspective. Au départ, on voulait parler de l’école. Le problème de l’école c’est fondamental aujourd’hui et l’immense majorité des problèmes de notre société actuelle trouve ses racines dans le système scolaire selon moi. On s’est rendu compte qu’il existe un décalage entre ce système et la vie des jeunes. L’école prend les jeunes pour des enfants alors qu’ils doivent faire des choix d’adultes, comme l’ont fait Yaya, Fanta et Mohammed. C’est des choix de vie, c’est trois, quatre casquettes à assumer en même temps. À seulement 14 ou 15 ans.

« Au dessus c’est le soleil » – Félix Schoeller, Alexandre Muñoz-Cazieux, Yaya Cissé et Fanta Diallo ©David Attié

« L’ENVIE D’UNE REPRÉSENTATION RÉALISTE DE LA JEUNESSE DES QUARTIERS »

Le film présente trois portraits : celui de Yaya, de Mohammed et de Fanta. Trois jeunes du 19e : en décidant de les filmer dans leur vie quotidienne, vous vouliez porter quel(s) message(s)?

Alexandre : Je crois qu’on avait juste envie que les jeunes s’y reconnaissent. On voulait montrer des histoires qu’on ne voit pas dans le cinéma français et qui pourtant sont des récits de vies de jeunes du 19e. On n’a rien inventé, on a juste choisi de ne pas déformer la réalité. Moi j’en ai marre de voir des films français avec des quadragénaires qui se posent des questions existentielles dans un appart Haussmannien. Ou à l’inverse des films sur la banlieue surjoués et sur-clichés. Je caricature et je force le trait, mais qui se sent représenté ? Pas beaucoup de jeunes en tout cas. Du coup c’est vers les films ricains qu’ils se tournent. Et avec Félix on a fait ce constat. Des profils comme ceux de Fanta, Yaya ou Mohammed c’est important de les mettre en avant sans les avoir inventé.

Félix : On avait envie de rendres visibles des réalités qui sont, encore aujourd’hui, invisibles à l’écran.

Yaya : Moi dans ce film, j’avais envie d’insister sur la frontière invisible qu’il y a dans nos têtes entre la vie à la cité et la vie quand on en sort. C’est vrai que c’est deux mondes différents. Mais on crée un imaginaire sur chacun d’entre eux complètement tordu. Des deux côtés. Ça m’a fait bizarre pendant un temps de passer du lycée à la cité, mais faire l’effort de s’intégrer c’est pas sorcier. Si je l’ai fait, tout le monde peut le faire. Faire le pont entre ces deux pans de ma vie c’est naturel à la longue. C’est ma vie quoi.

Fanta : Je crois que moi je voulais dire que malgré les difficultés, on s’en sort. Même si je suis très critique du système scolaire français actuel.

Ibrahima, Mohammed Ali, Sirou et Abdoulaye ©David Attié

Fanta, ton parcours est un peu particulier et le système scolaire y a joué un rôle important. Tu peux nous en dire un peu plus ?

Pour moi le parcours entre le collège et le lycée a été chaotique. Mon objectif à la fin de la troisième, c’était d’aller en seconde générale. À Saint Vincent de Paul on m’a dit « non, choisissez la voie professionnelle ». Dans ce collège là, c’est pas vraiment commun d’aller en professionnelle, en tout cas c’est pas la norme. Et y’avait tout un truc autour de ça : « ah ils t’ont dit professionnel ? ah mince… bon… c’est pas grave Fanta… ». Du coup j’ai décidé de redoubler dans un autre collège. À Edmond Michelet. Le même collège que les garçons (Moha et Yaya).

Ce qui me tue avec le recul c’est que beaucoup d’entre nous n’ont pas la capacité d’avoir le choix parce que le système scolaire français ne nous le laisse pas. Et c’est même pire que ça : on ne nous donne pas la possibilité de nous diriger vers ce qui nous ressemblent et ce qui est bon pour nous. À 14 ou 15 ans, on est pas assez matures et responsables pour comprendre l’enjeu de notre orientation. On demande aux enfants de la République de prendre la responsabilité de leur avenir à 15 ans ; c’est complètement insensé. Tout à l’heure Alex parlait d’avoir plusieurs casquettes à assumer en même temps pour certains jeunes des quartiers populaires. Comment fait-on à 15 ans pour réussir à tout concilier, tout en anticipant son avenir ? C’est un luxe d’avoir le temps d’y penser !

Couplé à ça, ton environnement personnel joue aussi un rôle énorme. À Edmond Michelet, la norme c’était justement d’aller en professionnelle après la 3ème. Du coup tes amis vont en professionnelle, et tes parents n’ont pas forcément le temps d’en comprendre les enjeux. Il n’est pas du tout question de dire que la générale est faite pour tout le monde ou de dévaloriser les filières professionnelles : c’est juste un choix qu’on doit nous laisser et une réflexion dans laquelle les jeunes doivent être accompagnés. J’ai l’impression qu’il y a un décalage entre ce que l’Éducation Nationale dit vouloir faire et la réalité : ils nous font reproduire un même et unique schéma social, et un cercle qui n’a rien de vertueux.

