L’interview « Paye ta Ville » avec Emeraldia Ayakashi (Madame Rap)

Beatmakeuse, DJ et soundesigner, Emeraldia Ayakashi est la co-fondatrice du blog Madame Rap, lancé en août 2015 avec Éloise Bouton. Le média recense depuis plus de 1000 rappeuses du monde entier et est le premier à mettre en lumière les femmes dans le hip-hop. Dans ce PTV, elle nous fait voyager entre Paris, Los Angeles, le Japon et sa ville imaginaire, San Junipero. 

T’habites où ? À Paris, dans le 2ème, quartier Montorgueil.

Depuis combien de temps ? Ça fait 2 ans que je suis dans ce quartier. J’ai pas mal bougé de quartiers (11ème, 4ème, 18ème) avant de me poser. J’aimais bien découvrir de nouveaux quartiers tous les six mois. Au départ, je suis originaire de Montpellier et début septembre, je retourne y vivre vivre à mi-temps après dix ans à Paris.

Ton premier souvenir marquant dans cette ville ? La première fois que j’y suis allés, j’avais 11 ans et j’ai eu un crush pour la Seine et ces lumières du côté du Pont des Arts. Je me suis dis plus tard : « Je veux vivre ici et pouvoir marcher sur les quais et m’y poser tous les soirs. »

Est-ce que tu trouves que cette ville a changé ? Oui, la gentrification des quartiers populaires a amené une transformation de ceux investis par les classes moyennes, qui a exclu et continue d’exclure beaucoup de monde. L’emballement des prix du marché de l’immobilier a chassé bon nombre de personnes de Paris vers la petite couronne ou d’autres villes proches de Paris comme Nantes. Les avis sont partagés quant aux changements positifs ou négatifs de Paris mais comme le dit si bien ce proverbe : « La beauté est dans l’oeil de celui qui la contemple. »

La Grande Galerie de l’Évolution au Jardin des Plantes à Paris

Quel est ton endroit préféré dans cette ville ? Le Jardin des Plantes pour moi c’est comme une naissance du monde. Il y a énormément de laboratoires autour du Jardin, les constructions y sont assez vétustes et datent du 19ème ou du début 20ème siècle. Elles sont un peu brinquebalantes, tous les grands savants du CNRS y sont. Il y a une partie entomologie avec tous les insectes, des verrières et des jardins bizarres. C’est un mélange d’aventures, de sciences et de recherches obscures qui m’a toujours inspiré.

Une expression de ta ville que tu aimes bien ? « On va en before et après en after ! » : les Parisiens sont très heureux de pouvoir décliner chaque semaine toutes les soirées auxquelles ils sont conviés. Ils connaissent principalement la capitale pour ses bars et ses terrasses de café et ne manque d’ailleurs jamais de vous donner leurs recommandations. Partout, toujours et tout le temps… après tout, Paris est la ville qui ne dort jamais.

Quels sont les bruits de la ville qui t’inspires dans tes prod ? Je suis hypersensible aux sons et aux gens donc cela a beaucoup influencé mes prods. Les bruits qui m’ont influencés sont les marteaux piqueurs, les slogans provenant de rassemblements, les talons sur les rues pavés de la rue des rosiers, les cloches d’églises, les bruits de foule, d’agitation et de circulation qui s’imposent à nos oreilles.

Certains albums de John Cage et Steve Reich représentent bien l’extension du domaine de la musique à l’ensemble du sonore à travers des « bruits » de la ville et de notre quotidien.

Une autre ville où t’aimerais habiter ? Los Angeles. Le climat est agréable et ensoleillé toute l’année. C’est une ville fascinante, sa lumière est sublime et le soleil y brille avec générosité ; ses gratte-ciel, ses allées rectilignes interminables et ses pick-ups qui les sillonnent… les lumières semblent frémir en permanence et le ciel est en mouvement constant.

Comment s’appellerait ta ville imaginaire et à quoi est-ce qu’elle ressemblerait ? Une smartcity qui s’appellerait San Junipero (en référence à Black Mirror, saison 3), avec un esprit 80’s retro, le plus de maisons possibles et des immeubles de moins de trois étages, de grands parcs et des espaces dédiés à la permaculture intégrés totalement à la ville.

Ta ville cauchemar ? Paris dans certains aspects : le métro, le périphérique, les grands blocs de bétons qui excluent et parquent la grande banlieue..

Ce qui t’apaise en ville ? Les bibliothèques, les parcs et boire du thé ou du vin en terrasse en discutant des heures avec mes ami.e.s.

