In Situ, la ville en quête d’imaginaire

Aux croisements de l’art urbain, de la danse, de l’architecture, du théâtre ou de la poésie, le film IN SITU met en scène des expériences artistiques dans une ville fantasmée. Il interroge ainsi notre rapport au réel dans l’espace urbain et notre propre façon de vivre la ville.

A l’occasion de la projection au Noise Apero #9, nous avons rencontré le réalisateur Antoine Viviani qui revient pour nous sur la genèse de ce film essai.

 

D’où est née l’idée de ce premier film ?

In Situ part d’une sorte de constat d’un espace urbain fatigué qu’il faudrait réenchanter. Le film va à la rencontre de propositions artistiques de gens plus ou moins fous qui créent des accidents dans la ville pour capter et interroger nos regards. En partant de ces expériences, je voulais faire une sorte de voyage sensoriel et onirique dans une ville d’Europe imaginée.

L’idée est de voir ce que ça raconte en creux. Comment on vit notre urbanité ? Comment on vit la ville, notre rapport à l’architecture ? Essayer de toucher du doigt notre manière de vivre ensemble dans l’espace publique, notre individualité et notre solitude. Qu’est ce qu’on attend des autres aussi ? La place de l’intimité, du signe, de la trace… Toutes ces questions qu’on ressent lorsqu’on habite dans une grosse ville.

Il y a un truc très romantique dans l’intention des artistes de vouloir toucher tout le monde et je voulais faire un film qui ressemble à ça, qui ait un côté très lyrique d’une certaine manière qui nous renvoie à notre propre manière de regarder la ville.

En quoi ces expérimentations artistiques influencent notre regard sur la ville ?

Les artistes que j’ai rencontrés portent un regard presque politique de l’espace public. Ce point de vue, ils le transforment en un geste artistique qui est aussi une façon de se réapproprier l’espace.

Je n’ai pas pour autant cherché à questionner ces problèmes urbains, ni ce qui est à l’origine de leurs démarches artistiques. J’ai voulu montrer comment ces gens là sont réunis par l’envie de perturber le regard du passant. Ce qui m’intéressait c’est ce qui les rassemble et pas ce qui les différencie.

Je voulais questionner cette diversité et voir qu’est ce qu’elle raconte de notre façon de vivre la ville. Donc, ne pas me placer du côté des artistes. Je voulais que le spectateur soit comme un passant de cette étrange ville.

Comment as-tu sélectionné ces expériences tour à tour invisibles, monumentales, participatives ou secrètes ?

J’avais écris une sorte de séquencier idéal du film avec toutes les questions que je voulais traiter. C’était la première fois que j’écrivais un film. Pour chacune de ces questions (le merveilleux, le secret, le participatif, l’absurde…) j’ai cherché des exemples pour les incarner et j’ai choisi par goût des choses très différentes.

Je les ai choisi sans les connaître. Je les ai contacté pour le film en leur demandant de faire non pas une interview ou une captation mais quelque chose d’un peu spécial pour le film. Il y a beaucoup d’événements qui étaient créés pour le film. L’idée était vraiment d’intégrer tous ces gens dans le discours du film en utilisant ce qu’ils faisaient, en les faisant parler le langage du film. Par exemple, les danseurs ne dansaient pas du tout sur du Wagner dans la rue. Ça s’est fait en dialogue à chaque fois.

In Situ ressemble à une composition maitrisée alors que les expériences artistiques laissent une grande place à l’imprévu. Comment te places tu vis à vis d’elles ?

Il y a la question des frontières entre la folie et le côté bien rangé de la ville, de ce qu’il faut faire et ne pas faire, de ce qui est réel et de ce qui ne l’est pas. Le film joue un peu là-dessus, sur les codes du documentaire. On se demande si c’est vrai ou pas et on joue avec ça. C’est un équilibre qu’on a trouvé grâce au montage. On aurait pu aller plus loin dans l’abstraction. Rétrospectivement, je trouve ça malheureux qu’il reste ce petit côté mosaïque.

 

Te sens tu proche de la psychogéographie qui prône « une réappropriation de l’espace urbain par l’imaginaire » ?

