Chronique pour un bistrot ou apologie d’un lieu béni

Antibes le 6 février 2017
Bonjour mon tout petit.
J’espère que ce n’est pas trop tard, et surtout que cela te conviendra.
N’étant pas écrivain, c’est très difficile de raconter ce genre de choses. On a des idées plein la tête, des souvenirs, mais pour mettre cela dans l’ordre, c’est très dur.
Aussi j’ai raconté comme cela venait, en espérant que cela te sera utile. Par contre, tout est du vécu et d’une criante vérité, pourvu que tu sois satisfaite.
À part cela, comment vas-tu ? Comme les nouvelles sont rares, on est toujours un peu inquiets Mana et moi.
Si tu es contente de mon travail, fais-le moi savoir.
Gros gros bisous à toi mon coeur et bon vent pour ton prochain voyage,
Ton Papy

Étymologie du mot bistrot : dans le dictionnaire étymologique, rien d’explicite à propos de ce mot.

« L’insolation de Bercy »

Le bistrot n’est pas un lieu de perdition. Je le proclame, je le revendique, je le crie haut et très fort.

Ceux qui disent cela sont souvent ceux qui boivent en cachette, dans leur coin.

Je suis bien placé pour le dire, avec ma belle-famille qui considérait que quelqu’un qui entrait dans un café était un poivrot.

Le type qui entre dans un bistrot est un dépravé, un moins que rien ! Laissez-moi rire… ah ! ah ! ah !

Mon exemple est là pour le démontrer. Ma première « cuite », je l’ai eu à 10 ans. Les paysans des moissons dans le Loiret où j’étais en vacances m’avaient fait boire un fond de vin blanc.

La deuxième, à Saint-Fargeau : mon beau-père l’a appelée mon « insolation de Bercy ».

Et la troisième, à l’armée, quand j’ai arrosé la quille.

Aucune d’elles n’a été provoquée au bistrot ; alors ! Vous voyez bien !

Je vous rassure, cher lecteur qui, avec bonté se penchera sur ces quelques lignes, je me suis rattrapé.

« De l’hydromel et du vin » : petit historique du bistrot

Le bistrot est l’une des plus vieilles constructions que l’on connaisse.

Chez les Romains déjà, il y avait des endroits pour cela. On devait y boire de l’hydromel et du vin.

Dès qu’un village se construisait, on installait la mairie. Le docteur, la poste et… le bistrot.

Pourquoi l’homme normal ressent-il le besoin, souvent impérieux, de se désaltérer ? Parce qu’il a soif bien sûr. Mais cette soif est provoquée par le travail des champs : la France était essentiellement agricole, comme on l’apprenait à l’école.

Donc, si l’on résume, le bistrot est l’endroit incontournable, le lieu béni des dieux, où tout se passe ou alors « où tout doit se passer ».

« Un lieu de rendez-vous où l’on va sans être attendu »

Mais revenons à l’essentiel, qu’est-ce qu’un bistrot ?

C’est un lieu de rendez-vous où l’on va sans être attendu. Le décor est quasiment le même à travers le monde : le saloon aux États-Unis, le bistrot en France, le Gasthaus en Allemagne, le pub chez les Rosbeefs… Au Moyen-Orient, on y joue beaucoup aux cartes, aux dames et autres jeux.

Les célèbres cafés de Vienne, très côtés au 19ème siècle et toujours à la mode aujourd’hui.

Chez les Allemands, les bistrots n’ont pas de vitrine comme chez nous. Ce sont des endroits fermés sur la rue, qui ne « paient pas de mine », juste signalés par des plaques publicitaires.

Les Anglais, avec leur pub, ont une vitrine, toujours fermée cependant et avec des vitrages opaques.

En Belgique, c’est comme chez nous, de grands cafés largement ouverts.

Le sanctuaire du bon goût de vivre

Premier réflexe à avoir quand on pénètre dans un bistrot : le coup d’oeil d’ensemble. C’est propre ou ça ne l’est pas.

