Interview | Nicolas Sene – « Le bruit de ma ville en fond, toujours »

Nicolas Sene, c’est un jeune réalisateur qui « essaie de faire ce qu’il aime ». Nanterrien du quartier Picasso, il nous attend au pied des Tours Nuages avec un sourire grand comme le monde et des bonbons. Amoureux de son quartier, des paradoxes et du cinéma, il nous raconte les projets qui ont marqué ses trois dernières années, les clichés qu’il veut déconstruire et son cinéma, qui l’aide à panser les plaies d’une société pleine de cassures, de talents et d’espoir.

Une des Tours Nuages du quartier Pablo Picasso à Nanterre

Comment t’es venue l’envie de filmer ta cité ?

J’ai commencé la vidéo en 2014. À la base je voulais juste écrire mais j’ai commencé à regarder des vidéos sur internet, à scruter mon environnement et à apprendre. Je suis passionné par ce que je fais, ça me démange. Un jour j’ai décidé de prendre mon réflexe et de filmer mon pote boxeur, les petits de la cité, le maire et la diversité de Picasso… J’ai commencé à me prendre au jeu et j’ai monté un premier court métrage de 3 minutes 30 appelé Les Picasso. Je l’ai envoyé à Cannes alors que les inscriptions étaient déjà fermées. Deux jours plus tard, on me sélectionne pour le Festival. J’étais comme un fou. On est parti à quatre, en costard et en noeud papillon (c’est obligatoire là-bas). Je regardais partout. C’est pas un monde si différent de la cité, c’est ouvert, les gens ont l’air de s’en foutre des différences. Tu parles cinéma et tu montes les marches, tout seul.

Après ce premier succès, tu es parti au Sénégal pour tourner un documentaire sur la banlieue de Pikine. Tu nous en parles ?

Cette expérience là a un peu tout déclenché. C’était mortel !. J’avais envie de continuer et du coup en août 2014, je suis allé au Sénégal avec des potes pour un projet docu : on partait pour capter des images et rencontrer des jeunes de la banlieue de Pikine. On a été pas mal soutenu pour partir là bas, notamment par la ville de Nanterre et la région Île-de-France.  Ce qui m’a frappé c’était de voir tout ce qui rapprochait ma banlieue de celle de Pikine dont est originaire une partie de ma famille. C’était incroyable de voir ce qui nous rapproche, nos différences, ce qu’on fait de notre vie, les dynamiques qu’apporte l’endroit où tu grandis, ton cocon, ta ville.

Le quartier Pablo Picasso vu depuis le parc

Tu as été surpris par la proximité de ces deux banlieues lointaines?

Quand je dis qu’on se ressemble, je parle de la relation qu’a Nanterre avec le cœur de Paris et de celle qu’a Pikine avec Dakar. Ce que j’ai réalisé c’est que dans les deux cas il y a de l’indifférence, qu’on reste dans nos bulles et que la cassure banlieue-grande ville est vive, quoi qu’on puisse en dire. Mais qui nous dicte de rester dans nos mondes ? Pour moi c’est juste une question d’envie. Rien ne nous empêche de passer de l’autre côté du périph, rien ne nous empêche de sortir et de s’ouvrir, de rencontrer et de kiffer. Rien ne nous empêche non plus de faire un projet ensemble, de créer et d’apprendre. C’est un peu bateau ce que je dis mais la réalité c’est qu’au fond on veut tous subvenir à nos besoins en faisant ce qu’on aime. Alors oui venir de Nanterre ou de Pikine nous prive parfois des moyens nécessaires ou même juste des idées qui feront qu’on passe le cap, mais l’envie reste une option qu’on néglige trop souvent. On a besoin de booster ces envies, ou que quelqu’un les booste pour nous.

«  Ce que j’ai réalisé c’est que dans les deux cas il y a de l’indifférence, qu’on reste dans nos bulles et que la cassure banlieue-grande ville est vive, quoi qu’on puisse en dire. Mais qui nous dicte de rester dans nos mondes ? Pour moi c’est juste une question d’envie. »

Nicolas Sene devant une des Tours Nuages de son quartier Pablo Picasso
Justement, tu peux nous parler de la proximité que tu as avec Picasso, ton quartier ?