C’est complètement la démarche du film. Le film n’a pas d’extension psychogéographique même s’il y avait cette carte associée au film qui plaçait des expériences comme différentes humeurs sur la carte. Il y a aussi Philippe Vasset dans le film qui est vraiment psychogéographe.

In Situ est évidemment un héritage, rien que dans le titre, de tout ce vocabulaire et de toutes ces questions.

Les arts de rue sont une forme d’art qui date essentiellement des années 70 mais qui est assez à la mode aujourd’hui notamment parce que les questions qu’ils soulèvent sont récupérées par le marketing et par les marques. C’est presque un truc d’arrière garde en fait. Mais comme la ville change, il est important de continuer à l’interroger. Il y a aussi d’autres formes aujourd’hui mais ce n’est pas quelque chose de si actuelle. In Situ questionne aussi tout ça.

En quoi l’interactivité était-elle importante pour toi ? A la conception du film ?

Dès la conception du film, on a pensé à l’interactivité. Mais, à l’époque, on n’était pas dans des formats d’interactivité très clairs ou contraignants donc le challenge de ce film était clairement de faire une forme longue pour Internet. Le film fait 1h30 et il est avant tout un film et non un webdoc ou quoi.

J’ai voulu expérimenter d’autres rapports à l’image que l’internaute pourrait avoir parce qu’il est sur internet mais sans changer la fonction et le statut de ce qu’il regarde qui reste un film linéaire. Il y a des moments où il peut interagir avec l’image. Ces moments, je les vois comme des petites expérimentations. Internet peut être un outil de mise en scène.

L’interactivité en tant que telle a été faite après le montage. Toutes les séquences interactives ont un montage spécifique. Le film en ligne est différent de la version qui existe pour la salle mais la structure du film est la même.

As tu tenté de créer des ramifications entre l’espace urbain et l’espace numérique ?

Oui on a fait cette carte qui créé un lien avec l’espace physique. Il y a une application mobile qui permettait d’agir directement sur la carte. Ca a vachement bien marché. On a sélectionné 10% des propositions, celles qui gardaient un rapport intime à l’espace.

On a aussi fait des bonus qu’on n’aurait pas du mettre dans le film parce que je trouve ça dommage qu’on puisse stopper le récit. J’ai l’impression qu’il y a vraiment une illusion avec les nouveaux médias sur l’intérêt d’ouvrir tous les liens entre les choses, tous les contenus. A moins que ce soit un choix hyper fort qui se tienne, je trouve que c’est quelque chose qui dissout le point de vue. Ca revient à une structure qui est très archaïque par rapport à l’immersion que produit le montage d’un film. Ca renvoi plus à une culture du CD-ROM ou du site web qui est complètement dépassé aujourd’hui. Je trouve que ça embarrasse plus que ça n’aide l’expérience. Personnellement, c’est quelque chose qui m’empêche de rentrer dans un univers.

Outre le titre, y a-t-il une filiation entre « In Situ » et « In Limbo », ton dernier film, sorti il y a un mois ?

Oui il y a un lien thématique. C’est à chaque fois, un film sur des traces. Il y en a un où c’est des traces dans l’espace urbain, dans la ville et, l’autre, où c’est des traces dans un espace public qui est plus abstrait. Mais c’est à chaque fois la question du rapport au groupe et la question de la liberté de l’individu dans la société. J’ai l’impression que les deux films questionnent ça.

Dans In Situ, c’est la manière de vivre ensemble dans la ville et ce que raconte le besoin d’insuffler de l’imaginaire. Dans In Limbo, c’est la question d’un nouvel espace public et de la place de notre identité et de notre liberté là-dedans.

La question de la pression sociale dans l’espace urbain, avec le poids de la solitude, du train-train, du marketing publicitaire et de la privatisation peut aussi se poser sur le web. Dans In Limbo, on se demande si l’individu numérique est en train de devenir plus libre ou, au contraire, un esclave dissout dans un univers de consommateur. C’est une manière de regarder ce nouveau monde qui ne passe pas par l’expression artistique comme dans In Situ mais par l’imaginaire avec un retour à ce que serait les mythes fondateurs de cette nouvelle ère.

David

David est journaliste pigiste, ancien rédacteur en chef de Noise la ville.

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