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Le Bestiaire Musical – L’ours Isséen

Des statuettes de nains ornent des étagères dont le bois a vieilli. Dessous, un sofa dans lequel un bonhomme qui n’a rien d’un nain est assis. Barbe de quelques jours, larges épaules, mine renfrognée et gouaille à la Jean Gabin. Le luron s’appelle Barytone, de son sobriquet bien entendu. L’endroit fait penser à l’une de ces grottes dans laquelle des lutins pourraient se cacher, lumière falote et meubles à l’ancienne nous le laissent croire. Ici se cachent quelques bouteilles de vin que la poussière empêche de voir les étiquettes, un tam-tam africain, un clavier pour composer et un microphone. C’est la Tanière. Un studio abrité dans une cave d’Issy-les-Moulineaux.

 

 

Retour sur un moment passé dans l’antre de l’ours

 

Delmiran : Si tu devais décrire ton style en trois mots, lesquels tu choisirais ?

Barytone : Je fais du rap et du beatmaking, mon style varie selon la discipline. Si je devais choisir pour le rap, ça serait sans doute le jeu rythmique, l’influence roots de la Jamaïque et l’aspect planant. Quant au beatmaking, « moderne », « planant » et « drum » seraient sans doute les trois mots les plus évocateurs.

D’où vient ton blaze ?

De mon nom de famille et d’un surnom dont j’ai écopé à l’école. On m’appelait « Bariton ». De fil en aiguille, ça s’est transformé en « Barytone ».

Depuis combien de temps fais-tu du son ?

J’ai griffonné mes premiers textes vers l’âge de 10 ans. Cette motivation pour l’écriture remonte à loin comme tu peux le voir. Pour ce qui est de la prod, cela fait trois-quatre ans, c’est donc plus récent.

Qu’est-ce-qui t’as donné envie d’en faire ?

Pour l’anecdote, vers huit ans mes parents m’ont offert un post-cassette. Le genre de truc que tu ne trouves plus. J’étais littéralement absorbé par cet objet, je passais des heures à l’écouter, tant et si bien que j’ai failli rater mon année.

Adolescent, j’ai créé une petite webradio. J’arpentais le macadam de Paris et de sa banlieue pour faire des interviews. Cela m’a permis de voir comment les rappeurs et autres musiciens faisaient, une bonne formation de terrain. Tu sais, je fais partie de ceux qui pensent que l’environnement façonne l’individu. Je viens d’un milieu urbain dans lequel le Hip Hop s’est beaucoup développé. J’ai grandis en banlieue parisienne où, comme tu peux t’en douter, les mecs y sont attachés et en écoutent. Ça a joué quelque part.

Selon moi le Hip Hop c’est la musique la plus ouverte. T’as des Noirs, des Blancs, des Jaunes, des Beurres, ect qui se reconnaissent dans ce mouvement. C’est sûrement ce que j’apprécie. Ce côté réunion et rassemblement. Au contraire, tu ne verras jamais un Noir dans un groupe de métal, ce n’est pas pour dénigrer ce style musical, mais il faut bien reconnaître que ça ne court pas les rues.

J’ai écouté bon nombre de tes morceaux, j’ai notamment vu que t’avais fais un John Doe (oui, oui, je t’ai reconnu). Est-ce-que tu pourrais revenir sur cette expérience ?

Cover du morceau « A Bicyclette » (Barytone, Alpha Wann, Beubtwo)

Il y a aussi ce fameux son, A bicyclette, je note un certain goût pour le Tour de France au passage. Un invité de marque, Alpha Wann, est présent sur ce morceau. Tu pourrais nous raconter l’histoire de ce morceau ?

