Le tatoueur français Butcher X vit en Belgique mais voyage pour le tatouage. Nous l’avons rencontré à Toulouse. Portrait d’un homme désenchanté au franc parler.
« J’emmerde demain et après-demain », peut-on lire sur le tee-shirt de Butcher X. Le ton est donné, l’état d’esprit sera punk. De taille moyenne, l’homme brun n’a pas l’étoffe d’un conducteur de Harley Davidson. Mais son phrasé est trash, franc et parfois dur. Tatoueur, graffeur et pochoiriste, Butcher X, de son prénom Guillaume, est très renommé en Belgique. Il a monté son salon à Bruxelles, la Boucherie Moderne, et a donné naissance au collectif Boucherie Atelier Moderne. Il lui arrive de passer par Toulouse, dans la Green Galerie située rue du Coq d’Inde. Ce salon, en plus de proposer de se faire tatouer, organise des expositions. « C’était il y a une dizaine d’années, je voulais acheter de la drogue à Toulouse, c’est comme ça que j’ai rencontré les gens du shop », explique l’homme de 42 ans en riant.
Entre le va-et-vient des clients et le bourdonnement régulier de l’aiguille dans l’arrière-boutique, Guillaume trie ses pochoirs. Un piercing à chaque oreille, des bras entièrement tatoués, l’apparence du bonhomme est atypique. « Le tatouage c’est pas juste fait pour être beau. » Selon lui, le tatouage comme subversion a laissé place à un objet de consommation. « Tout ce qui se démocratise, c’est de la merde. » Le ton monte. « Il y a une différence entre ceux qui viennent se faire tatouer et ceux qui achètent un tatouage », dit-il avec fermeté. Une touche de nostalgie et un fort caractère.
Butcher X envisage son art comme un moyen de faire passer un message. Son style graphique rappelle celui des images de propagande. Le pochoiriste aime les formes ordonnées. S’il est aujourd’hui son propre patron, il connaît cependant bien la hiérarchie. « J’ai fait six ans à l’armée, j’ai tiré au lance roquette et j’ai fait partie de l’infanterie marine coloniale », raconte-t-il. Le tatoueur ne cache pas son goût pour l’ordre et la politique. « J’étais militant politique plus jeune, l’engagement je connais », avant de poursuivre « je suis à la limite du rouge et du brun, du communisme et du fascisme. »
Illusions perdues
Butcher X, c’est aussi un univers psychédélique plus obscur. Des formes géométriques parfois abstraites se mêlent aux références politiques. « J’aime le LSD, il n’y a rien à expliquer, ça se sent et ça se vit. » Des petites croix sont nichés sous ses yeux. Ce ne sont pas des tatouages mais les années qui ont laissé leurs empreintes. Entre ordre et destruction, entre pochoirs pleins de vie et visage fatigué. Sur son mollet gauche, une araignée est pendue à sa toile. Il ne veut cependant pas dévoiler sa signification. « Ce sont des souvenirs douloureux, des époques de ma vie. » Mais tous ses souvenirs ne sont pas amers, « il y a deux-trois tatouages qui me rappellent des moments de complicité », nuance-t-il.
Quinze heures passées, Guillaume prend la direction du magasin toulousain « Eight Ball ». Il lui faut quelques bombes pour réaliser une peinture sur la devanture de la Green Galerie. « Je suis venu dans le sud pour le soleil mais il ne fait que flotter », lâche-t-il d’un ton goguenard. Le soleil, il l’a connu. Quand il était en Martinique entre 2002 et 2004. Depuis, il s’est fait une raison et supporte la pluie bruxelloise. Selon lui, peindre dans la rue est essentiel avant de prétendre à exposer des toiles de Street Art dans les musées. Il peint depuis l’âge de 14 ans, le bonhomme a de la bouteille. « Maintenant il y a plein d’arrivistes qui se prétendent graffeurs ou tatoueurs sans jamais avoir pratiqué ! »
Le concept d’exposition dans une galerie lui déplaît presque autant que les intermédiaires. « Je suis contre tous les intermédiaires, ce sont des parasites. » Butcher X a longtemps formé des apprentis tatoueurs dans son salon. Aujourd’hui, ses illusions se sont envolées. Il voit la plupart des hommes comme des êtres intéressés qui, une fois qu’ils ont le sentiment d’avoir pris ce qu’ils avaient à prendre, coupent les ponts. Guillaume est déçu d’une grande partie de ses anciens apprentis. Selon lui, ils n’ont pas tous été honnêtes. « Bon ça s’écrit avec un « c » chez moi », lâche-t-il tristement.
« Je vote tous les jours dans mes choix de consommation »
Après avoir englouti un panini, Guillaume agite une bombe aérosol rouge. « Ting ting ting », le bruit de la bille de peinture résonne dans la rue du Coq d’Inde. Sur le pochoir, on distingue les personnages d’Orange mécanique. Les cultures skin et punk occupent une grande place dans son art et dans sa vision des choses. « Je suis un peu anarchiste. » Il n’est pas allé glissé son bulletin dans l’urne lors de l’élection présidentielle. « Je vote tous les jours dans mes choix de consommation », souligne l’homme en tirant une bouffée sur sa cigarette. Commerces artisanaux de proximité et produits français sont ses maîtres-mots. Guillaume est désenchanté par les relations humaines. Par la politique aussi. « Hamon me fait rire avec le revenu universel, en Belgique on vient de l’arrêter. Tu sortais de l’école avec un SMIC à vie, ça poussait pas à travailler. »
Selon lui, les parasites sont aussi bien dans l’élite que dans les classes populaires. « Et ouais, je suis un blasé de la vie ! »