En règle générale, si les murs sont sales, que par terre ça n’est pas propre, on peut être sûr que les cabinets ne seront pas nets.

Car « toilettes sales, patron pas net » ; cette maxime n’engage que moi, mais je la garantis.

Bercy : « les vins de France affluaient pour inonder la capitale »

Il y a eu des périodes plus ou moins fastes dans le domaine de la restauration.

Tout a un rapport avec la campagne. Un jambon beurre (bon pain, bon jambon, bon beurre) sera meilleur près d’une ferme qu’à la Défense.

80% des cafés servent un vin souvent dégueulasse (gros qui tâche). C’est un 12º5 très ordinaire.

Les 20% qui restent font l’effort de servir un bon vin.

Mais là encore, cette baisse de la qualité correspond avec la disparition de Bercy : la halle aux vins.

C’était une ville dans la ville, un quartier avec des rues, des hangars, des voix ferrées où tous les vins de France affluaient pour inonder la capitale.

On disait : « Ah ! Dis donc, je viens de boire un verre chez René, c’est un « bon p’tit vin ». »

« Surtout si c’est un regard féminin »

J’éviterais de parler de notre époque actuelle, qui ne reflète plus rien.

Aujourd’hui, si les gens se rencontrent, c’est pour barbouiller la statue de la République de graffitis ou gueuler dans les rues, mais pas du tout pour parler entre soi, échanger des avis, s’engueuler souvent… mais être ensemble.

On ne se connait pas et c’est là où (pour moi), se situe le meilleur moment dans un bistrot. Les yeux s’y croisent, s’interrogent, se scrutent, s’apprécient (ou pas)… surtout si c’est un regard féminin.

À noter que cette dernière phrase tient compte du fait que, depuis peu seulement, les femmes fréquentent les bistrots seules.

C’était très mal vu qu’une femme, même du peuple, entre dans un café pour boire.

Je n’ai pas de meilleur exemple que ma femme, qui, avant de me connaître n’avait jamais mis les pieds dans un café, et ensuite, hésitait à y entrer.

Encore aujourd’hui, jamais elle n’entrera seule dans un café.

L’émancipation de la femme a bouleversé tout cela et, à ce jour, il y a beaucoup de femmes qui passent un moment assises ou debout au comptoir.

Refaire le monde le temps d’un petit blanc

Bien sûr, c’est là qu’on va tomber sur un poivrot, un gars qui a un coup de trop dans le nez… Il est évident que l’on trouvera plus de soûlards là qu’au Théâtre des Champs Élysées ! Mais c’est aussi là que l’on va découvrir ces personnages pittoresques, qui vont refaire le monde, le temps d’un café, d’une bière ou d’un petit blanc.

Monsieur Tout-le-monde va se désaltérer et non pas « se torcher », « se piquer le nez », « se piquer la ruche » ou « se défoncer » (voilà quelques exemples « des appellations » du mec bourré).

« Un mauvais beurre (quand ce n’est pas de la margarine) »

Dans un bistrot, on boit d’accord, mais on mange aussi. Et là, on peut souligner l’endroit où se trouve le café.

Par exemple, vous ne mangerez pas la même chose Boulevard Saint-Germain à Paris et à Bammos, petit village près de Provins en Seine-et-Marne.

Boulevard Saint-Germain, vous aurez un « jambon beurre » avec un mauvais pain, un mauvais beurre (quand ce n’est pas de la margarine) et un mauvais jambon. Par contre, à la campagne, vous trouverez souvent un bon pain et un pâté ou une terrine tellement parfumée qu’on pourrait s’en mettre dans le cou, comme une crème de jour.

« Les Routiers »

On disait souvent qu’une file de poids lourds devant un Routiers, on pouvait s’arrêter car la place était bonne.

Et c’était souvent vrai.

La chaîne de restaurants-bars Les Routiers était une chaîne spécialisée dans la restauration des « gens de la route » : chauffeurs routiers, représentants, livreurs, etc.

