Notre paysage culturel français et ses représentations sont dominés par des imaginaires blancs et masculins. Quelle est la place des minorités femmes et non-blanches dans ce contexte ? On en débat avec les principales concernées pendant la conférence “Les femmes non blanches dans le paysage culturel français, au delà de la représentation”, vendredi 31 mars à l’université Paris 1.
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Fin 2016, un sketch de Gad Elmaleh et de Kev Adams imitant les Asiatiques avait suscité une vive polémique sur les représentations des communautés asiatiques à la télévision française. Début 2017, rebelote , cette fois sur une autre chaîne : les animateurs avaient revêtu des costumes traditionnels chinois tout en étant sous hypnose. Cette fois encore un cocktail de clichés était au rendez-vous sous couvert du comique que pouvaient susciter les animations proposées (« démonstrations de kung fu », « accent chinois », « rituels de purification »…), à croire que le premier incident n’avait pas assez joué des stéréotypes.
Un paysage culturel blanc et masculin
Au-delà de la communauté asiatique, ces incidents ont relancé les débats sur la très pauvre représentation des minorités ethniques dans le paysage culturel et médiatique français, mais surtout sur un manque criant de diversité dans ces milieux. La domination des structures médiatiques et culturelles par les hommes blancs participe à l’exclusion des minorités ethniques dans la représentation de la société nationale. Ainsi, pour la membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel Memona Hintermann-Afféjee « la France est une société créole » mais, « la télévision est très en retard sur la société et la situation réelle ».
Les minorités ethniques en France, qu’elles soient d’origine immigrante (maghrébine, subsaharienne, asiatique, etc.) ou des territoires d’outre-Mer, sont donc peu visibles dans le paysage culturel et médiatique. Quand elles le sont leurs représentations sont cantonnées à de vieux stéréotypes. La sociologue des médias Marie Françoise Malonga identifie trois personnages fréquemment interprétés par les minorités : le délinquant de la banlieue, la pauvre victime (souvent sans papiers) et le sauvage arriéré perdu dans la société moderne.
Pour Edward Saïd, « l’acte de représenter implique presque toujours une violence envers le sujet de la représentation ». Si l’on suit cette logique, on peut percevoir une forme de violence dans la manière dont les minorités ethniques sont représentées dans les médias français. Constamment renvoyées à une image stéréotypée d’elles-mêmes, ces communautés subissent doublement la violence des dominants. Cette représentation dans le paysage culturel, parce qu’elle est biaisée, transmet un système de valeurs déformé à la faveur d’un ordre établi par des dominants (normes de blanchité, patriarcat, hétéronormativité, etc.). Ceci participe subtilement à la marginalisation symbolique des groupes minoritaires qui sont maintenus à la périphérie des groupes dominants, malgré toutes les politiques d’assimilation mises en place et les discours du vivre ensemble prononcés.
Organiser la diversité
Parler de représentation, cela signifie intégrer dans le débat les concerné.e.s, c’est-à-dire les minorités, qu’il s’agisse d’artistes, de personnalités politiques, d’académicien.ne.s ou de simples citoyen.ne.s. C’est encore trop rarement le cas en France, pays où les grands médias sont encore majoritairement blancs et masculins. Depuis une dizaine d’années la diversité est promue comme une valeur incontournable de l’espace public (politique, culturel, éducatif, etc). Devenue outil marketing, elle semble être présente partout : par exemple l’industrie de la mode se refait une nouvelle image avec des égéries issues des communautés traditionnellement marginalisées, allant au-delà l’inclusion ethnique. Plusieurs marques de vêtements proposent maintenant des collections plus size, ou non genrées.
Cependant cette omniprésence du terme cache tant bien que mal les difficultés des structures culturelles dominantes à saisir les multiples degrés de la diversité. Pour représenter la vraie diversité de la société française, il est nécessaire d’aller au-delà d’un simple renouvellement des personnages dans les formes narratives. C’est au sein des sphères de création, de distribution et de financement qu’il faut insuffler plus de diversité. Il est pour cela indispensable de se débarrasser des représentations stéréotypées ou à une dimension et d’encourager la diversité en amont de la chaîne décisionnelle. Malheureusement, en 2017, les industries culturelles peinent encore à refléter la diversité de la société française. Selon le baromètre CSA, la représentation des personnes « perçues comme non-blanches » à la télé est passée de 14 à 16% entre 2014 et 2016.
