Drague Deux : paillettes, mode, fun et performance mais pas que…  

Organisé dans un ancien parking devenu résidence d’artistes, Drague Deux est un défilé travesti qui allie à la fois mode, fun et performance. Mais sous ses airs de fête à paillettes, Drague n’en est pas moins politique. 

« À l’origine au Péripate, puis à l’Amour »

À la tête du projet, on retrouve notamment Rosie Browning (jeune créatrice anglaise passée par Givenchy) et une formidable équipe dont Aladdin et Alexandre Gain (de Péripate et de L’Amour, deux lieux alternatifs parisiens), pour ne citer qu’eux. Envisagé à l’origine au Péripate, puis à L’Amour, le refus de la Mairie et la pression de la Préfecture (une procédure d’expulsion est en cours à L’Amour) ont obligé les organisateurs à déménager l’événement. La deuxième édition de Drague a finalement eu lieu au FDP, ancien parking et désormais résidence d’artistes implantée dans le 18ème arrondissement.

Il vient d’être 19h30. Bien avant mon arrivée, toute cette équipe s’est attelée à installer scène, système son et lumière. Un grand portail sépare l’entrée de la salle des défilés. Au milieu de la salle, un long podium, autour duquel les invités prendront place librement.

Sur la piste Rosie donne aux garçons les dernières consignes pour défiler. En coulisse c’est un joyeux bordel, les stylistes effectuent les dernières retouches, les modèles achèvent leurs essayages et les maquilleurs balancent leurs derniers coups de blush. Dans ces vestiaires improvisés, les gens s’agitent dans tous les sens. C’est l’excitation. Ça et là sur des tables quelques traces de « talc ».

 

Sur le coup de 20h les premiers invités arrivent. Ils sont nombreux à s’être déplacés pour cette seconde édition. Le public est relativement hétérogène : il se partage entre des modeux, des branchés sapés comme jamais et des énergumènes, dans mon genre, un peu moins portés sur les vêtements. Avec mon regard d’expert bidon, je peux affirmer que d’autres s’en foutent encore plus. Immanquablement, on retrouve dans le public ceux qui attendaient l’événement et savent précisément pourquoi ils sont là. Tandis que certains, le regard dispersé, semblent se demander ce qui va se passer. Drague, c’est un peu cet évènement ou tu croises des gens perdus de vue depuis longtemps : « Bah ça alors Estelle, comment tu vas ? ».

 

« Les peaux suintent, les chemises et les robes sont trempées »

Puis le show débute : au total ce ne sont pas moins de 50 silhouettes et tenues en tout genre qui défileront. De la robe de mariée en dentelle au remix d’une tenue d’éboueur, des corps quasi-nus recouverts de paillettes d’or au bomber retourné et retapé avec des chutes de jeans, tout y passe… Drague revendique de travailler avec des pièces vintage ou chinées, pour un impact minimal sur l’environnement.

Le public est aux anges, il crie et siffle pour les modèles qu’il préfère. Il fait chaud, très chaud ! L’ambiance est électrique. Les peaux suintent, les chemises et les robes sont trempées. C’est un peu la douche avant l’heure puisque dans quelques minutes il tombera sur Paris 49 millimètres de pluie en une heure, record depuis 1995. L’eau finira même par s’infiltrer dans le bâtiment en fin de soirée.

 

À 21h le show est plié. Dernier tour de piste pour nos modèles qui s’en vont sous des tonnerres d’applaudissements. Pour certains, le retour au vestiaire s’apparente à une petite délivrance. C’est le moment de retirer les chaussures de 10 centimètres, de se démaquiller, de s’asseoir et de souffler un peu.

Quelques minutes plus tard, la salle est vide, ne sont restés que ceux qui ont souhaité éviter l’orage ou qui essayent de s’incruster dans une soirée imaginaire cachée dans les étages.

« Dédramatiser le fait de s’habiller en femme »

Comme le souligne Rosie l’idée c’est d’abord de « déguiser ses potes en drag ». Toutefois, on ne peut s’empêcher de se dire que sous ses airs de paillettes et fun, l’événement Drague n’en est pas moins politique. Pour Alexandre, cet évènement qui permet à tout le monde de se travestir, sans forcément vouloir aborder les questions de genre et de sexualité, participe à « dédramatiser le fait de s’habiller en femme. »

Des propos s’inscrivent dans la lignée des travaux de Sam Bourcier. Maître de conférences à l’université Lille III, il est à l’origine de nombreuses publications sur les cultures, théories et politiques queer, les subcultures sexuelles (comme le SM), les féminismes, les transféminismes, les minorités et les politiques identitaires en France et à l’étranger.

Le « Queer Move/ments », dans lequel s’inscrit le défilé Drague peut de prime abord apparaître artificiel dans la mesure ou cette « science maîtrisée de l’outrance »  met en avant la performance et la mise en scène des corps et des actes. Toutefois prévient-il, la performance ne doit pas masquer « l’importance des propositions concernant la politique des identités et les capacités de subversion que recèle la manipulation des « différences ». 

À travers un défilé décontracté et fun, chacun est amené à interroger son rapport au corps et au genre. Chacun peut se donner un rôle, explorer sa féminité et tester son apparence. Il est important que ce type d’espaces  inclusifs et bienveillants existent en ville. Des espaces libérés des règles habituelles du genre où l’on peut jouer avec son identité et sa sexualité.


Texte et photos : RM

RM

Le roi est mort, vive Bourdieu !

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