Souvent on y trouvait une bonne viande, un vin correct, et surtout un prix très intéressant.

Le matin, ceux-ci ouvraient très tôt et servaient un excellent café et des croissants tous chauds.

On pouvait aussi petit déjeuner avec du jambon, des oeufs et de la charcuterie.

Malheureusement, je parle au passé, car si je suis bien renseigné, il n’y a plus de Routiers d’ouverts (ndlr : il en existe encore notamment à Paris ou Saint-Denis). La raison en est sans doute le réseau d’autoroutes qui enlève toute ruralité à la chose, bien que l’on trouve encore de très bons menus dans les restaurants d’autoroutes.

« Un havre de sympathie, d’accueil et de convivialité »

Mais revenons donc aux bistrots. Je désignais plus haut les bistrots de campagne. Quand on entre dans la village, il y a souvent une pompe à essence et à côté, le café avec le téléphone (très important). Souvent assez délabré et ne payant pas de mine parce que les anciens n’avaient rien fait.

Des générations se sont succédées dans ce bistrot, sans pour autant entretenir le local.

L’appartement, toujours au-dessus, n’était pas dans un meilleur état et pas toujours d’une grande hygiène. Vous entrez là, ça sent le vin, le pâté, le pain… et le cheval car le forgeron n’est pas loin.

Je décris là le bistrot de campagne très retiré et avec peu d’activité mais qui est aussi un havre de sympathie, d’accueil et de convivialité que l’on ne trouve nulle part ailleurs.

Je sais qu’il en reste au fin fond de l’Auvergne ou du Berry, ces petits coins où il y a toujours une omelette bien baveuse ou un steack et quelques frites… le tout arrosé d’un verre de vin rouge.

Aujourd’hui, les gens ne se parlent plus, sauf pour s’engueuler. Pour se réunir, ils font des associations (loi 1901 comme ils disent) : ils sont là autour d’une table, jacassent pendant une heure et se quittent comme ils sont venus.

« Il suffit de passer la porte »

Les endroits dont je vous parle, il y en a encore beaucoup, il suffit de pousser la porte.

Bien sûr, si on est dans le coin pour une heure ou deux, on prend un café et on s’en va. Mais si on doit rester, c’est dans le bistrot que l’on fera des connaissances.

Évidemment, il faut y mettre du sien, aller vers les gens, leur parler.

Moi, j’ai ma méthode : j’écoute, j’observe, je risque une remarque sur la conversation de mes voisins… et là, j’ouvre une parenthèse (souvent, lorsque des gens parlent sur un sujet d’actualité… politique, etc. tout en parlant, vous jettent un oeil et donc quelque part sollicitent implicitement votre approbation ; c’est là que vous vous permettez un grand sourire).

Le sourire est très important, en toutes circonstances.

Ça ne marche pas à tous les coups, mais je n’ai eu que peu de ratages.

J’insiste sur le fait suivant : il n’y a qu’au bistrot que cette situation nait.

On devrait essayer au milieu d’une banque ou d’une caisse d’épargne… je suis à peu près sûr du résultat…

Message aux détracteurs des bistrots

Je plaisante bien sûr, mais il faut remettre les choses dans leur contexte.

Pour moi, les détracteurs de bistrots sont maussades ou anorexiques, ignorants ou condamnés par un régime drastique. Toujours est-il que ces gens n’ont aucun mot à dire.

Surtout que, dans ce genre de situation, ils ne sont au courant de rien, ne savent pas et surtout ne veulent pas savoir.

Il suffit qu’un adulte leur dise « le bistrot est un endroit où les gens tombent à bout d’alcool ! » et ils le croient.  

C’est insensé ! Il faut retourner la situation, c’est une question de salubrité publique !

Jean-Pierre Giraud

Grand amateur de bistrot à haute dose.

P.s. : les ratures sont offertes.


Dessins et texte : Jean-Pierre Giraud

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