Les graffitis ont recouvert les murs de la pièce, véritable lierre grimpant. Une corde pend de la mezzanine, c’est une « balançoire » m’explique le tenant des lieux. Ou une liane. Comme dans toute chambre de jeune homme, des champignons poussent dans les assiettes et autres morceaux de pizzas laissés à l’abandon. Bob Marley, Jimmy Hendrix et Eminem me regardent depuis leur poster respectif, nous ne sommes pas seuls. Le fennec, vivant habituellement le désert, a investi cette jungle. C’est plus vert. Ses cheveux en bataille et son air malicieux m’accueillent chaleureusement dans son terrier. Derrière la vitre un temps humide, à l’intérieur une guitare sèche.
Retour sur des propos touffus échangés dans cette jungle, avec le fennec
Delmiran : Narbo, ça sent Narbonne mais peut-être que je me trompe ?
Narbo : Ça vient de mon nom de famille et des mouvements migratoires de mes ancêtres. Je suis issu d’une famille séfarade. Et puis, plus petit, je jouais au rugby. Je ne brillais pas par mon talent. Des camarades railleurs m’avaient surnommé « Narboni ». En choisissant « Narbo », j’ai voulu transformer ce souvenir négatif en aspect plus positif.
Comment qualifierais-tu ton écriture ?
Scolaire et méthodique car la plupart du temps je prévois des thèmes à l’avance. On me dit aussi qu’il y a un air de Kacem Wapalek, sans doute lié aux assonances et allitérations. Et puis, mon écriture est codée. Je multiplie les références scientifiques, c’est une sorte de jeu pour moi.
Pourrais tu nous faire un bref récapitulatif des projets que t’as sorti ? J’ai vu que t’étais plutôt productif.
Il a deux ans, j’ai entamé un projet avec Cyanik, un mec qui rappe en anglais. On a finalement publié 4 tracks. A 18 ans j’ai sorti mon premier album, Naïve n’ Cynical. C’est une synthèse de mes années lycée, qui oscille entre la naïveté et le cynisme. Un peu comme quand t’es jeune et que tu remarques des absurdités qui n’ont pas lieu d’être. C’était dans cet état d’esprit. Tu peux retrouver ces projets sur mon soundcloud en téléchargement libre (https://soundcloud.com/nnarbo). En ce moment je bosse sur mon deuxième album où j’aborde des sujets plus complexes, il sera plus abouti d’un point de vue lyrical et musical.
Je voudrai revenir sur ton morceau L’épopée. Tu dis : « le premier genre de l’histoire à faire swinguer toute la terre ». Ce swing, on le retrouve dans tes sons. T’es toi même musicien ?
Au départ j’étais guitariste. Je viens du rock et du chant. Aujourd’hui, j’utilise mon savoir-faire avec la guitare pour nourrir mes instrumentals. Donc oui, je pense être musicien.
Ton morceau L’épopée retrace finalement l’histoire de la musique. Ta posture est double. Tu sembles vouloir ancrer cette Histoire dans la musique puisque t’en fais un morceau, c’est une belle mise en abyme d’ailleurs, et en même temps tu te fais enseignant. Rapper, c’est enseigner ?
Pour revenir sur le processus d’écriture de ce morceau, j’ai voulu raconter l’histoire de la musique en mettant bout à bout les différentes périodes et genres musicaux.
Quelque part, je voulais faire plaisir aux musiciens. Ma mère en est une, elle joue du violoncelle, ce qui explique peut-être cette démarche. Quelques clins d’œil comme le « mix sur cassette » s’adressent aux plus vieux. Ça renvoie à une conception de la musique qui passait par un objet, quelque chose de matériel. Le MP3 est beaucoup plus dématérialisé. Ensuite, je l’ai fait dans l’intention de montrer que tous les genres se construisent sur des fondements. Rien ne sort de nul part, contrairement à ce que certains peuvent penser. Il s’agissait donc pour moi d’apprendre quelque chose aux gens c’est évident, et puis de glisser quelques clins d’œil.
Tout est dans l’intention finalement…
Aujourd’hui plus que jamais. Je pense que l’éthique joue un rôle fondamental dans la musique et dans son industrie. Certains n’aiment pas l’art contemporain, sûrement parce qu’il ne pigent pas la question d’intention… Mon intention c’est de partager…et de scotcher les gens, on va pas se mentir ! (rires)
Dans ton morceau « Cohérence », peut-on associer ton flow très technique à un pied de nez aux rappeurs qui ont un flow très rapide et qui noient la profondeur de leur lyrics ?