Ce son est assez ancien finalement, ça fait bien deux-trois ans qu’on l’a enregistré. La prod a été réalisée par Beubtwo, mon collègue de son avec qui j’ai fondé mon groupe Hip Hop Buster. Je me souviens, c’était au tout début de l’histoire d’1995, quand les membres du crew étaient encore invités aux concerts de Zoxea. J’avais sympathisé avec le petit frère d’Alpha, celui que l’on surnomme

« Hiboux ». Il ne rappait pas mais était toujours là lors des sessions freestyles que je faisais avec mon sauce J.R. Il nous donnait des conseils. De fil en aiguille, j’ai finis par rencontrer Alpha et un été on a fini par enregistrer ce son. La prod lui plaisait, le thème aussi, ça s’est fait comme ça ! Je l’avais d’ailleurs invité sur un autre morceau qui n’est pas encore sorti. En fin de compte, A bicyclette est sorti assez tard, c’est une forme de son bonus qu’on voulait intégrer dans un projet de reprises de musiques françaises.

Avec qui tu rides maintenant ?

Dans mon ancienne équipe, il y avait une émulation. Mais c’est une team de jeunesse qui s’est un peu éparpillée. J.R est parti bosser en Croatie, Beubtwo travaille sur d’autres projets, bref on a pris des directions un peu différentes. Maintenant je me concentre sur des prods à placer pour quelques rappeurs et je taffe avec Katresang. Katresang c’est un pote d’Issy qui rappe et avec qui j’avais déjà collaboré pour plusieurs sons et pour une scène à l’Espace Icare.

T’as des projets en cours ?

Je cherche une cohérence dans les sons que je fais en ce moment. Je suis un adepte de l’auto prod, mon projet Le Sobriquet a été réalisé de cette manière de A à Z. De l’enregistrement au mastering en passant par le mixage. Comme tu peux t’en douter ça prend du temps, étant donné que je suis encore un étudiant, la Fac a parfois tendance à me grignoter de précieuses plages horaires. En ce moment les pages de mes cahiers d’écriture restent blanches. Du coup, je noircis mes nuits blanches à faire des instrus. Je produis notamment un beat sur le projet de Katresang, un son qui devrait avoir de la gueule. Récemment, j’ai sorti un son avec Baron Black que j’ai flippé : « Laisse moi tranquille »

Cover du projet « Le Sobriquet volume 1 »

De qui ou de quoi tu t’influence dans tes textes et tes schémas de rimes ? Et dans tes instrus ?

Pour ce qui est de la technique et de la musicalité, dans le rap, les Neg Marrons m’ont sacrément influencé. Le CD que j’ai sans doute le plus écouté, c’est Héritage. Je le trouvais super novateur car inclassable : ni rap, ni reggae, dans l’entre-deux !
Côté beatmaking, de nombreux beatmakers m’influencent, je ne reste pas cantonné à un seul et même mec. La musique afro occupe une grande place : blues, jazz, soul, funk et roots. J’apprécie aussi la chanson française, riche en samples. Je suis d’ailleurs en train de bidouiller un sample de Nougaro, je ne vous en dis pas plus pour le moment mais le résultat risque d’être méchant. Côté technique, j’expérimente à mon niveau. Je pense que dans la musique, on atteint des paliers. Un peu comme dans un jeu vidéo. Je n’estime pas être encore une véritable bête dans ce domaine mais je dirais qu’au cours de ces deux dernières années j’ai compris pas mal de choses.

Dans tes instrumentals, on retrouve quelque chose d’aérien qui groove… Cela paraît antinomique et pourtant ça sonne bien ! Peux-tu nous parler de ton processus de création ?

Dans le beatmaking, t’as plusieurs paramètres à prendre en compte. D’abord, il y a l’aspect technique. Pour ça, c’est du travail et des astuces. Un peu comme le cuisinier qui connaît des combines pour rendre son plat plus savoureux… Les beatmakers talentueux sont de bons cuisiniers du son ! Après, t’as un autre aspect, la sensibilité. Là, c’est à toi de forger ton oreille. Étant donné que je n’ai pas fait de solfège, j’ai dû façonner mes oreilles en autodidacte. Et puis, il y a un dernier paramètre, l’intuition. Plus tu gagnes en technique, plus tu peux te fier à ton intuition. C’est ce qui apporte ta touche musicale.

