Ce Truc Flotte a édité 2 fanzines en 4 ans en entretenant un mystère opaque. Un sur la Petite Ceinture, et l’autre sur le MI 84, un modèle de trains du RER A. Revendiqué comme “une organisation clandestine de graphistes aux projets obscurs”, ce collectif passionne les ferrovipathes et intrigue les autres . Le rendez-vous est pris, un samedi radieux dans la fraîcheur de sous-bois de la Petite Ceinture sud.
AA : On vient tous de la même école où on a fait un BTS de graphisme ensemble. Au départ c’est un délire entre quatre potes. Quand t’es en graphisme tu passes la journée à regarder des sites d’inspiration graphique de merde… Il y en avait un qui s’appelait But Does it Float, pour se changer la tête pendant les cours, comme en réponse, on avait créé un blog qui s’appelait Ce Truc Flotte. On y postait des conneries sans explications entre nous. Quand on a arrêté le BTS on a voulu continuer à faire des trucs ensemble. Sans trop savoir quelle forme ça prendrait, on a gardé le nom Ce Truc Flotte avec un logo débile : une brique qui flotte.
FF : Disons qu’on fait des fanzines et de la micro-édition. Notre premier projet portait sur la petite ceinture, un petit recueil de photos sans aucun texte, et le second qu’on sort maintenant là, c’est sur le MI 84.
AA : On n’a pas de prédilections pour les trains ou les chemins de fer en particulier hein, c’est juste des projets qui nous sont tombés dessus un peu, et qu’on a fait à fond parce qu’ils nous plaisaient.
JJ : On cherchait un truc à faire ensemble quand la ville de Paris a annoncé qu’ils allaient tout casser ici. L’idée c’était de garder des traces, faire de la sauvegarde avant qu’il y ait des armées de touristes qui arrivent. On avait pas d’attachement avec ce lieu avant, mais c’était un bon moyen de se réunir. On a dû y aller une dizaine de fois pour collecter suffisamment de photos.
AA : Ce qui nous réunit c’est quand même la photo, le graphisme et le format fanzine. On voulait faire ce livre mais on avait zéro thunes. Au départ on en a fait 20 pour voir si on en était capable, si c’était intéressant et que ça plaisait aux gens. C’est MM qui a fait ça à son école le soir en loucedé. C’était que de la récup’ : on a récupéré du papier chez ma tante pour les bandeaux. Ces 20 là ont été vendus assez vite à la main…
FF : J’en ai vendu pas mal aux Lil’Art, une sorte de marché d’art aux Lilas pour les gens du Nord Est de Paris. J’avais un stand pour les photos de mon père qui est mort récemment, et j’ai mis notre projet sur le côté. C’est le truc qui est le mieux parti. Les gens étaient très intrigués.
AA : En voyant que ça marchait on s’est dit qu’on allait en refaire cent exemplaires un peu plus sérieusement. Il fallait des fonds pour faire ça alors on s’est cotisés et on s’est lancés. Au départ on voulait faire des trucs avec zéro thunes. A l’arrache en grattant à droite et à gauche. Mais on s’est rendu compte que ça allait être trop galère avec l’impression.
AA : On peut en parler ça des imprimeurs parce que c’est une galère de fou. Sur internet il y en a plein qui font des fanzines, ils partent du principe que c’est pas prise de tête, que tu n’as pas trop d’exigences.
JJ : Le principe du fanzine c’est que c’est amateur fait avec les moyens du bord…
FF : Mais comme tous les quatre on est assez exigeants sur la qualité, ça collait pas.
AA : Du coup on allait plutôt voir les gens de l’édition. Même pour de la petite quantité, parce que c’est plus sérieux. On a démarché une quantité énorme d’imprimeurs…
FF : Le projet de la Petite Ceinture on a galéré sur le rendu des noirs, parce qu’on bossait en noir et blanc et qu’on voulait des contrastes assez forts. Mais le deuxième ça a été encore pire, à cause des couleurs. Pour résumer simplement, les imprimeurs ont des enjeux commerciaux et nous on a des envies techniques assez poussées.
AA : Par exemple pour un test MM avait imprimé sur un toner. Une imprimante à la con mais qui avait donné un résultat trop stylé. On aurait dit que c’était fait main avec des imperfections et tout. Et on est allés chez des imprimeurs en disant “on veut ça”. Ils disaient “ouais pas de problème” et en fait ça n’avait rien à voir, c’était vraiment à chier. Des gris clairs dégueulasses et tout. Un des imprimeurs nous a même soutenu que c’était pas fait avec un toner mais avec une imprimante de professionnel. On pétait un cable si tu veux. Finalement on a réussi à faire ce qu’on voulait. Mais tu sais, c’est pas parce que tu as trouvé un bon imprimeur pour un projet que ça sera le bon pour le projet d’après. T’es obligé à chaque fois de redémarcher tous les imprimeurs. Celui du RER a coûté plus cher qu’on pensait, alors on a du mettre de notre poche. Mais on fait ça pour le plaisir, pour bosser ensemble.
