Le problème des jeunes, c’est que ça n’aime rien tant que traîner ensemble. Or pour traîner ensemble il faut un lieu pour se rassembler. Si l’espace public est en principe libre, chaque municipalité a la responsabilité de l’aménager et d’en fixer les règles d’accès. Dès lors, ne traîne pas toujours qui veut.
Laissez-moi vous présenter Bourg-la-Reine. Un coup de RER et vous trouverez une petite ville calme, coquette, avec sa place du village occupée la moitié de chaque mois par le manège, son conservatoire et son église adjacente à la mairie. Aux dernières nouvelles, la ville ne remplit pas le minimum légal de HLM de la loi SRU, mais que voulez-vous, c’est difficile de cacher les HLM. La ville compte trois maisons de retraites et trois écoles primaires publiques : il y en a pour tous les âges… qui vivent entre 7h et 22h ! Et les jeunes ? Ceux qui veulent exister au-delà de 22h ?
Les lieux non-commerciaux (les squares, les terrains de sport, les jardins entre les immeubles…) où l’on peut se retrouver et être abrité sont tous fermés avant la nuit. Autrement dit, l’espace public n’est pas public, il est ouvert au public. Pour les jeunes, les problématiques d’usage et de contestation des espaces font donc partie du quotidien. Ici comme ailleurs, il faut prendre possession des espaces. On repère un endroit facile d’accès, sans trop de voisinage, le genre d’endroit où l’on peut percer la nuit. Le square a une table abritée autour de laquelle se rassembler ? On passe au-dessus des barrières.
Enfin on passait. Pendant longtemps, les grillages étaient assez hauts pour de jeunes enfants, mais pas assez pour de jeunes adultes. L’ennui, c’est que nous ne sommes pas complètement invisibles ni silencieux. Les élus se sont inquiétés : « les voisins se plaignent, il faut empêcher l’accès ». Alors des barrières sont montées, le matériel urbain facilitant la grimpette disparaît. L’espace devait devenir inatteignable. Pire encore, aux plaintes s’ajoutent les fantasmes : « le square est un repère pour trafic de drogue, il faut mettre des caméras ». Ça n’a pas loupé, les caméras se sont multipliées en centre-ville sans que la mairie ait besoin de plus d’arguments ou de preuves du problème et de l’efficacité de la solution. Il fallait répondre aux plaintes des riverains, ces électeurs qui donnent de la voix. Pour eux les bandes de jeunes sont vues comme une nuisance voire comme un véritable danger, et sans doute rarement comme des électeurs potentiels. Nous ne sommes pas légitimes dans ces espaces semi-publics, nous en sommes chassés.
Dans une ville où le maire est en place depuis ma naissance, la vie politique municipale ne passionne pas énormément. Si les chiffres du recensement de 2013 concernant la répartition par âge de Bourg-la-Reine ne diffèrent presque pas de ceux de Paris, la vie politique locale n’a pas le même dynamisme. M. Chevreau est inexistant sur Facebook et loin de lui l’idée de proposer un budget participatif par exemple. Précisons au passage qu’il donnait sa démission en mai dernier après 25 ans de bons et loyaux services, mais que l’équipe d’adjoints n’a pas changé.
Le problème d’accès dépasse la nuit, et va plus loin qu’une non-considération des envies de jeunes. Il y a trois ans, l’accès au stade municipal fut extrêmement restreint. Comme la plupart des parcs à jeux pour enfants de la ville, il faut désormais un digicode pour pénétrer dans le stade dont les portes sont aimantées, ou alors sonner à un interphone et prouver que l’on fait partie d’une association sportive. Quand il s’est agi de pouvoir jouer au foot, ces mêmes jeunes qui ne pensent qu’à traîner dehors (croyait-on) se sont organisés. Le besoin d’espace public – le besoin d’exister quelque part – est un puissant moteur. Aux demandes d’accès le dimanche, la mairie a opposé l’argument d’un stade tournant à plein régime. Rencontrer l’adjoint responsable s’est révélé impossible pour les jeunes qui avaient fait l’effort de se constituer en association et de jouer dans les règles. Comble du mépris : le stade était vide le dimanche. Ils ont alors fait monter la pression, envoyant des preuves photos par lettre recommandé. D’un coup, ils ont pu rencontrer l’adjoint et ont obtenu l’accès au stade. Depuis, chaque année, le cirque recommence. Des courriers sont envoyés, les élus sont rencontrés pour que les jeunes puissent organiser leur tournoi dominical.
Depuis deux ans, les membres de l’association peuvent donc jouer au foot le dimanche. Mais que deviennent les autres sportifs ? Les basketteurs par exemple ? Jusqu’ici tout allait bien, il y avait un petit terrain en accès libre, jour et nuit. Pas de chance, la mairie veut le récupérer pour bâtir le nouveau local de la maison des jeunes et de la culture. Et le terrain ? Oh il ne sera pas remplacé. Et l’espace entre ce nouveau bâtiment et la butte sur laquelle repose la ligne de RER surélevée ? Impossible de le laisser ouvert, le projet prévoit d’en faire un espace pour les familles, avec des barrières…
Comme s’ils n’existaient pas, la Mairie s’obstine à ne pas voir et à ne pas entendre ses propres adolescents. Cette surdité municipale semble être un combat perdu d’avance – si ce n’est plus nous ce seront nos frères et sœurs, les bandes de jeunes suivantes. Mais la suppression des espaces publics non-commerciaux n’est pas sans effet. Sans lieux, les jeunes vont traîner dans les villes adjacentes, et sans reconnaissance, ils finissent par quitter Bourg-la-Reine dès que l’âge et le portefeuille leurs permettent.
Texte : Camille Bonazzi
Photos : David Attié