Ce qui t’énerve en ville ? Malgré les circonstances personnelles de chacun, agréables ou pas, j’ai du mal à excuser ou accepter les gens agressifs ou malpolis.

Skyline à Los Angeles

Plutôt ville de jour ou ville de nuit ? L‘intranquilité de la ville de nuit. C’est la nuit qui m’inspire, les endroits qui grouillent de vie et de bruits la journée qui se vident et sont quasi inertes à la nuit tombée, je trouve beaucoup d’inspiration dans l’essence de l’obscurité éclairée aux lampes de la ville et le calme qui s’en dégage. La nuit, c’est un moment fascinant, un moment que j’aime bien.

Le lieu urbain où tu voudrais tourner un clip ou faire une perf ? On a plusieurs projets avec Madame Rap : clips, cyphers, sessions de freestyle en urbex et je viens juste de visiter le nouveau lieu street art L’Aérosol qui se prête complètement au concept. Il se trouve sur le site de l’ancienne Halle Hébert dans le 18ème arrondissement de Paris. Les quais de Loire à Nantes m’inspirent beaucoup aussi.

La petite habitude que tu as quand tu es dans ta ville ? Boire une bière ou un café en terrasse avec un livre.

Et dans une ville étrangère ? Comme à Paris : la déambulation nocturne accompagnée de « locaux ». Cela laisse la place à l’imprévu et m’immerge dans les flux de la foule, les petites rues, les impasses.

Le type de personnes que tu aimes observer à une terrasse de café ? Je n’ai pas de type, je trouve tout le monde intéressant à observer, des humains aux animaux qui les accompagnent.

Plutôt multitude ou solitude ville ? Solitude, elle nous met en contact direct avec nous-mêmes, nous offre un accès privilégié à notre richesse intérieure et l’opportunité de nous découvrir, de rendre chacun d’entre nous unique et de nous ouvrir pleinement aux autres.

La ville où prendre sa retraite ? Los Angeles, West Hollywood avec une cabane de plage pour aller surfer, à Santa Monica.

Une ville ou un quartier où marcher la nuit ? Marcher dans une ville est une découverte constante, mon quartier préféré la nuit à Paris est Le Marais et St Paul, je m’y sens en sécurité, le côté village est très agréable, tout le monde se parle gentiment et librement.

Une musique sur la Ville ? La déclaration d’amour nostalgique de Beirut à Nantes, qui ouvrait le magnifique album « The Flying Club Cup ». L’idée de chanter son amour pour une ville comme on chante son amour pour quelqu’un.e  me plaît beaucoup.

Un film sur la ville ? Lost in Translation. Si Tokyo était un film, ce serait celui là.

Un livre sur la ville ? Ernest Hemingway, Paris est une fête. C’est un hymne à la vie, à l’amitié, à la création et un magnifique hommage rendu à Paris. Sa relecture après les attentats a pris un sens encore plus profond et m’a permis de reconnecter à la beauté de l’esprit parisien et de ce qui fait son essence.

Ta ville rêvée pour faire un set ? La forêt de Mitaki à côté du temple bouddhiste Shingon, à Hiroshima au Japon. C’est un vieux temple fondé en 809 et composé de différents pavillons dispersés dans une forêt à flan de montagne. Il y a également des statues de tanuki aux abords du temple, ce sont des créatures de la forêt qui font partie du folklore et de la mythologie japonaise et je trouvais intéressant de les intégrer en temps que spectateurs magiques et protecteurs qui se mêlent au public.

Ton endroit dans le monde préféré pour voir un live de musique ? Le Théâtre de la mer à Sète. Le cadre y est exceptionnel, à ciel ouvert. C’est une terrasse sur la mer Méditerranée.

Le Théâtre de la Mer à Sète © Site de l’Office du Tourisme de Sète

Une ville dont l’esprit artistique t’influence particulièrement ? New York, à travers tous ses quartiers de Brooklyn au Queens, cela va de l’art contemporain au street art, c’est un des berceaux des plus grands artistes dans le graffiti et de collectifs dans le hip-hop.

Si tu devais améliorer quelque chose dans la ville dans laquelle tu vis, ça serait quoi ? Plus d’espace piétons, de lieux de partage dégenrés, moins de voitures et plus d’espaces de végétalisation.

Une question que tu aurais aimé qu’on te pose au sujet de la ville ? Me questionner sur la façon dont j’aimerais aménager la ville, je pense qu’en demandant aux gens de partager leurs idées et en leur donnant les moyens de les mettre en oeuvre, on tire profit de l’intelligence collective.

Propos recueillis par Lina Fahsi


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Lina Fahsi

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Lina Fahsi

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