Ancien Pôle Emploi reconverti en résidence d’artistes et espace culturel, l’Ourcq Blanc accueillera jeudi 26 janvier l’apéro #14 de Noise. L’occasion d’en savoir un peu plus sur Julien et Clément qui sont à l’origine du collectif Dérive qui occupe le lieu depuis juillet 2016 et y organise des concerts et des expositions. Une boîte de chouquettes chocolatées nous attendait dans leur atelier. C’est autour de cette boîte et d’un café servi dans un service à tasses style empire (offert par un couple qui quittait le quartier) que nous avons parlé réactivation urbaine, palettes et porno allemand.
Ça a commencé comment Dérive ?
Clément : Avec Julien ça fait pas mal de temps qu’on se connaît. Au collège on avait la même bande de potes et on avait tous envie de faire un projet ensemble plus tard. Au moment des études supérieures, on a tous pris des directions différentes : moi j’ai fais de l’archi, Julien a fait de l’éco-gestion et de la médiation culturelle et Antoine de la pub (ndlr : Antoine a désormais son propre salon de tatouages, Le Fugitif). À la fin de nos études, on a tous pris des emplois qui ne nous ont pas vraiment plus et nous ont donné l’envie de se retrouver autour de notre propre projet. C’est comme ça que Dérive a commencé avec Julien, Antoine et moi à la fin de l’été 2014.
Julien : On n’avait plus envie d’être dans des bureaux. Ce qu’on voulait c’était vraiment être dans l’action, au coeur de l’organisation d’évènements et proches des gens.
Clément : On s’est tous retrouvé en septembre en Bretagne pour faire une étude de faisabilité pour l’orga d’un festoche transdisciplinaire qui aurait eu lieu en août 2015. Ce festival, n’a pas abouti mais nous a permis d’affirmer notre envie de taffer ensemble et de lancer vraiment l’asso et nos premières actions dans Paris.
C’est là que vous avez organisé votre première exposition dans le 17ème : vous nous en parlez ?
Clément : On a eu un appart pendant deux semaines dans un bel immeuble haussmannien. L’appart était en transition entre deux locataires. Le propriétaire qui était fan d’art nous a donné l’autorisation d’organiser une expo, c’est celle qu’on a faite le plus rapidement. Nos contacts, notre connaissance du milieu des squats et des lieux alternatifs nous ont permis de rassembler pas mal d’artistes autour du projet. Au final, notre expo collective a réuni seize artistes plasticiens, tatoueurs ou réalisant des installations.
Julien : À cette époque, il y avait une réelle demande de la part des artistes et on a voulu y répondre avec cette expo. Beaucoup d’artistes parisiens étaient en manque de lieux pour exposer. Des événements comme la FIAC qui avait lieu en même temps que l’expo ne permettaient pas toujours de mettre en valeur les talents émergents. C’est ce qui explique aussi peut-être que l’expo ait si bien fonctionné ; en plus ça a été un moyen pour nous de faire nos armes, de rencontrer des gens et de toucher au boulot de curators. J’en garde un super souvenir ; l’énergie était très forte et tout le monde avait le sentiment d’assister à un moment important : la naissance d’un collectif. On a de la chance que des artistes nous aient fait confiance.
Clément : Pendant deux semaines on a vacillé entre tous les ateliers à Paname.
Julien : C’est vrai qu’une bonne partie de notre boulot c’est de la logistique au final.
Clément : On a refait tout l’appart pour créer une vraie scénographie au milieu de cet immense espace vide. On a été jusqu’à foutre des néons et des mags pormo gays allemands dans les toilettes. Ça fonctionne toujours un peu comme ça Dérive : quelques investissements de départs et beaucoup de DIY et de plan B pour trouver du matos. On essaye de faire une scéno qui ne soit pas trop présente et qui ne mange pas le boulot des artistes.
Clément : On a eu beaucoup de retours positifs sur l’expo et c’est vraiment ce moment qui nous a donné la motivation pour continuer.
Ça a été quoi la suite de cette exposition ?
Julien : En fait, pendant un an on avait pris des petits boulots à droite à gauche : des piges, des appels à projets, de la livraison à vélo… En septembre 2015, on a eu le choix entre continuer nos taffs ou se lancer vraiment. On s’est lancés.
