La « non exclusion », voilà l’axe principal sur lequel travaille Fabien Buallion de « Voir et comprendre ». Cette association de La Faourette au Mirail a une mission de prévention auprès des jeunes du quartier. Alors que la vie associative s’essouffle, victime de la réduction des aides, cette structure toulousaine s’efforce de donner des clés de lecture aux habitants, pour affronter la vie de tous les jours.
Sous le béton, les racines
D’épaisses gouttes de pluie tombent sur la Faourette. Elles ne feront pas pousser des germes d’emplois mais font ressortir le vert du grand parc. Ce quartier du Mirail est aéré. Pas de grandes barres, mais de petits immeubles qui jalonnent la rue. Fabien Buallion, cheveux courts, porte une double casquette. Il est à la fois directeur adjoint de l’association Voir et Comprendre et formateur dans une école d’éducateurs. Il revient sur la naissance de l’association. En 1980, la Briqueterie, grande cité de transit est démolie. Des Toulousains issus de l’éducation populaire créent l’association avec pour fil rouge « l’objection de conscience ». L’idée, c’est de faire découvrir aux citadins des cités environnantes leur pays d’origine pour voir et comprendre d’où ils viennent. Une réappropriation de leurs racines, en quelque sorte.
Fabien regarde par la fenêtre, l’air évasif. Il regrette que la mixité sociale d’antan ait disparu. Son arrivée à Toulouse remonte à 1990. Entre temps, la majorité des classes moyennes a déserté le Mirail. Seules les classes ouvrières restent. Mais il s’interrompt dans son récit, il ne veut pas noircir le tableau. D’autant plus que de l’eau a coulé sous les ponts et a permis d’irriguer Voir et comprendre.
Créer un terreau fertile
Des trombes d’eau coulent sur la toiture du local mais la baraque tient bon. La matinée n’a pas été de tout repos. Le directeur a accompagné un collégien à son conseil de discipline. Il travaille « dans l’urgence » et tente de trouver des « bouts de ficelle de solution ». Sur les murs du bureau de Fabien, des autocollants. On y aperçoit des fruits. C’est dire si l’on y cultive le dynamisme. Et l’indépendance. Voir et comprendre est une association à part entière. Relativement autonome, « elle ne dépend pas d’un bord politique en particulier » tient-il à faire remarquer.
La structure a vu germer trois éducateurs, trois animateurs et autant de médiateurs. Un nouvel arrivant vient de d’intégrer l’équipe, embauché depuis peu. Les jeunes qui viennent au local le regardent avec défiance, ils sont parfois agacés de voir quelqu’un décrocher un emploi alors qu’ils font des pieds et des mains pour en trouver un.
Voir et comprendre accueille les 14-25 ans mais n’exclut pas les adultes, bien au contraire. Les parents voient dans l’équipe une « bouée de sauvetage, un réceptacle de leur souffrance » confie Fabien. Ses collègues et lui donnent « les clés » sur l’accès au droit, la justice ou encore la santé. Sans oublier l’école et la formation. L’association est ouverte dès neuf heures le matin jusqu’au soir. Elle accompagne les habitants dans leurs démarches. De la mission locale jusqu’à Pôle emploi, en passant par la médiation avec l’employeur.
A la Faourette, les initiatives associatives vont bon train. Le lieu de vie et d’insertion vient d’être créé. Un espace ouvert le week-end et en horaires décalées pour les jeunes et géré par des jeunes. Symbole d’un investissement des habitants du quartier.
Le plafond de verre, chiendent du quartier
Même si le quartier a bénéficié d’une réhabilitation urbaine, ses habitants attendent encore « la réhabilitation humaine ». Au fond, ils n’ont pas accès à la mobilité sociale. Bon nombre des plus de 25 ans ne parviennent pas à quitter le domicile familial. Certains se retrouvent à vivre avec leur femme chez leurs parents. Un « effet dépressif » plane ici, ajoute Fabien. Une politique de mixité a pourtant été mise en place au Mirail. Le projet consiste à mélanger les habitants originels avec les étudiants fraîchement arrivés. Mais la mixité n’est utile que lorsqu’elle est « dans les deux sens » ajoute-t-il avec amertume.
Si les plus démunis côtoient encore un peu les classes moyennes, le plafond de verre tend à s’épaissir. Et le métal aura bientôt remplacé le verre. Le verbe précis, Fabien explique que certains habitants dans la périphérie du Grand Toulouse ont une position curieuse à l’égard du Sud-Ouest de la ville. Ils avouent à leur maire qu’ils sont prêts à payer des taxes pour ne pas avoir les habitants du Mirail dans leurs logements sociaux. Le Canard enchaîné le dénonçait déjà il y a dix ans. Il n’y a pas de perpétuel hasard, « Quand les gens précaires vivent ensembles, l’effet miroir est terrible » assène-t-il.
Combattre les orties
Des roses sortent du béton mais les orties sont toujours là. Les orties, ce sont les mauvaises habitudes. L’équipe de Fabien s’attache à sensibiliser les jeunes à la vocation citoyenne. Faire prendre conscience que le premier engagement est d’aller voter pour peser, c’est la clé de voûte. Évidemment que Fabien aimerait voir une figure politique émerger du quartier, mais il prend des pincettes. Ici, les gens survivent. Lorsqu’une mère rentre du travail, elle se préoccupe d’abord de « faire chauffer la tambouille pour les gamins » constate-t-il. Militer exige d’avoir du recul sur sa vie, mais pour cela il faut du temps.
Les orties, ce sont aussi les étiquettes qui collent à la peau des habitants. S’en défaire est difficile. Au milieu des années 1990, la municipalité de Toulouse a eu l’idée de faire passer le métro par les quartiers populaires. Les jeunes peuvent désormais rejoindre le centre-ville, certes, mais bon nombre d’entre eux se découragent. Une fois la Garonne passée, les contrôles se multiplient. Les lampadaires s’allument et des voix résonnent dans le hall du local. Fabien va voir les jeunes et leur demande de faire moins de bruit. « Ils viennent regarder le match à la télé. Ça leur permet de se réunir et d’éviter qu’ils traînent dehors la nuit. » Le directeur adjoint regrette que les îlotiers (police de proximité) aient été supprimés. Ils connaissaient le terrain. « Aujourd’hui, les flics sont aussi tendus voire même plus tendus que les habitants » note-t-il.
Fabien regarde fleurir la politique actuelle. « Les gouvernements successifs passent et c’est toujours la même politique qui est mise en place » analyse-t-il. Une impression de déjà vu. Il poursuit et déterre le pot au roses. Selon lui, l’enveloppe politique de la ville aurait glissé vers les 15 000 postes de gendarmes et forces de l’ordre. L’état d’urgence laisse des marques. Résultat : pas d’initiative pour l’insertion des 16-25 ans, ni pour le dynamisme économique dans le Grand Mirail.
Ça fait 26 ans que Fabien est ici. De l’optimisme, il en a encore. Les fleurs du mal n’appartiennent qu’au livre. Il suffit de venir, de « voir et comprendre ».
Texte : Bastien Mirandel
Photos : Valentin Belleville
Dessin : Alex Ef