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Portrait | Cebos Nalcakan, de l’obscurité à la pénombre

Cebos, photographe tout en contrastes du 18e. Il traîne ses yeux clairs et son regard sombre aux quatre coins du monde. Les sourires qu’il ne photographie pas, il les porte sur lui. Et il immortalise ses souvenirs dans la boîte obscure de son univers.

La première fois que je vois Cebos, je ne sais pas comment prononcer son prénom. « Dj » pour le « c » et un chuchotement pour le « s » de fin, il y tient.

On est chez lui, chez ses parents. Au mur, de grandes photos en noir et blanc qu’il a prises de Paris la nuit. « Des photos comme on en accroche dans un salon » dit-il. C’est un hôte attentif et attentionné ; il se retrouve malgré lui à préparer son tout premier café turc. « Pas de problème, je suis un artiste tu vois ». Il rit. Effectivement, il est délicieux ce café.

L’artiste a des cheveux longs d’un noir profond qu’il laisse pousser depuis des années et un sourire qui t’appelle au dialogue. Une chaîne à son cou, deux bagues à ses doigts, une gourmette. L’une des bagues a une pierre rouge et chaque bijou a son souvenir.

Il y a une espèce d’immédiateté chez Cebos. Il est ouvert, direct et franc. Il dit ce qu’il pense ou alors il ne dit pas.

Il est radical aussi. À un moment il te regarde avec douceur et bienveillance. L’instant d’après ses yeux noircissent, son sourire tombe et il pose son opinion. Il la pose là comme ça. Il ne fait pas de compromis et garde une fermeté douce qui ne bouge pas d’un centimètre. Puis il sourit à nouveau. Son intransigeance le fait rire.

Le 18 et le rap

Très vite il parle de rap, sa vraie passion. Il a grandi avec, entre la rue Myrha et le métro Guy Môquet. Il l’aime du 18e et à l’ancienne. Pas la facilité, pas les insanités mais le texte avant tout. Sa relation au rap ressemble beaucoup à celle d’un militant : ne pas trahir la cause.

L’image elle, il la manie dès tout petit. Quand il part au bled avec sa famille, il se retrouve à faire les films de vacances dont personne n’a envie de s’occuper. Faut bien que quelqu’un fasse le taf. En plus, à 10 ans il a déjà la main la plus stable de la famille.

Vers 13 ans, Cebos s’empare de la petite caméra Panasonic que son grand frère vient d’acheter. Il filme la Goutte d’Or, les concerts à l’Olympic café, la Scred Connexion… des scènes de vie dans le milieu du peura. On l’appelle Buscape à cette époque-là et Barbès est son territoire.

Cebos Nalcakan, juillet 2017, Paris 18e, ©Yveline Ruaud

Son autre frère n’aimait pas le voir dans la rue. Cebos c’était son bébé, il l’avait tout le temps dans les bras. « Il me kiffait de ouf, il me saoulait tellement il me kiffait. Il m’a éduqué, cogné et fait kiffer quand il fallait. » Travail, respect et humilité. Tout ça vient de Lokman.

À 16 ans, on lui offre son premier appareil : un Canon 450D, entrée de gamme. Il commence par accompagner la Scred en tournée, puis d’autres et puis Guizmo, quand il arrive chez Y&W. Le photographe a la vingtaine et de plus en plus d’artistes viennent le chercher.

Mais il n’est pas photographe de concert. Il aime pas. Les lumières sont souvent dégueulasses et il travaille sans flash. « En plus on parle de photographier un gars avec un micro. Le mec posé à 2m de moi peut faire le même cliché. Ça m’intéresse pas. »

Il a arrêté de faire des clips aussi, il aime pas. Répéter le même truc toute la journée, il peut pas. Il s’ennuie vite. Et il doit pouvoir poser son univers brut et pressé. Pas de compromis.

En fait il n’est pas vraiment photographe de rap non plus. Les rappeurs ne le voient pas comme un gars qui vient faire une pochette d’album, toucher son billet et se barrer. C’est un ami, un frère qui vient les prendre en photo. Il préfère prendre le rappeur seul, dans son univers. Encore aujourd’hui ce sont des souvenirs qu’il photographie pour eux. Ce qui l’intéresse dans le portrait c’est le lien, l’humain et l’univers.

« Furax », 2017, Sète, ©Cebos Nalcakan
« Guizmo », 2015, Paris, ©Cebos Nalcakan
« Koma », 2013, Paris, ©Cebos Nalcakan
« Morad », 2013, Paris, ©Cebos Nalcakan
L’univers, le monde, Barbès

Cebos explore les univers. Il tente un truc un temps avec les photos de monuments en noir et blanc. Paris, Prague, Istanbul, Venise… « C’est beau deux minutes mais ça tourne en rond. » Il ne veut pas faire les mêmes photos que les autres.

Il découvre alors le photoreportage et les photographes de guerre. Ça lui parle, il aime la proximité du sujet, son histoire et l’Histoire. En cinéma comme en musique il n’aime que les classiques : il créera des classiques en photo.

En 2015 il part en Inde. Suivent les Philippines en 2016, le Brésil en 2016 et 2017 puis l’Ethiopie en 2017, aussi.