Clément : Le champ en Bretagne nous trottait toujours dans la tête mais on a réalisé que ce qui nous intéressait vraiment c’était l’activation de lieux, le jeu avec les espaces. Même si le positionnement de Dérive est encore un peu flou, je pense que ce qui nous démarque c’est vraiment cette idée d’activation urbaine. C’est le fait d’arriver dans un espace vide, plein de promesses et d’y créer quelque chose. Tout espace est un challenge, un champ de possibilités.
Julien : Quand on est arrivé à l’Ourcq par exemple, on a dû tout faire. Ça nous a beaucoup plu de mettre la main à la pâte et de toucher un peu à tout : installations urbaines, accompagnement d’artistes, promos, orgas de rencontres, events, logistique….
Clément : Je pense que ce qui fait notre force c’est notre polyvalence. On est complémentaires et ça nous rend très réactifs. En fait on se pose pas vraiment de questions, on a une opportunité et on fonce. Les choses se font souvent dans l’urgence et on n’a le temps d’y réfléchir qu’après. Vu qu’on aime le contact humain et qu’on est bricoleurs on s’est toujours débrouillés comme ça.
Et du coup, comment vous vous êtes retrouvés à l’Ourcq Blanc ?
Clément : On se tenait au courant des nouvelles initiatives culturelles alternatives à Paris et on a entendu parlé de ce nouveau lieu qui ouvrait dans le 19ème. On a rencontré Corentin le coordinateur du projet qui cherchait à occuper l’espace en y organisant des résidences et des portes ouvertes.
Julien : C’est comme ça qu’on est arrivé à l’Ourcq en février. Tous les ateliers étaient libérés puisqu’à l’origine le bâtiment devait fermer fin juin. On a commencé à aménager le lieu et puis une semaine après on avait la première date d’événement. La prog était variée : on a eu du rap, du jazz, du prog-rock, du punk intellectuel (Saar, The Random Monsters, le gars de Chromatik avec des MCs qui chantent, Nans Vincent…).
Ah donc au départ c’était pour 3 jours ?
Clément : Oui, on a d’abord organisé 3 jours de festival avec concerts, une expo collective (25 artistes) et un petit marché d’art et on est repartis. Au bout d’un moment le coordinateur a dû quitter le lieu et c’est là qu’on a réussi à prendre les rennes du lieu.
Julien : En fait on doit beaucoup à l’architecte Samuel Remy. Je ne sais pas si vous le connaissez, mais il est bien implanté dans le 19ème, il a fait le WoMa, la Villette Makers et c’est lui qui gère la réhabilitation de l’Ourcq Blanc. Il avait aimé notre intervention d’un mois et nous a rappelé pour remplacer le coordinateur.
Clément : Il a une vision très dynamique et mouvante de la ville. Un peu dans l’esprit de Patrick Bouchain, il essaye d’occuper des lieux en transitions avec des initiatives associatives ou culturelles. Pour lui, l’exploitation même légère d’un lieu en transition peut influencer la vie future du bâtiment.
Julien : Du coup on a débarqué et on s’est installé. En août, on a commencé une sorte de festival urbain pendant un mois, avec une prog variée et des expos. On a aussi organisé de nombreuses expositions. Chaque expo avait son identité culinaire grâce aux plats de Louis et Rémi !
Vous avez de bonnes relations avec les habitants du quartier ?
Julien : La plupart étaient contents que ça bouge au niveau culturel dans leur quartier qui était un peu mort de ce point de vue-là. Ça faisait plaisir de voir des mecs au balcon qui applaudissaient à la fin des concerts ! C’était comme si on avait gagné notre pari.
Clément : Après il y aussi eu des réfractaires évidemment et on peut pas en vouloir aux familles qui étaient dérangées par le bruit.
Julien : Les basses des concerts sont remontées dans tout l’immeuble… Les flics sont venus plusieurs fois, mais en fait ils étaient trop sympas ! Ils avaient l’air de vraiment s’intéresser : ils ont regardé l’expo du sous-sol, le matos des musiciens…
Tout à l’heure vous parliez des squats. L’Ourcq Blanc n’en est pas un mais c’est un mode de fonctionnement qui vous a inspiré ?