Quand je décide de faire une instru, je procède d’abord à un traitement du son de manière à ce qu’il soit plus épuré et plus aérien. Puis, je combine des petits bouts de samples auxquels j’ajoute des compo personnelles. Pour le groove, tout est dans les drums que tu choisis. Ça m’arrive aussi de faire des instrus sans utiliser de sample, uniquement avec de la compo, mais c’est plus rare.

 

Qu’est ce qui a accroché tes oreilles récemment ?

Hum… (petit moment d’hésitation) Je dirai Zékwé Ramos en rap français. En rap roumain, j’ai découvert Spike, une grosse claque !

Je sais que t’as passé un an en Roumanie dans le cadre d’un Erasmus, tu pourrais nous parler de l’expérience musicale que t’as eu là bas ?

A Bucarest, car c’est là-bas que j’étais, la communauté qui écoute du rap est assez restreinte! Il y a peu de concerts Hip Hop, mais pour le peu qu’il y a c’est propre. Je suis allé voir Deliquents Habits au Collectif, la salle qui a brûlé récemment… Le concert était dingue, une ambiance de fou ! A Bucarest, je dirais qu’il y a moins de concurrence, les Mc’s sont solidaires entre eux. L’état d’esprit est vraiment positif. J’ai organisé un concert auquel j’ai invité des rappeurs roumains et Baron Black. Ce concert n’aurait pas vu le jour sans l’aide de ces rappeurs locaux qui m’ont filé un précieux coup de pouce. Pendant le concert, même si les gens ne comprenaient pas ma langue, ils étaient très réceptifs. Quand je suis rentré en France, je n’ai pas échappé au coup de blues… Retrouver l’état d’esprit parfois un peu carnassier qui règne dans la capitale… ça me bouffe !

Pour finir, on est posé dans un endroit plutôt atypique…

La Tanière, ça porte bien son nom n’est-ce-pas ? Pour la petite histoire, j’avais du matos qui traînait à droite à gauche. Ce qui me manquait, c’était un lieu pour se poser et ne faire que de la musique. Katresang a trouvé le lieu, j’ai fourni le matériel. C’est notre QG dorénavant. Ce studio, c’est aussi un bon moyen d’entraide, une sorte de start up, un « coworking musical ». A l’heure actuelle, on parle d’auto-entrepreneuriat dans bien des domaines, je pense que La Tanière en est un exemple. Il s’agit pour nous de produire des projets, on a commencé à enregistrer des sons et composer des beats. Tu peux retrouver le freestyle Luciole * de Katresang que j’ai mixé et masterisé ici. On travaille sur nos projets mais on n’est pas fermés aux demandes d’enregistrement, loin de là.

Dans un studio, je dirais qu’il y a une partie technique et une partie atmosphère. Un bon studio contient du matériel de qualité, c’est certain. Mais ça ne suffit pas. La partie atmosphère a un rôle fondamental. Comme tu peux le voir, c’est un lieu assez insolite. Une vieille machine à laver, une mini cave à vin, des meubles à l’ancienne… Bref, c’est original et attachant.

 

L’ours isséen concocte en ce moment plusieurs sons mais plutôt que de se perdre dans d’interminables explications, écoutez ma sélection. Vous y reconnaîtrez sa griffe…

 

Morceaux choisis :
A Bicyclette – feat Alpha Wann & Beubtwo
Un deliciu – feat Clue (Roumanie), Kent Archie (USA) & Dj Maath (France)
• As Roma
John Doe ∅ 22

Bastien Mirandel

Mon terrain ? La ville. Je l'arpente aux aurores après une soirée ou dans la nuit noire. A vélo ou à pieds, en voiture ou depuis les toits. Observer et retranscrire, mes maîtres mots.

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Bastien Mirandel

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