Imaginez un musicien qui chante comme un rossignol et qui se promène avec la même légèreté que l’oiseau.
Le bestiaire musical, c’est ça : la tentative d’associer une figure animale qui corresponde physiquement et musicalement au chanteur.
Une silhouette furtive s’approche d’un grand bâtiment. Ses pattes claquent sur le sol. Il regarde à gauche puis à droite avant de s’engouffrer dans l’ombre de l’ancienne cité industrielle. La Jarry abrite bien des recoins dans lesquels le rat perpignanais pourrait se nicher. Mais c’est à une table éclairée par une baie vitrée que Nodja s’installe. Il a amené ses provisions. La canette de bière ouverte, il prend la parole. Et on y reconnaît la griffe.
Rat des champs : les voyages
Le rat perpignanais a d’abord grandit dans le Sud où il a fait ses armes. Il s’est nourri de différentes influences culturelles. La méditerranée comme horizon. Un voyage scolaire en Espagne. Une ouverture sur l’étranger. Le meilleur souvenir qu’il garde de sa jeunesse ? Le soleil, le fait d’être en famille et la musique en général. Son arrivée à Paris a marqué une sorte de fracture. Il se rappelle d’un fossé énorme concernant l’humour. Celui du Sud et celui de la capitale variaient sensiblement ! Mais le fait d’avoir bougé est bénéfique, cela lui a apporté une ouverture d’esprit qu’il ne regrette pas.
Quand il parle de bouger, comme il a pu le faire ensuite à Barcelone ou à Toulouse, c’est tenter d’aller vers les locaux. En pleine immersion. Il laisse le « all inclusive » aux autres. Son truc, c’est de bouger modestement, avec humilité.
Qu’est-ce-qu’il dirait à la jeunesse d’aujourd’hui ? De bannir absolument la flemme. D’aller faire un tour ailleurs. De prendre l’air. Voyager permet de « comprendre d’où tu viens et comprendre ton pays » lâche-t-il entre deux bouffées tirées sur sa cigarette.
Quand je lui demande quelle est sa fable favorite, ses petites griffes grattent son menton. Il réfléchit. « Le chêne et le roseau » finit-il par me répondre. Le roseau plie mais ne se rompt pas. Il se reconnaît dedans. L’album qui arrive est un clin d’œil à cette fable.
Le projet qu’il s’apprête à livrer, par bien des aspects, renoue avec le roots. C’est à dire les racines. Des sons de tam tam, de la trompette ou encore de la guitare. Nodja ne veut pas trop m’en dire. Il veut garder la surprise. Il finit cependant par me chuchoter que l’album sera « un peu rock dans l’esprit ».
Rat d’égout : les ruelles sales
De Perpignan jusqu’à Paris et sa banlieue, les ruelles sales l’ont inspiré. Il n’y a qu’à écouter son titre Ma balade. Ce morceau met l’accent sur un passage de l’intérieur à l’extérieur. Il dépeint une scène urbaine presque tragique. Dedans, des hommes d’affaire et des ouvriers se retrouvent dans un endroit sans qu’ils aient d’interaction réelle. Ce que Nodja aime dans la rue, c’est qu’elle « fourmille de profils différents ». Le son s’achève sur une note mélancolique, le clochard qu’il décrit est mort. Les gens qui passent devant lui, cependant, ne le remarquent même pas. Un écho à la vie de tous les jours.
Dans le projet que le rat perpignanais prépare, des storytellings se nichent dans la tracklist. Moins explicites, ils reflètent un bond dans la maturité.
Rats des villes
Nodja vient d’une génération où le rap était à son « âge d’or ». Ce mouvement, il « l’a presque subi », précise-t-il. IAM, La Fonky Family, KDD, autant de noms que de souvenirs qui passent dans ses yeux. Son quotidien était rythmé par les soirées Hip Hop, les squats désaffectés où rap, graff et danse s’entremêlaient. Pour lui, rap et rue sont indissociables.
Quand il arriva à Paris, un monde nouveau s’offrait à lui. Du béton, des blocs, des barres, de quoi se forger un esprit géométrique. Curieux, il a exploré son environnement. Des bastons de regard dans le RER pour montrer que l’on existe. Le regard comme arme. Et c’est pareil dans le rap puisque le rat a forgé sa manière de voir les choses. Ce qui se cache au fond de ses yeux, c’est l’arme qui lui permet d’écrire.
