Le XIIIe et le Street art est une histoire d’amour qui dure et qui fait régulièrement parler d’elle. Et pour cause : à l’inverse des quartiers qui s’échinent à effacer les dessins sur ses murs, la mairie du XIIIe les adoube et les encadre.
Lorsqu’en juillet 2015, la revue de quartier « Le 13 du mois » consacre un article sur l’usage que font les députés de leur réserve parlementaire (ensemble de subventions d’Etat accordées par circonscriptions et visant à financer des associations et collectivités), il mentionne sans surprise l’importance qu’a pris le soutien des arts urbains contemporains dans les dotations de la 9e circonscription.
Il faut dire qu’aux origines de cette belle idylle artistique, il y a un nom : Medhi Ben Cheikh, que tous les galeristes du coin connaissent et appellent familièrement « Medhi ». A la tête de la galerie Itinerrance – la première consacrée au street art à s’être implantée dans l’arrondissement -, il est celui à qui l’on doit l’événement de « la Tour 13 », il y a deux ans de cela. Cette exposition d’art éphémère qui avait investi un immeuble entier – laissant 108 artistes internationaux en peindre les façades et les appartements inoccupés avant de raser le tout – avait attiré plus de 25 000 visiteurs au total, entre 1000 et 6000 par jour disait-on. Ceux qui n’y sont pas allés l’ont au moins envisagé, ou en ont parlé : 9 étages et 4500m² de dessins sur les murs, cela ressemble à un fantasme infantile qu’il fallait soit exaucer soi-même, soit aller voir de ses yeux. Ce projet d’une ambition hors norme, vraisemblablement la plus grande exposition de Street Art jamais réalisée, est sûrement ce qui consacra le 13e comme la plaque tournante de l’art urbain à Paris.
La réussite d’Itinerrance n’a pas manqué d’inspirer d’autres galeristes amateurs de street art. S’engouffrant dans la brèche, la galerie Mathgoth a rejoint le club des initiés, cherchant les supports et les artistes susceptibles de poursuivre l’élan de dynamisation du quartier. Elle expose actuellement les portraits végétalisés d’Aurel Rubish, artiste besançonnais croisant les influences du street art, du tatouage et du surréalisme pop dans un ensemble somptueux de papiers découpés. A deux portes des locaux de Ben Cheikh, une autre galerie toute neuve, encore anonyme, consacre une expo non moins pop au tristement célèbre Club des 27.
Le nom de Jérôme Coumet n’est pas non plus étranger à toute cette effervescence artistique. Arrivé à la mairie en juillet 2007, cet enfant du 13e qui en a fréquenté les écoles et arpenté les galeries a toujours, dit-on, cultivé une appétence pour l’art urbain. En chapeautant la réalisation du parcours artistique « Street art 13 », véritable musée à ciel ouvert, le maire a permis à l’arrondissement de se doter d’une identité visuelle, de trouver sa signature atypique. Le quartier ainsi jalonné de fresques monumentales aimante les itinéraires des touristes et séduit les hordes de passants. La ballade est ludique : elle consiste à se déplacer de fresque en fresque (on ne les compte plus à l’heure qu’il est, même si on les situe au nombre de 30), et regarder le quartier d’un œil nouveau. Les bailleurs sociaux, associés à l’initiative, semblent eux aussi charmés par cette parade ingénieuse redonnant vie et couleur aux façades austères des immeubles environnants.
Les noms fameux ne manquent pas dans les liste des artistes prodiges ayant imprimé leur marque sur les façades. On ne présente plus, par exemple, l’artiste C215, pochoiriste français connu pour avoir revitalisé la banlieue de Vitry-sur-Seine grâce à son trait fuselé et bigarré, aisément identifiable. C’est lui qui signe, métro Nationale, ce profil de chat de 25 mètres sur fond bleu, guettant le mouvement de la ville d’un œil impassible.
Mais il y a aussi le « calligraffeur » eL Seed, à l’origine des arabesques blanches et turquoises qui ornent l’Institut du Monde Arabe ; l’impressionnant pantomime orange du chilien Inti qui court sur les murs de la rue Lahire ; ou encore cette femme spectaculaire, mi Jeanne, mi Marianne, que l’on peut admirer en remontant l’avenue Jeanne d’Arc et que signe l’artiste américain Shepard Fairey. (Le même sérigraphe signe en 2008 le poster de campagne d’Obama « HOPE », désormais iconique.)
Toutes ces œuvres laissent souvent la porte ouverte à la discussion, sans imposer de lecture unilatérale. Ainsi les grandes silhouettes quasi fantomatiques de Borondo rue du Chevaleret, allégorie des trois âges de la vie conçue pour la Nuit Blanche 2014 dégagent un mystère obsédant, donnant une facture grave et poétique au paysage d’ensemble.
Elles sont aussi porteuses de lien social : on ne peut ignorer le choix militant du muralisme, qui porte en soi l’enjeu de démocratisation de l’art ; ni la volonté de réhabiliter, par le biais artistique, un arrondissement dont les immeubles n’ont pas l’attrait du bâti haussmannien. Au-delà du défi esthétique et de la métamorphose du quartier, le Parcours Art 13 semble bien manifester un désir de dialogue brûlant avec riverains, faisant converger toutes les bonnes volontés. Ainsi Place de la Vénétie, le long de l’avenue de Choisy où l’artiste portugais Pantonio signe avec Itinerrance la plus grande fresque d’Europe représentant une myriade de poissons, les habitants voient un hommage à la communauté chinoise du quartier, pour qui l’animal est symbole d’abondance et de prospérité.
Au-delà de ces projets de grande envergure portés par la mairie, le quartier dans son entier semble s’être mué en terrain de jeu pour les street artistes : les postes électriques et boîtes aux lettres sont tant de supports d’expression où se succèdent les œuvres, aussitôt exécutées, aussitôt recouvertes par d’autres graffeurs inspirés.
Le paysage se livre d’autant plus à l’exercice qu’il porte encore des vestiges du quartier ouvrier historique de la ville, en constante revitalisation. Les Frigos de Paris, anciens entrepôts frigorifiques ferroviaires jusque dans les années 60 en fournissent un cas saisissant : aujourd’hui reconvertis en cité artistique abritant une constellation d’ateliers, cette forteress, quasiment surmontée de donjon, a été recouverte de fresques et de graffs avec un soin et une profusion baroque – les façades extérieures ne donnant qu’un maigre aperçu de ce qu’il en est à l’intérieur. Au voisinage des buildings de verre de la respectable Bibliothèque Nationale de France et du Ministère de la Jeunesse et des Sports subsiste ainsi ce fragment gothico-industriel qui semble s’être échappé de Berlin, devenu l’emblème de la mixité architecturale du quartier. On le visite une fois par an lors des portes ouvertes de printemps, lesquelles tiennent souvent lieu de tribunes pour ces artistes locataires réclamant, depuis plusieurs années, un statut moins précaire auprès de la ville (mais pour lequel ils refusent de sacrifier leur indépendance pour autant.)
Bien loin de la frilosité architecturale du Paris, ville-musée, le 13e s’ancre dans un mouvement artistique urbain, moderne, à la couleur universelle, fidèle à sa population estudiantine et mélangée.
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