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La Station – De la friche industrielle à la friche culturelle

A l’intersection du 18ème arrondissement et des derniers bastions de la banlieue rouge côté Seine-Saint-Denis, la Station apparaît comme un îlot festif et artistique au milieu d’une zone de transit. Entre périphérique, hangars et magasins généraux, elle attire des populations branchées de la capitale, à la manière du Ground Control et du 6B. C’est cet aspect « friche culturelle», à la manière des squats berlinois, qui est revendiqué par MU, collectif reconnu dans les nuits du nord parisien et gestionnaire des lieux depuis l’été, et par la SNCF Immobilier, propriétaire du site et à l’initiative de la démarche des sites artistiques temporaires sur certains de ses sites inutilisés. Toutefois, bien plus qu’un avant-poste de la culture alternative à la périphérie de la capitale, la démarche de la création d’un site artistique temporaire s’inscrit au cœur de l’histoire et des dynamiques urbaines à l’œuvre dans le quartier de la Gare des Mines, que la Mairie du 18ème et Plaine Commune[1] souhaitent « désenclaver » et « requalifier ».

Premier volet d’une trilogie sur le quartier de la Station – Gare des Mines, cet article retrace l’histoire du lieu. Les articles suivants vous emmènent à la rencontre des habitants du quartier, et vous racontent comment Noise a voulu s’intégrer dans cet écosystème.

Les petits trains de Montmartre

Ancienne gare de charbon, la Gare des Mines regroupe aujourd’hui en son sein la Station, mais aussi une entreprise de vente de matériaux de chantier, des entrepôts de stockage et les ateliers de maintenance du petit train de la butte Montmartre. Propriété immobilière de la SNCF, la Gare des Mines s’insère dans une interzone urbaine aux contours flous. Cernée par le périphérique au sud, et les magasins généraux au nord où se mélangent l’architecture industrielle de la fin du XIXème à des bâtiments au style plus moderne, la Gare des Mines est partagée entre le 18ème arrondissement, la ville d’Aubervilliers, et même un petit bout de la ville de Saint-Denis. Le quartier aura longtemps été celui des entrepôts des magasins généraux et des docks, avec une situation idéale entre les chemins de fer du nord, les voies ferrées industrielles et les bassins du Canal Saint-Denis. Affecté par la désindustrialisation de la deuxième moitié du XXème siècle, le quartier veut aujourd’hui se réinventer en un nouveau quartier mêlant activités tertiaires et mixité résidentielle, comme en témoignent l’installation dans le voisinage direct de la Gare des Mines des bureaux du groupe immobilier ICADE, du nouveau siège du géant de l’environnement Veolia, et l’ouverture du centre commercial Le Millénaire.

Bureaux modernes et passerelle sur le périphérique

A la périphérie géographique de la capitale, la parcelle de la Gare des Mines et ses alentours ont aussi concentré des populations reléguées aux marges des villes. Marqué ces dernières années par une présence tenace de campements roms, le quartier a vu se multiplier les expulsions. Après l’évacuation et l’emmurage d’un des principaux campements sur une parcelle voisine de la Gare, la plupart des habitants du camp sont partis s’installer près d’une autre Porte de Paris. Ne persiste aujourd’hui qu’un camp miniature d’une poignée de familles devant l’entrée de la Gare des Mines, rendu visible par la présence de quelques tentes, matelas et chaises. D’après des voisins, les interventions régulières de la police et du service des « encombrants » pour enlever les objets du trottoir semblent peu à peu avoir raison de la présence des Roms.

La Station et le campement

Quelles sont alors les motivations derrières les efforts pour implanter temporairement des initiatives artistiques et culturelles dans une friche post-industrielle périphérique ? Le site même de la Station, ancien entrepôt de stockage de charbon, a longtemps été désaffecté et squatté. Selon plusieurs voisins et résidents interrogés, ce qui est aujourd’hui la Station aurait abrité alternativement et/ou successivement une boîte de nuit africaine, un squat antillais, une crackhouse, et même un lieu de rites vaudous, avant d’être évacuée en 2013 afin que la SNCF mène les études préalables à la démarche d’appel à manifestation d’intérêt. Un des entrepôts voisins avait accueilli le Club 287, une autre boîte de nuit ouverte par Jean-Luc Lahaye et un club de bikers fans de Johnny Hallyday au début des années 2000. Fermé et rasé en 2008 après plusieurs faillites et reprises entremêlées d’affaires de stupéfiants, de mœurs et de troubles à l’ordre public, le lieu était occupé jusqu’à cet été par un campement rom.