Elle est forte : c’est la vie du quartier qui m’a poussé à faire ce que je fais aujourd’hui. Pas besoin de raconter de fausses histoires, elles sont déjà toutes là. C’est riche à Picasso. Ce que je dis tout le temps c’est que ça peut pas être un frein de venir d’où tu viens. C’est ce qui t’a construit ; reste à toi d’en faire ressortir le positif. Ce qui est fou aussi c’est qu’il n’y a que moi qui peut faire ça : venir filmer dans le quartier. Tu peux pas venir comme ça et filmer des mecs dont tu ne connais rien. Et si tu le fais ton docu sonnera faux, de toutes les manières. Ce sera une image sans vérité qui alimentera les frustrations et les stéréotypes. Si ce que JR et Ladj Ly ont fait à Montfermeil marche si bien c’est parce qu’ils ont fait ressortir le positif et la diversité de leur quartier, des gens qu’ils connaissent si bien et des dynamiques qui les ont aidés à réussir dans ce qu’ils aiment. Il n’y a pas de mots, c’est du très très lourd. Du 10/10 ce featuring. Ça peut pas être un frein de travailler pour la beauté de ton quartier. Si c’est pas les gens du quartier qui se bougent et qui le font, qui le fera ?

« C’est la vie du quartier qui m’a poussé à faire ce que je fais aujourd’hui. Pas besoin de raconter de fausses histoires, elles sont déjà toutes là. C’est riche à Picasso. »

Tu crois que tu inspires les gens autour de toi?

C’est une réalité que tu peux pas effacer ; quand autour de toi ça bouge dans le bon sens c’est plus facile d’avancer. Je ne sais pas si je donne des envies d’aller plus loin mais au moins je rends les petit.e.s curieux. Quand j’ai passé le BPJEPS j’ai vraiment eu envie de les inclure dans mon projet. On a créé un musée éphémère dans le quartier. Le thème c’était « l’amour de son quartier ». On a pris des photos, dressé le portrait des Picassos et monté une exposition qui est restée un jour au coeur de la cité. C’était ouf de voir leur implication : ils étaient fiers d’être commissaires d’expo, de guider le Maire, les habitants, les journalistes… Ce diplôme m’a vraiment aider à grandir, à mesurer le pouvoir d’agir dans les quartiers, à mesurer l’impact d’un acte citoyen sur les jeunes.

Créer des ponts

À côté de ça la réalité te rattrape. Souvent. Pendant longtemps j’ai voulu créer un projet micro-trottoir avec les petit.e.s de l’espace jeunesse : un projet avec des interviews, des scènes qui donneraient un court métrage à la fin. J’ai jamais réussi à le finir. Pendant que tu prends ton temps, certains petits deviennent des ados turbulents et le réel prend d’un coup un goût beaucoup plus amer. Ca te désole un temps… et puis ça te pousse à repenser ton projet. La passion que j’ai ne disparaît pas, et l’idée que l’art et la culture peuvent devenir des moyens d’insertion me guide. Il y a une cassure quelque part, tout le monde le sait. Mais la clé c’est l’ouverture. Personne à Nanterre ne peut te dire qu’il lui est interdit d’aller au théâtre, que quelqu’un l’a empêché d’y entrer ou qu’il est inaccessible : il est au pied de la cité ! C’est juste une barrière qu’on a intériorisé, et un lieu qu’on a tendance à oublier.

La vie de la cité Picasso continue d’influencer tes (futurs) projets ?

Oui, et ça va plus loin que ça. C’est Picasso lui-même qui m’influence. Après avoir été lauréat du projet « Filme ton quartier » (France 3), j’ai voulu faire quelque chose d’encore plus grand avec France Télévisions. Avec Eliott Maintigneux, on monte depuis décembre une websérie. On est en phase de réécriture en ce moment. La proximité que j’ai avec mon quartier a plu et a porté ses fruits : il y a 6 épisodes, inspirés de six œuvres de Pablo Picasso – dont Guernica, Les Demoiselles d’Avignon, l’Arlequin et la Femme qui Pleure – et des regards croisés de ma cité. Tous les épisodes sont inspirés du vécu à Picasso et de ce qui s’y passe encore aujourd’hui.