Alex : Le but à travers ce film est aussi de mettre en lumière ces problématiques et qu’il soit diffusé dans les lieux qui ont un rapport ou une influence directe sur les jeunes (les maisons de quartier, les espaces jeunesses, les associations) afin de les sensibiliser sur le sujet. Si ce film est vu par le plus grand nombre, on aura déjà gagné.

Clique ©David Attié

Vous avez été influencés cinématographiquement-parlant ?

Félix : Pas vraiment. Comme on l’a dit tout à l’heure on voulait vraiment filmer le réel. Il n’était pas question d’idéaliser quoi que ce soit, on n’allait pas faire découvrir la littérature ou le théâtre aux jeunes de quartier, ou en faire une fiction. Le projet c’était de filmer le quotidien sans tomber dans le cliché. La responsabilité des jeunes, la nôtre, celle de l’institution scolaire. On n’a pas forcément envie de plaire à une certaine critique, on veut juste que les jeunes s’y reconnaissent.

Alexandre : C’est important que les jeunes se sentent représentés mais le but c’est aussi de leur montrer que c’est facile de monter un film. C’est un labo Cambrai, on peut y faire des millions de trucs.

D’ailleurs c’est un film ou un documentaire ?

Alexandre : C’est plutôt un docu quand même. (À Félix) – Non ?

Félix : Le film présente une série d’instantanés. Des scènes de vie. Le réel est une excuse pour dire quelque chose de plus profond. Sinon on peut dire que c’est un film dans un format documentaire ? C’est une bonne manière d’esquiver la question (rires).

« LEURS AMBITIONS, NOS FUTURS PROJETS »

Qu’est-ce que vous avez envie que les gens retiennent du film?

Félix : Que la confiance en soi et la confiance en l’autre sont d’une même nature et qu’ils sont le ciment des nations. L’école française détruit la confiance en soi. La preuve en est qu’on parle d’échec scolaire et de réussite personnelle. Par son système de compétition, l’école anéantit la confiance en l’autre. La majorité des problèmes que connaît la France aujourd’hui dérive de cette corruption de la confiance. D’ailleurs, Confiance était le titre original du film. Le manque de confiance en soi et la peur de l’autre, conséquences directes de la structure du système scolaire, expliquent la plupart des situations et des comportements dans le film. L’homme est un loup pour l’homme, quand on ne le connaît pas.

Fanta : Il faut que les jeunes sachent à quoi s’attendre. Sinon ils se sentiront frustrés, et ça peut par la suite créer des adultes brisés. Il faut qu’on leur expose les trajectoires, qu’on leur dise que c’est possible, qu’on leur montre les différents parcours de réussite. À 14 ans tu te sens éternel, tu as l’impression que tu as le temps et que ce que tu fais à l’instant T n’aura pas de conséquences sur la suite. Mais tu te fais vite rattraper… On ment à nos jeunes de quartiers populaires et il faut que ça s’arrête. On peut continuer de leur cacher l’avenir sous des noms attrayants comme « technicien de surface » ou « hôte de caisse », mais c’est un vrai défi pour l’intégration de ces jeunes que de leur proposer autre chose.

Yaya : Qu’il faut se forcer à sortir du quartier aussi. Que c’est différent de ce qu’on pense. Je n’étais jamais sorti d’ici (Cambrai) avant d’intégrer le lycée ! C’était perturbant au début hein je vais pas mentir, c’était pas simple de s’intégrer, de faire des allers-retours lycée/cité. Y’avait des blagues qui ne passaient pas là-bas (rires). Mais j’ai rencontré plein de gens – et j’ai créé des ponts. On ne peut pas vivre éternellement dans des univers qui se tournent le dos.

L’équipe de Comme un Loup ©David Attié

Et après « Comme un Loup », un nouveau film ?

Alexandre : On est en train d’écrire un scénario sur une amitié entre deux jeunes filles, de générations différentes. La limite de « Comme un Loup » c’est d’avoir centré le récit sur un personnage principal masculin. On a aussi envie que les filles se sentent représentées. On travaille sur le casting mais depuis « Comme un Loup » c’est plus facile de trouver des jeunes qui veulent parler. On crée du réseau, on s’entraide, c’est ça aussi la beauté du projet. Créer un pont de la tour N où habite Yaya à Rosa Parks où habite Fanta, c’était déjà une belle chose.


Propos recueillis par Shanice Mendy 

Photos : David Attié

Shanice Mendy and David

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