Il s’agit bien de cela. Certains Mc’s devraient être sponsorisés par des moulins…ils brassent de l’air ! J’aime qu’on me raconte des histoires, des vraies. Tu prends Rocé, Hocus Pocus, Gaël Faye ou encore Akhenaton, ces mecs te racontent quelque chose avec brio. Tu les écoute de A à Z.
Je ne peux m’empêcher de penser à ta phase « Le branleur et le sage, le taffeur et le singe » dans « La coloc’ ». Ce son retrace une anecdote vécue ?
Non c’était plus une façon de me moquer de moi. J’ai tendance à vouloir planifier et prévoir tout à l’avance, je me suis un peu calmé depuis (rires). Ce son, c’est une discussion avec moi-même. Pour sortir les grands mots, il y a deux entités temporellement différenciées. Le matin, bosseur, et l’aprem’, glandeur.
Dans ton morceau « Émotion », tu parles de sensations très diverses… Quelles sont-elles lorsque tu fais un Open mic ?
J’ai l’habitude de rapper devant beaucoup de gens mais pas en m’affrontant. Ça fait du bien de se faire remettre à sa place parfois ! (rires) Que les gens se le tiennent pour dit, les open mics parisiens sont truffés de talents bruts. Te retrouver face à ces mecs, ça te permet de te remettre en question et ça te donne de l’énergie. C’est positif quoi !
Quand j’écoute « Captain’ Nobrain », je vois les métaphores fluviales et maritimes pleuvoir… Si Paris était une mer, qui en seraient les pirates ?
Je crois qu’il y a différentes définitions de ce mot selon les âges. Au miens, je pense que c’est aller aborder n’importe qui, mais attention pas que des meufs ! Le vrai pirate est rusé. Et ce genre de piraterie m’a permis de faire de bonnes rencontres.
J’ai remarqué que tu travaillais pas mal sur l’architecture de tes morceaux. Tu proposes autre chose que le format standard couplet-refrain-couplet-refrain en bossant sur des formes d’interludes dans le morceau. Pourquoi ?
Mon goût pour les ponts remonte à mes années rock. Dans mon prochain album, tu retrouveras des instrus qui évoluent et qui sortent encore plus de la structure canonique. Dans « Le Carnaval » par exemple, le morceau se divise en trois mouvements. Il y a d’abord une imagerie de « gamin », puis une succession de scènes propres au carnaval et enfin une anecdote personnelle. Lorsque je regarde autour de moi, je me rend compte que ce regard façonne aussi la structure de mes morceaux. Dans « Cosmos », un autre son de mon prochain album, j’alterne entre un télescope qui regarde le ciel et un effet de loupe sur ce qui est plus proche. J’aime passer du décors au ressenti.
Qu’est ce qui a égayé tes oreilles récemment ?
En rap je dirais Rocé et DF ! Il y a aussi Amon Tobin en Trip Hop que je kiff pas mal. Et puis j’essaie de m’ouvrir à la techno et la house, c’est mon côté curieux.
Quels sont tes projets dans le futur ?
Je bosse dur sur mon double album. J’envisage également de remonter sur scène, j’ai commencé à booker quelques dates sur Paris avec mon band ! Et puis je veux continuer de faire des collab’s, je pense qu’on ne regrette jamais les sons qu’on a faits. Quand tu les réécoute, ils te plongent dans un souvenir, un moment de ta vie. Un peu comme la madeleine de Proust.
Le mot de la fin, éclairer ou briller ?
« Eclairer » me semble bien présomptueux ! (rires) Je dirais plutôt « briller », je prône l’individualisme dans le sens où l’on n’est pas un sexe, un rappeur, une nation. Je pense que chacun est particulier. On ne se détermine pas selon un statut. Tiens, prend un noble par exemple. Il est humain avant d’être noble ! J’essaie de faire passer ce message dans mes musiques. Quelque par, l’artiste est journaliste. Il se fait le témoin de ce qui se passe autour de lui.
Le fennec clamartois, au fond de son terrier, sortira bientôt affronter le désert parisien. Oreilles dressées, je vous propose cette sélection
• L’épopée
• Du même monde feat Guig’z
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