« J’ai envie de filmer le pouvoir d’agir de toutes ces femmes de la cité qui s’investissent (…). C’est un parti pris de changer l’image qu’on a encore des banlieues en 2017. C’est faire une contre-enquête. »

Pour vous donner un exemple concret, La Femme qui Pleure sera inspirée d’une maman – Zouzou – qui a perdu son fils Christian tué par une balle perdue à l’été 2015. C’est violent mais j’ai envie de parler de cette violence différemment. J’ai envie d’explorer le ressenti d’une maman plutôt que de mettre en avant la violence des cités à laquelle on est au final peu confronté. J’ai envie de gommer ce fantasme que nourrissent parfois volontairement les médias et l’imaginaire qu’on se fait des banlieues. J’ai envie de montrer autre chose. À côté de ça pour L’Arlequin, j’ai envie de mettre en scène trois jeunes talents du quartier, chacun dans son domaine, et de faire des portraits croisés. Pour Les Demoiselles d’Avignon, j’ai envie de filmer le pouvoir d’agir de toutes ces femmes de la cité qui s’investissent, à l’intérieur et en dehors. C’est un parti pris de changer l’image qu’on a encore des banlieues en 2017. C’est faire une contre-enquête.

Tu as toujours bataillé pour casser les clichés ?

Pas vraiment mais j’ai toujours aimé les paradoxes. J’ai toujours aimé m’ouvrir aux choses qu’on imagine pas sur la banlieue. Dans le cinéma j’ai toujours essayé de casser la structure des reportages avec des scènes et des plans originaux. Par exemple, j’ai fait jouer une fille qui parle la langue des signes dans Les Picasso. J’aime beaucoup mettre de la musique classique aussi. Pour le concours photo « Clichés contre Clichés », j’ai ramené les moutons de la fac de Nanterre à Pablo. Sur la photo on voit les moutons de la Ferme du bonheur avec leur berger et deux petits de la cité sur leurs vélos. C’était un petit clin d’oeil à La Haine.

Nicolas Sene et un des moutons de la Ferme du Bonheur
D’ailleurs, quelles sont tes influences cinématographiques ?

Je suis influencé par plein de trucs. J’ai un rapport spécial à l’image et à la capture des vrais instants. Je suis fan de Scorsese, de Terrence Malick, de Tarantino, de Spike Lee… J’aime aussi tout particulièrement Audiard et Dolan. Lui il est bouillant, être récompensé à Cannes si jeune comme ça… En film j’aurais voulu réaliser Le Parrain. Ou Écrire pour exister.

« J’ai envie d’échappées belles aux quatre coins du monde, et le bruit de ma ville en fond, toujours. »

Ok alors on écrit ton prochain film. Ton casting de rêve ?

Tu te rends pas compte à quel point je suis fou (rires). Mon rêve c’est que dans ma webserie « les Picasso », Vincent Cassel applaudisse, me demande pas pourquoi. On irait ensuite la présenter dans un quartier brésilien – j’ai adoré La Cité des Dieux. Belmondo aussi j’aimerais bien, Adèle Exarchopoulos, Nathalie Baye, Leïla Bekhti, Marion Cotillard. J’adore Di Caprio, Denzel Washington, Anthony Hopkins. Et puis il y a les inclassables : Al Pacino, De Niro…

Mais je ne suis pas assez curieux encore, je devrais être plus geek, toucher à tout. J’ai plein de projets pour la suite, il faut que j’aille au bout. J’ai envie d’échappées belles aux quatre coins du monde, et le bruit de ma ville en fond, toujours.

 


Texte : Shanice Mendy
Photos : Fiona Forte
Shanice Mendy

Shanice retranscrit la beauté de ce qui rythme nos vi(ll)es, de ce qui donne de la couleur. Paris est la plus belle île de France, racontons-la...

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Shanice Mendy

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