Niché à Anvers, en aplomb des magasins de tissus et des merceries du marché Saint-Pierre, Philippe Diot bichonne son appartement comme une petite garçonnière depuis des années. C’est avec un sourire radieux et une chaude accolade que le tapissier nous ouvre ses portes.
Evidemment il y a des fauteuils partout, Philippe est tapissier. Il ressuscite des fauteuils de tous âges et de tous styles. Son appartement lui sert d’atelier et d’arrière boutique où il stocke les commandes en retard, en cours et à venir. Certains fauteuils sont recouverts d’un drap pudique, d’autres complètement désossés exhibent leur entrailles. Parmi ceux qui restent à la disposition des visiteurs, on est obligés d’hésiter. Choisir c’est se révéler un peu : afficher un style, une assise, une époque… Plutôt Louis XVI ou trône de Jakarta ?
Dans son salon le silence est magique. Malgré la pluie battante dehors, l’intérieur est calme comme si les tentures avalaient le bruit. Lorsque Philippe ouvre la porte de la cuisine pour aller faire du café, de la musique classique s’élève et flotte dans les airs. En fait à part le salon, quasiment chaque pièce à son propre transistor branché sur Radio Classique et c’est comme des boîtes à musique qu’il ouvre une à une. Le salon lui, reste silencieux, comme un musée baroque aux livres d’art craquelés et aux porcelaines étincelantes.
Depuis le temps, chaque pièce à son histoire et son bazar : des rouleaux de tissus colorés aux boîtes à outils débordantes, en passant par la décoration minutieuse d’un célibataire septuagénaire. De temps à autres, Sofiane un jeune couturier vient travailler sur de resplendissantes robes traditionnelles maghrébines. Elles remplissent un placard que Philippe renonce à refermer complètement à tel point il déborde.
L’atelier est une avalanche de mots mystérieux. Ca cause de feuillures, d’une assise au “nez” trop usé, de galbe, de marteau ramponneau ou de récamière, pendant que le transistor déroule un déluge d’harmonies qui semble accompagner ce nouveau vocabulaire. Il est ensuite question d’un siège de Maharadja, de Charles X et d’un sac en toile de jute estampillé Tunis. On imagine difficilement un fauteuil donner le tournis et pourtant…
A écouter l’artisan, les commandes se multiplient de façon étonnante ces dernières années et les clients s’autorisent toutes sortes de fantaisies. Une psychanalyste aurait récemment demandé à refaire quatre fauteuils pour ses quatre chats. Peu importe les fesses, un bon fauteuil a droit à une deuxième, voire parfois troisième et quatrième vie. Le bouche à oreille et les bras vigoureux font le travail. Si certaines commandes traînent dans l’appartement depuis plus d’un an, c’est qu’il manque une pièce d’ébénisterie, un tissu particulier, ou de la motivation. Philippe adore la bonne compagnie et la demi-journée d’oisiveté que nous lui apportons est visiblement un plaisir. Le café bu, les chocolats dégustés, il nous propose un petit remontant. L’odeur de pomme du Calvados nous raccompagne jusqu’à la porte, et nous sortons l’esprit tout embué de rêves moelleux.
Photos : Samuel Cortès
Texte et sons : David Attié
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