Rachid Sguini aka Rakidd : « C’est lui qui dessine, et c’est moi qui écris »

Rencontre avec Rachid Sguini, auteur et illustrateur de Le Monde de Rakidd, second livre paru chez Faces Cachées. Il participera le 31 mars prochain à la projection – débat “Shake This Out” à Paris 3 durant le Noise Festival 2017, avec Julian Nodolwksy (co-réalisateur) et Bakary Sakho (cofondateur de Faces Cachées et auteur de Je Suis).

 

Toi, tu as retenu quoi du XXIe siècle pour le moment ? Le second livre publié par Faces Cachées l’année dernière pousse chaque lecteur à se poser cette question. Parce qu’évidemment, personne ne sera d’accord avec la liste proposée. Il ne s’agit même pas de dire qu’elle est fausse ou lacunaire, mais vous êtes déjà tombés d’accord avec une liste des « meilleurs films du XXIe siècle » ou des « meilleurs morceaux d’Oxmo Puccino » vous ? Personnellement jamais, mais on s’en fout. Aux commandes du Monde de Rakidd, Rachid Sguini, dessinateur à l’origine du blog Les gribouillages de Rakidd.

Rachid et Rakidd (photo officielle Faces Cachées)

Si vous regardez ne serait-ce qu’un instant le portrait de Rachid avec Rakidd sur l’épaule, ou si vous lisez un peu ses posts/son livre, vous noterez quelques ressemblances. Si vous avez suivi le projet de Faces Cachées, vous noterez peut-être quelques points communs entre les idées défendues par les dessins de Rachid et les valeurs de la maison. Mais ne gommons pas trop vite l’homme qui tient le crayon !

 

Rachid/Rakidd : qui est qui ?

Rachid : illustrateur auvergnat estampillé « dessinateur arabe », qui signe ici son premier livre.
Rakidd : héros du blog/livre éponyme – alter ego exempt de noirceur de son créateur.

Si on remonte dans les archives du blog, on croise Rakidd le 27 septembre 2012, pas encore complètement reconnaissable. On le découvre peu à peu au fil des posts, au travers de ses pensées et états d’esprits du moment, comme lorsqu’il se demande s’il est un adulte ou « juste un enfant avec une barbe qui regarde des dessins animés ». Ou lorsqu’il s’arrache les cheveux sur les horreurs qu’il lit dans la presse (l’inévitable et grand classique « elle l’a bien cherché » à propos du viol en France par exemple). Tenant cet équilibre délicat entre légèreté et sérieux, entre ses pensées et ses réactions face au flot quotidien de nouvelles, ce personnage accompagne les aficionados du blog ou de sa déclinaison Facebook (soit 34,200 et quelques personnes, au dernier compte).

Rachid de fait de l’art abstrait, c’est son tee-shirt qui le dit

Mais celui qui tient le crayon n’est pas tenu par la même exigence de cohérence. Rien n’oblige Rachid à rester fondamentalement optimiste. Si on se fie à ses goûts musicaux, la cohérence n’est d’ailleurs pas le principe directeur : il dessine en écoutant Demi Portion ou Ella Fitzgerald ou encore Bach – et tant pis si ça ne colle pas. Il a lu le dernier Goncourt et Calvin & Hobbes avec la même attention, et ne copie le style ni de l’un ni de l’autre. Il trouve qu’écrire un conte, ce serait le rêve. Parce que dans un conte, comme avec Rakidd, on parle aux enfants et aux parents, et on ouvre la porte à plusieurs niveaux de lecture. « Enfantin », c’est celui qui dit qui y est.

C’est peut-être là que se trouve sa « vraie » cohérence, ou du moins sa plume : ce travail sur les niveaux de lecture des dessins et des textes. Voilà pour l’artiste. Et le livre ?

 

Rachid/Faces cachées : pourquoi et comment ?

Qui dit livre dit maison d’édition. Or s’il voulait ou au moins rêvait de publier un livre depuis un bout de temps, Rachid n’avait pas sauté le pas. Pourquoi passer vers le papier quand son blog grandit sans arrêt, que le boulot ne manque pas ? Parce que – surprise ! – la distinction culturelle opère encore de nos jours. Parce qu’un illustrateur avec un blog, ça reste au mieux un « jeune talent qui monte ». Alors oui, Rakidd n’est pas né pour faire plaisir aux vieux pontes de la culture française, ni pour amener Rachid à faire la tournée des plateaux télé. Mais de là à abandonner la bataille avant d’avoir obtenu son titre d’« auteur », hors de question ! Il fallait concrétiser le projet.

Couverture du livre Le Monde de Rakidd

Il ne manquait que la bonne maison d’édition, qui le laisse faire « son projet », tout en sachant « qu’un projet comme celui-là, tu ne peux pas le construire seul ». L’équipe de Faces Cachées était sensible à son projet, ils sont donc venus le chercher. Et bien sûr, ils se retrouvaient sur un certain nombre de valeurs, mais là où il a été conquis, c’est en entendant « fais ce que tu veux », « je m’en fiche que tu ne sois pas d’accord avec moi ».

Et ensuite, Rachid chez Faces Cachées ? Sans Ouafa, pas de livre terminé. Sans l’organisation, la motivation, les deadlines de Ouafa, rien. Sur un blog, « jpeux pendant trois jours ne rien faire, recycler des vieux dessins » (surtout les dessins datant de l’époque où le blog faisait 2000 vues – voilà pour l’astuce). Sur un blog, il peut changer de format, se laisser aller. Mais en s’engageant pour le projet, il s’est engagé avec une équipe qui voyait quelque chose dans son travail, et savait lui dire ce qu’ils attendaient de lui pour passer à l’édition. « C’est un des trucs qui freine le plus les illustrateurs : avoir quelqu’un au-dessus de toi qui te commande quelque chose, appartenir à un vrai projet, qui te force à travailler ». Du coup, Rachid chez Faces Cachées, ça a donné un vrai, un beau livre.

 

Résultat, il est comment le monde de Rakidd ?

Rakidd n’a pas disparu dans le changement de plateforme. Le blog non plus. Le personnage a trouvé une nouvelle audience, et emmené avec lui une partie de ses anciens lecteurs. Et il s’adresse toujours directement à tous ceux qui le lisent. Avec ce livre, l’objectif de l’auteur était de faire en sorte qu’une idée ou un souvenir fort émerge de chacun des 35 événements qu’il a retenu pour cette chronique du début du millénaire. La liste initiale contenait 200 événements, dont beaucoup de tragédies. Mais Rakidd est relativement exempt de cynisme et s’attache à garder un regard positif sur ce qui l’entoure. Alors il a fallu faire le tri, et trouver l’équilibre entre l’auteur et son personnage. Du coup, s’il y a Charlie, il y a aussi l’anniversaire de Donald Duck. Un hommage à la passion qu’a Rachid pour Picsou Magazine, et une manière de mixer géopolitique et pop culture. Car au final « c’est lui (Rakidd) qui dessine, et c’est moi (Rachid) qui écris ».

 


Entretien réalisé le 31 janvier 2017

Illustrations et photo : Facebook « Les gribouillages de Rakidd »

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