AA : Oui on a tous fini les études. On bosse dans le graphisme ou en agence de com’. Moi parfois je colle des affiches et je vends des fromages enfin voilà quoi (rires).
FF : Pour Ce Truc Flotte on est notre propre client, ça nous laisse un maximum de libertés par rapport au taf en agence. On bosse presque tous sur du web donc bosser sur du papier c’est un plaisir.
JJ : Pour moi avoir le support physique c’est super important, je lis jamais sur tablette ou quoi. J’aime avoir le papier en main. Mais à l’avenir si on a l’occasion de bosser sur de l’installation interactive personnellement ça m’intéresse beaucoup.
AA : Je me souviens pendant mes études un chef d’entreprise était venu en classe, il nous disait “ouais faut partir sur le e-book, le livre c’est fini”, en fait c’est n’importe quoi, sur Instagram on voit que ya un gros engouement pour le fanzine, les beaux magazines et tout. On essaye pas de surfer là dessus non plus, on fait d’abord ce qui nous plaît. On a bossé 2 ans sur « Vive le MI 84 », on est des graphistes du dimanche, on fait pas ça tout le temps.
AA : Au départ le projet c’était de faire que des trucs obscurs, des photos crades, sur ce lieu qui au final est interdit au public (ndlr : se promener sur la petite ceinture est passible d’amende). On voulait pas être trop traçables. On partait du principe qu’on avancera dans l’ombre et que ça nous laisse la liberté de faire ce qu’on veut.
FF : Ouais on voulait pas d’emmerdes, vu que c’est assez sensible. Pareil vis-à-vis de la RATP. On veut pas se faire emmerder parce qu’on publie un truc avec des tags “Nique la RATP”. Dans le milieu des graffeurs ou urbex – les gens qu’on croise en faisant nos photos – tout le monde est anonyme. En plus le mystère excite la curiosité et ça nous plait bien. Mais bon en vérité tu cherches un peu et tu trouves nos noms.
JJ : Moi c’est la relation au passé qui m’intéresse énormément. Pouvoir me retrouver dans un lieu ou tu ressens ce que c’était avant, se couper de l’extérieur, du reste et pouvoir vraiment s’échapper. Ce genre d’endroits disparaissent progressivement dans Paris. Quand on bossait sur la PC on s’était baladé aux anciens frigo de Bercy, maintenant c’est plus difficile d’accès, c’est muré, ou squatté.
JJ : Ah mais j’adore ça aussi. Me retrouver devant Notre-Dame je trouve ça hallucinant. On croit qu’on connaît ça par coeur et tout, mais c’est des endroits impressionnant, aujourd’hui on est incapables de refaire ça. Je lis beaucoup de bouquins en rapport avec le 19ème siècle de Paris, le mouvement flâneur etc.
FF : Moi je fais toujours des photos avec dans l’optique de capturer un moment précis, un contexte. J’essaye de prendre des traces, de témoigner de moments ou de documenter. C’est encore la même démarche.
AA : En fait sur le RER A tu avais deux modèles de train. Une génération qui datait des années 60 et une autre des années 80. Récemment ils ont ajouté un autre modèle à deux étages, et progressivement ils ont modernisé la ligne et viré les anciens modèles. En général les gens sont contents que ça se modernise, avec des caméras, la clim’, des écrans, une meilleure lumière etc. Mais en fait en 2012 environ ya un type qui a commencé à taguer des insanités dans les wagons des trains qui n’étaient pas des MI 84. Il était super remonté que les MI 84 disparaissent, parce qu’il avait grandi dans ces trains et tout, alors ils taguait “vive les MI 84”, “allez tous vous faire enculer”, enfin bref des trucs horribles. Il faisait aussi sa propagande sur internet et c’est parti en cyberguerre pour savoir quel est le meilleur modèle. Evidemment il y avait plein des pro, des contre, et des trolls : c’est devenu complètement fou.
FF : C’est ça. C’est vraiment la culture internet puisque les citations sont tirées de forums bizarres. On a pas fait un livre pour prendre parti, on raconte les faits, tel qu’on les connaît et on met des citations en vrac.