Julien : Alors oui, quasiment aucun des résidents ne dort ici. On loue à très bas coût des ateliers de travail. Je ne sais pas si vous avez deviné mais c’est un ancien Pôle Emploi ici, on reconnaît la signalétique dégueu, les couloirs froids et informels… Par contre on s’efforce de laisser un maximum de liberté à chacun et de créer une ambiance très familiale.
Clément : Pour nous, les squats sont un peu les poumons de Paris. Ça a commencé avec L’Onyx, le Block, le 6B… Quand on allait là-bas ce qu’on aimait c’était l’euphorie, le côté subversif et libre qui régnait dans ces lieux. A mon avis, depuis que les vols low cost existent, les parisiens ont beaucoup plus voyagé vers les grandes villes européennes et se sont beaucoup nourris de leur dynamisme. Les lieux de création, ouverts et accessibles à tous se sont vachement démocratisés sur Paris. Ces lieux informels ont vraiment un rôle à jouer pour l’ouverture de la culture à de nouveaux publics et l’émergence de talents. À l’Ourcq Blanc par exemple, il y a un véritable mélange des générations et des publics durant les évènements. Pour nous, un lieu comme l’Ourcq Blanc réinvente bien plus un territoire que n’importe quel projet de promoteurs immobiliers.
Julien : On peut le voir comme un refuge, comme des échappées de la ville.
Vous en pensez quoi justement de la précarité dans les squats aussi bien légaux qu’illégaux aujourd’hui ? Beaucoup de lieux comme le Wonder par exemple ferment leurs portes en ce moment.
Julien : Le fait que ces espaces ferment et que de nouveaux réouvrent sans cesse participe à une réinvention continuelle de la ville et du territoire. De nouvelles dynamiques territoriales se développent. C’est pas anodin si tous les collectifs à l’origine de ces lieux se déplacent désormais aux portes de Paris. Je pense à Soukmachines ou le Collectif MU. Les loyers à Paris sont trop chers et la mairie impose des fonctionnements très carrés qui entravent toutes les initiatives.
Clément : Pour nous ce côté précaire a été très frustrant. A chaque fois on nous accorde un mois en plus, mais impossible de savoir si on pourra continuer au delà. Comment tu veux construire un projet sans visibilité ? Ca nous bloque vis-à-vis des artistes, des projets d’aménagement, des relations avec le voisinage, de l’aspect social qu’aurait pu avoir l’Ourcq Blanc… Par exemple, on aurait aimé ouvrir une cantine et accueillir des migrants.
Julien : Après certains lieux comme le Wonder font vraiment de gros aménagements mais après un an acharné de travail et deux ans d’exploitation, c’est fini alors que le lieu était un des plus dynamiques et inventifs de la capitale. On avait juste envie que ça continue…
Clément : Le lobby de la palette ! Si tu fais attention, tu verras des palettes dans tous ces lieux éphémères et culturels. C’est un objet qui est vraiment symptomatique de l’aspect précaire de ces lieux… Un incontournable ! En vrai on est tous d’accord que c’est super moche, nous on préfère manipuler du parpaings (rires).
Julien : Si le squat veut se pérenniser il doit passer par un reformatage qui lui fait cependant perdre tout le charme de l’informalité. Peut-être que le plus intéressant ce serait que les mairies reconnaissent ces espaces et leur autonomie, leur indépendance.
Clément : Avec le Grand Paris, beaucoup d’idées se développent mais la seule chose vraiment concrète à en tirer pour l’instant c’est le réseau de transports qui se développe et qui réévalue la mobilité sur les territoires. C’est un facteur de mutation et de désenclavement…
En attendant la fermeture, c’est quoi votre avenir dans ce lieu ?
Clément : L’Ourcq ferme fin juin de manière définitive et les travaux de désossement commencent à partir de début juillet. Ils vont en faire une auberge de jeunesse. Pour l’instant on a encore des événements en route : l’apéro Noise ou encore des expo, ateliers,… La suite est toujours un peu floue : idéalement on voudrait trouver un lieu assez grand pour accueillir nos 40 résidents.
Propos recueillis par Fiona Forte et David Attié
Photos : Fiona Forte