« L’environnement dans lequel tu vis te conditionne » déclare le rat avec aplomb. Changer d’endroits, c’est la perspective de voir autre chose. Ça donne davantage de manœuvres et il en est conscient. Une rose peut cependant pousser dans le béton, clin d’œil à son morceau « Rose noire ». Au fond, même si le béton rend nerveux, « tu peux avoir de la chaleur partout » affirme-t-il.
La Rat-ge, oui la rage
Le rap du rat est organique, sort des tripes. Lorsqu’il écrit, Nodja ne passe pas par quatre chemins, il puise dans ses cinq sens.
Sa musique transpire la rage de vivre . S’il pouvait changer quelque chose à cet instant ? « Vivre en paix » me confie-t-il. «Mmh non, pas crédible, il y a toujours des conflits quelques soient les sociétés » réplique-t-il en pointant le museau. Il n’empêche que son rap est revendicatif. Nodja invite les gens à ouvrir leur gueule quand les choses ne leur plaisent pas.
Lorsque je lui demande quel système pourrait remplacer le nôtre, ses petites griffes tapotent la table. Il n’est ni philosophe ni chercheur et le reconnaît en toute humilité. Il pense cependant qu’un monde où certains travaillent tout le temps et d’autres jamais ne peut pas fonctionner. Répartir le travail équitablement, voilà la clé de voûte. Un clin d’œil aux pays nordiques, même s’il est difficile d’avoir du recul sur leur schéma pour le moment. L’exemple qu’il prend est significatif. Lors d’un repas, tu partages le gâteau en nombre d’invités. « Et bah c’est pareil dans la vie de tous les jours » explique-t-il.
Un Rat-pace ? Non, débrouillard et fier de l’être
Plus jeune, Nodja a mis la main sur un ordinateur et a commencé à faire ses instrumentals. En autodidacte. Après quelques années d’artisanat, il a su mixer le sampling et la composition. Son logiciel fétiche ? Cubase. Il prépare aujourd’hui son projet avec des instrus de Tobby et les siennes.
Son entourage partage cette philosophie de la débrouillardise. L’Uzine notamment, dont Tony Toxik, Cenza et Tonio font partie. Il enregistre ses morceaux dans un studio à Romainville où il se sent comme chez lui. Mais pour comprendre ce lien avec la ville, il faut revenir quelques années en arrière. Nodja fait la rencontre de Djamai (de la MiffSousPress) dans sa cité. De fil en aiguille, il sympathise avec Tony Toxik et Cenza. Ils se retrouvent sur des goûts et des valeurs communs, à savoir les beats et la philosophie de vie. « Besoin de personne », c’est la bannière qu’ils portent. Faire les choses seuls, c’est un peu comme les faire en famille. Ses griffes attrapent le briquet sur la table. Une nouvelle cigarette s’allume. Au fond, « je suis attaché aux gens que je connais depuis longtemps » me glisse-t-il derrière la fumée, « c’est agréable et rassurant. Et les choses se font naturellement » ajoute-t-il.
Si le Mc est proche de l’Uzine, il garde cependant sa propre manière de bosser. Étant donné qu’il est en solo, ses sorties sont plus aérées. Sortir un CD par an n’aurait pas grand sens à ses yeux. Il préfère se nourrir de ces « pauses ». Ça lui permet d’évoluer et d’apporter quelque chose qui lui corresponde tout en étant novateur.
L’heure tourne. Les rayons du soleil laissent place aux rayons des vélos qui tournent à toute vitesse. Les travailleurs rentrent à la maison. Le rat perpignanais scrute par la fenêtre. Il y voit le temps passer. Une pointe de nostalgie l’envahit quand il réalise que le temps est un rongeur plus performant que lui.
Le dernier titre en date
Où sont les bonhommes feat DOITALL
Les coups de cœur
Le style incisif
Ma balade
Fille facile
Rose noire
Illustration : Bilitis Delalandre
Retrouvez d’autres portraits du bestiaire musical ici, ici ou encore ici.
1 Comment