AA : On a voulu rendre hommage aux trains et aux trolls. (Rires)
JJ : L’intérêt graphique était présent direct, on pouvait détourner les visuels de la RATP, réutiliser les typos, les couleurs de leur signalétique, mais avec des messages ignobles. Ca crée le contraste. Ca donne presque de la crédibilité aux propos haineux ! Et puis ce que j’ai trouvé assez fou c’est de voir à quel point on peut prendre les transports en commun tous les jours sans se douter que derrière ya des histoires comme ça. On a découvert qu’il y a des vrais passionnés de transports et du RER A, de trains en général quoi.
AA : En fait des fans de TGV yen a plein.
JJ : J’avais vu un reportage télé sur des gars qui connaissaient toutes les heures de passage de train pour être au bon moment au bon endroit pour prendre le train en photo.
AA : Ouais c’est le trainspotting !
AA : On peut pas comparer les trains au cathédrales, mais ça fait partie de la ville et du patrimoine. Ca fait des années qu’ils sont là, c’est le quotidien des gens.
JJ : C’est pas tant une volonté de défense du patrimoine dans un sens un peu conservateur, mais plutôt de sauvegarde et de mémoire. Je suis content d’avoir fait les photos ici parce que dans 5 ans le paysage n’est plus le même. Les rails seront recouverts – comme ils le sont déjà plus loin – par du bois pour que les gens se promènent plus facilement. Donc c’est important d’avoir ces traces.
FF : On est allés dans des dépôts et on a vu une centaine de trains, alignés, couchés les uns sur les autres, avec tout dedans, les sièges, les hauts-parleurs… C’était fou de montrer ça justement, l’abandon et le passage du temps. En l’espace de 6 mois on voyait la végétation arriver, ça devenait des épaves ou des ruines.
JJ : On en avait fait de temps en temps mais c’est surtout AA qui en fait. Personnellement j’en j’en ai jamais fait autant qu’avec Ce Truc Flotte.
AA : Moi j’en fais depuis que je suis gosse. Quand je vois l’engouement que ça provoque et que les gens appelle ça urbex je me marre. J’appelle même pas ça de l’urbex, c’est juste visiter la ville et des lieux abandonnés. Rien à taper de l’engouement.
JJ : On a pris les photos en 2013, on voyait pas autant de monde à l’époque, on galérait pas pour que le cadre soit vide sur nos photos. Aujourd’hui tu as vu toi-même, en 20 minutes on a vu passer 15 personnes.
AA : Il y avait un endroit où on allait souvent où tu as une vue assez stylée sur la BNF. On entre, on monte et on se rend compte qu’il y a un gars qui nous suit depuis qu’on est entrés dans l’immeuble jusqu’au toit. Il a une barre dans les mains et il commence à nous embrouiller pour des conneries genre “pourquoi vous rangez vos téléphones quand vous me voyez ?”. On comprenait pas. Au bout d’un moment, je perds patience je lui demande “Mais qu’est ce qu’il y a ?”, sans vouloir l’embrouiller mais avec un ton un peu sec tu vois. Là les autres me retournent vers moi comme si j’avais grave déconné. Gros moment de tension…
FF : On flippe tous parce qu’on est sur un toit et que c’est pas le moment de se frapper avec le gars. Finalement le truc se dégonfle tout seul, il voulait savoir si on était des graffeurs. Il voulait juste faire chier…
AA : Ah, il y a 8 mois on a trouvé une cave sous les rails, on y a mis un cadre avec une photo à nous. On pensait que quelqu’un le prendrait et en fait personne n’y touche, ou peut-être que personne ne l’a trouvé… C’est un endroit ou faut un peu se jeter dans le vide pour atteindre l’échelle donc on début on était flippés d’y aller. Finalement comme le cadre est là depuis un bail, il commence à moisir. On l’a pris plusieurs fois en photo depuis, il fait sa vie quoi. Si ya des fans qui nous lisent, on vous laisse trouver… C’est une pièce unique ! (Rires)
AA : On a annoncé la sortie le 12 juin. On compte composter le livre avec les machines RATP pour faire genre la RATP a validé notre projet ! (Rires) Après c’est sous plastique, avec les stickers et le poster. On vend ça en ligne 15€ sur notre site. On réfléchit à faire des tirages de tête pour les collectionneurs. Genre les 20 premiers tirages on met dans le colis un bout de RER qu’on a trouvé sur place… C’est pour bientôt !
Interview : David Attié & Fiona Forte
Photos : Fiona Forte & Ce Truc Flotte
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