« D'Addis-Abeba à Lalibela », 2017, Addis-Abeba, ©Cebos Nalcakan
« Filippino », 2016, Banaue, ©Cebos Nalcakan
« Le coeur du Brésil », 2016, Recife, ©Cebos Nalcakan
« Un pied en Inde », 2015, Delhi, ©Cebos Nalcakan

Sa démarche n’est pas journalistique. Dans ses photos il veut faire naître des moments intimes. Il ne voyage pas pour visiter, il veut rencontrer des personnes. S’il n’y a pas de contact humain, s’il n’y a pas d’échange, ça l’intéresse pas.

Petit, il était extrêmement timide. Aujourd’hui, il l’est juste un peu. Il est toujours très réservé par contre. Du coup son ami d’enfance l’accompagne dans ses voyages. Issa gère un peu l’anglais, aussi. Cebos sait échanger des sourires, des regards, mais il lui faut un temps pour prendre la température. Issa lui apporte le premier pas.

Le 18 lui manque toujours très vite. Quand il sort photographier Barbès, il y va seul. Il connaît tout le monde là-bas, il n’y a pas de réserve. Il se pose et peut attendre cinq, six ou huit heures. Il sait pourquoi il galère, même s’il ne fait aucune photo. Tout peut arriver. Il écoute du son, il n’entend rien de ce qui se passe autour. Il est dans son monde et les gens kiffent autour de lui. Ça lui donne de l’énergie.

Au hasard dans Bezbar : le regret  

En 2016 il entame la série « Paris-Bezbar » avec l’idée de collecter des images de son tiecar qu’il observe à travers le prisme de sa mélancolie. Il sait que dans 10 ans il y trouvera le souvenir d’un quartier qui aura changé. Dans 20 ans, certaines personnes qu’il a photographiées ne seront plus là.

Pour ceux qui les regardent, ses photos diront simplement que « c’était ça Barbès. Voilà le quartier que vous avez tant jugé, le quartier où vous avez tant eu peur. » Elles le raconteront aussi à ceux qu’ils ne l’auront pas connu. « Barbès c’était une ambiance. Des gens sont tombés amoureux. »

« Paris-Bezbar », 2016, Paris 18e, ©Cebos Nalcakan
« Paris-Bezbar », 2017, Paris 18e, ©Cebos Nalcakan
« Paris-Bezbar », 2017, Paris 18e, ©Cebos Nalcakan
« Paris-Bezbar », 2017, Paris 18e, ©Cebos Nalcakan

La série de Barbès est singulière. C’est un travail de mémoire ancré et intime. « Ce quartier il faut qu’on s’en rappelle, qu’on le regrette même. » Cebos aime bien le regret. « Des fois je sors sans mon appareil. J’aurais dû le prendre mais putain nique sa mère. Et là j’avance, je vois la photo que j’aurais pu faire. Ça me démange, ça me fait du mal. Et j’aime bien. J’aime bien des fois souffrir et me dire « ah merde… Mais c’est pas grave, je l’ai vu au moins. Ça m’apprendra. » Regretter ça te fait mûrir. Faut galérer dans la vie, souffrir même. Ça te permet de découvrir la vraie vie. Dieu donne et reprend, on ne va pas contre sa volonté. On apprend à vivre avec. »

Guy Môquet, juillet 2017, Paris 18e, ©Yveline Ruaud

Ses photos te disent qu’il n’aime pas ce qui est trop lisse ou trop beau. « Tout va bien », c’est pas pour lui.

Cebos est mélancolique. Solitaire. « Je suis une galère, j’te jure». Quand il est chez lui il peut s’enfermer, se buter au son trois ou quatre jours d’affilé et se nourrir ponctuellement d’un plat unique mais parfaitement maîtrisé. Poulet, Pâtes, Sauce Tomate.

Les contrastes ont assombri la nuit

Son univers s’est assombri. Il a quitté la couleur, il a glissé d’un gris trop nuancé vers un noir et blanc abrupt. Ses photos sont brutales mais elles ne sont pas frontales. Il travaille les zones d’ombres en suggestions ; un visage disparaît sous une capuche, derrière des mains, un nuage de fumée. En contrastant il perd en détails mais cache et éclaire avec délicatesse.

Sur ses photos on ne voit que très rarement l’éclat des dents. Jamais pour un sourire, il peut pas. Surtout pas à Barbès. Lui sourit tout le temps pourtant, il rit et il sourit. Il respire quand il est avec des gens.

Cebos n’est pas un mec léger. Il pose le filtre de ses yeux sombres sur chacun de ses clichés. Sans trop retoucher il rend la nuit plus noire.

Cebos Nalcakan, juillet 2017, Paris 18e, ©Yveline Ruaud

Seul dans la rue il se laisse guider par ses mains, son œil, ses pieds. Au final, il veut simplement rencontrer des humains.

Ce qu’il guette c’est l’authenticité d’un moment de vie, l’échange d’un regard sincère. Il ne crée rien finalement. S’il est là c’est parce que quelqu’un lui offre un instant. Lui gère le cadre, la compo et la lumière qui tombe sur un visage. Le reste vient de celui qui partage une émotion en tension avec la sienne. Cebos est là, il attend patiemment de la capturer et de l’enfermer dans son monde d’obscurité.

Donne-lui quelque chose, un peu de ta confiance, un instant de ta vie. Soyez amis. Cebos ne prendra pas ton sourire mais il te le rendra toujours.


Vous pouvez suivre le travail de Cebos Nalcakan sur Facebook, Instagram et Youtube

Ou mieux, passez lui dire bonjour le 13 septembre 2017

Texte et photo de couverture : Yveline Ruaud
Yveline

Écrire la ville, les gens. Pour le reste, j’aimerais mieux ne pas trop en dire.

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Yveline

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