L’ancienne boîte de nuit 287, devenue campement rom puis évacuée et murée

Pour reprendre la main sur les lieux, la SNCF Immobilier transforme alors une partie désaffectée de la zone industrielle “Gare des Mines” en “La Station”, friche urbaine et festive. La réintroduction d’initiatives artistiques et musicales au cœur d’une ancienne gare de stockage fait alors de la Station une sorte de front pionnier dans un secteur a priori déserté par les projets culturels. Mais au-delà d’une simple expérimentation par amour des belles choses, la démarche du site artistique temporaire semble s’inscrire comme une étape de transition entre l’état de friche industrielle et la revalorisation d’un patrimoine foncier. En effet, ce quartier en pleine déshérence post-industrielle est le sujet de programmes de transformation urbaines à plus long-terme, comme en témoignent l’installation progressive de bureaux de grandes entreprises. Depuis le début des années 2000, la mairie du 18eme arrondissement et Plaine Commune réfléchissent conjointement à un programme de rénovation à grande échelle de la zone de Paris Nord-Est, avec un projet bien spécifique pour le quartier dit Gare des Mines – Fillettes. Le programme vise à « désenclaver » et « requalifier » un quartier en friche ; il prévoit la création de 1 500 logements dont 40% de logements sociaux, mais aussi de logements étudiants et destinés aux classes moyennes, des équipements publics, et de dédier 140 000m² au commerce et aux bureaux. Une des particularités du programme est qu’il a pour ambition d’atténuer dans le secteur la frontière entre Paris et sa banlieue ; la Mairie du 18eme et Plaine Commune ont ainsi désigné une équipe unique d’urbanistes pour mettre en œuvre ce premier projet intercommunal via deux Zones d’Aménagement Concertées, qui opéreront les cessions de terrains aux acteurs privés. Le franchissement de la frontière se traduira aussi physiquement, par la couverture du tronçon du périphérique dans le secteur, permettant la mise en place d’espaces verts et de bureaux en continu entre Paris, Saint-Denis et Aubervilliers.

Etude programmatique par les urbanistes Devillers & Associés dans le cadre du projet Gare des Mines – Fillettes. Les bâtiments M, L, K, J et S sont situés en totalité ou en partie sur la parcelle de la Gare des Mines et le périphérique couvert

Le choix de la Gare des Mines comme terrain d’expérimentation pour la SNCF Immobilier semble alors ne pas être un choix anodin ; située à la fois à Paris et en Seine-Saint-Denis, et au cœur d’un quartier en pleine revitalisation, la Gare des Mines est destinée à accueillir à terme des immeubles de bureaux, des logements et des espaces verts. Si de nombreux volets du grand programme de transformation du quartier Gare des Mines – Fillettes sont encore à l’étude, l’utilisation de la Station comme site artistique temporaire permet d’en stabiliser l’occupation, et d’opérer une transition en douceur hors de la simple friche industrielle tout en améliorant l’image de l’entreprise et la valeur foncière de son patrimoine immobilier. La venue soudaine et massive de jeunes fêtards parisiens dans une friche industrielle reflète à échelle réduite les changements en cours à l’échelle du quartier à plus long terme, l’effacement de la frontière entre Paris et sa banlieue, et la volonté d’implanter dans le quartier des populations plus aisées. Si ce changement est accueilli avec bienveillance voire enthousiasme par certains résidents du quartier, il semble poser les bases de sa gentrification, et pourrait avoir des conséquences sociales pour certaines populations défavorisées : hausse des loyers, déplacement des moins fortunés vers des quartiers plus éloignés, expulsion des populations marginalisées.

Ce constat pose pour Noise la question de la légitimité de ses interventions ; est-il possible de créer des lieux de convivialité et de mixité sociale dans un cadre de démarches initiées par des collectifs extérieurs au quartier, et des entreprises privées ? Quelle attitude adopter face aux initiatives de transformation des quartiers et face à la gentrification ?

 

Les articles suivants vous emmènent à la rencontre des habitants du quartier, et vous racontent comment Noise a voulu s’intégrer dans cet écosystème.


Texte : Jules Le Gaudu
Photos : Tara Mousavier et Jules Le Gaudu

[1] Intercommunalité regroupant les communes autour de la Plaine Saint-Denis, dont Saint-Denis et Aubervilliers
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