Même si on constate une diminution de l’homogénéité du paysage médiatique et culturel (on pense notamment aux succès des actrices-eurs comme Leila Bekhti ou Omar Sy), la réalité sociale transmise continue à se faire sous le prisme du regard « blanc ».
“For us by us”
Ainsi il est logique de voir les minorités ethniques investir la scène culturelle et médiatique pour construire et contrôler la représentation de leurs expériences, exposer leur version de la réalité sociale. Parce que le système et l’organisation des milieux culturels sont inadaptés à l’inclusion des minorités, celles-ci adoptent souvent une approche activiste voire contestataire pour réclamer plus de diversité. C’est le cas au sein du mouvement féministe, où de nouveaux courants tels que l’afroféminisme, le féminisme musulman ou encore le féminisme queer sont au premier rang pour revendiquer plus d’inclusion dans l’espace public. La vidéo de Ca reste entre nous aborde intelligemment la question, du point de vue de femmes asiatiques.
L’émergence dans l’espace public français d’artistes, d’entrepreneur(se)s et activistes qui redéfinissent la représentation des minorités dans les industries culturelles, apporte un certain dynamisme mais souligne aussi le caractère politique de toute pratique culturelle. Armés d’un esprit « for us by us », ces acteurs opèrent un véritable travail de conscientisation, via blogs, médias, labels artistiques, marques, magazines littéraires (Ataye, l’Afro, Lallab, YAGG, De l’Autre Côté du Périph’) ou des antennes françaises de médias étrangers, faisant de leur identité ethnique leur principale inspiration. Grâce au levier numérique et aux réseaux sociaux, leurs initiatives parviennent à fédérer leurs propres communautés, qui constituent non seulement une audience, mais aussi une source de financement non négligeable via le crowdfunding, ce qui témoigne d’une capacité de mobilisation importante. Dans cette optique, recentrer le débat sur la diversité et la représentation autour des revendications et approches plurielles des minorités serait un moyen de redonner un nouveau souffle rafraîchissant aux initiatives institutionnelles pour l’égalité des chances mais aussi de poursuivre une meilleure justice sociale à travers la culture/l’art.
Sur la non-mixité
Dans les débats sur les luttes et résistances de groupes marginalisés on a souvent tendance à questionner la nécessité ou pas d’inclure dans la discussion des personnes non concernées et/ou issues des groupes dominants. On reproche par exemple aux associations féministes d’ignorer la parole des hommes (le sexisme et les questions de genre étant des problèmes de société impactant tout le monde). De même, on reproche aux minorités ethniques de préférer la non-mixité pour s’interroger sur leur représentation dans la société ou sur les formes d’oppression qu’elles subissent. Leur démarche ne serait en effet pas constructive et aurait même tendance à reproduire l’entre-soi dont elles sont censées vouloir sortir.
Même si elle semble valide, une telle critique oublie que la non mixité permet avant tout de libérer la parole des personnes qui subissent une oppression, sans entrave de l’oppresseur. Souvent quand les personnes marginalisées évoquent leurs expériences, elles font face aux doutes et remises en question de leurs récits par les groupes dominants (qui les taxe parfois d’hypersensibilité). Aussi parce que le rapport de force n’est pas le même, la présence des oppresseurs/ses peut entraîner une autocensure inconsciente des oppressé.e.s.
La non-mixité vise donc en partie à laisser les principales concernées parler de leur oppression, d’autant plus qu’il est rare de saisir dans son ensemble une situation que l’on n’a pas vécue. Pour autant, ceci ne signifie pas que seules les minorités sont aptes à parler d’exclusion et de la marginalisation. Mais il est important de visibiliser les minorités et d’empêcher toute récupération de leurs paroles et luttes. De plus cela permet une mise en commun des expériences et mécanismes de résistance, avant de s’engager dans une confrontation sur l’espace public.
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C’est dans ce cadre que Noise a souhaité mettre en avant la parole des femmes artistes issues des minorités lors de cette édition 2017 du Festival le bruit de la ville. La conférence “Les femmes non blanches dans le paysage culturel français, au delà de la représentation”, de ce vendredi 31 mars à l’université Paris 1, regroupe à la fois des artistes mainstream et indépendantes. À travers cette rencontre on espère susciter des passerelles de solidarité et encourager une réflexion collective pour une meilleure représentation des différentes minorités ethniques de France.
Texte : Marietou Seck