Projeté en ouverture du festival « Le Maroc contemporain » à l’Institut du Monde arabe et lors de la semaine « Banlieue is beautiful » au Palais de Tokyo, c’est au tour du Festival Le Bruit de la Ville 2015 de faire une place à Fièvres, le dernier film de Hicham Ayouch.
La fièvre est une augmentation de la température corporelle habituelle chez les êtres humains au sang chaud en réaction à une infection virale. Cette évolution s’accompagne souvent d’un état émotif d’inquiétude et de tension anxieuse. A l’inverse, la fièvre peut être un état psychologique d’exaltation et d’agitation passionnée, presque spirituelle : j’écris « avec fièvre, avec allégresse, à bride abattue, quelle coupable folie ! ». Dans les deux cas, elle est un état de trouble psychologique ou psychique, une anomalie du comportement qui interpelle, dérange à l’extérieur et bouillonne à l’intérieur. « Fièvres », c’est le nom que Hicham Ayouch a choisi de donner à son troisième long-métrage de fiction. Au pluriel, comme pour englober sa diversité. Fièvre nerveuse, amoureuse, patriotique, fièvre de savoir, du gain, fièvre religieuse et révolutionnaire. Et surtout, partout, à chaque instant du film, la fièvre de la ville, ou plutôt celle de la banlieue.
Car « la banlieue », si elle n’est pas la raison principale des Fièvres des protagonistes, en est le décor et le terrain de prolifération. Et cette banlieue est si bien décrite qu’on inscrirait avec plaisir le film de Hicham Ayouch dans la lignée d’un « cinéma de banlieue », genre cinématographique adapté aux spécificités françaises dans les années 1990. Sorti en octobre 2014, Fièvres raconte l’histoire d’un jeune de treize ans dont l’emprisonnement de la mère prostituée le pousse à partir vivre chez un père qui ignorait son existence. Habitué à la violence de son auto-exclusion et déraciné par l’absence d’identité, Benjamin (interprété par Didier Michon) déboule dans la vie de Karim (interprété par Slimane Dazi), un père à la trajectoire cassée et au mode de vie passif qui vit toujours chez ses parents. La rencontre entre cet adolescent en avance et cet adulte à la traîne va les mettre tous deux face aux contradictions de leurs choix et, surtout, va les forcer à trouver des réponses qui pourraient faire redescendre la température de leurs ébats. Les deux acteurs, tous deux primés au Festival de Marrakech pour la justesse de leurs interprétations, donnent au film un caractère authentique, brut et réaliste.
La violence qui anime les relations humaines des personnages d’Hicham Ayouch est contrastée par la poésie visuelle du film. Tourné dans la cité du Landeau à Noisy-le-Sec, la totalité de l’action de Fièvres se déroule dans le décor de barres d’immeubles et de terrains abandonnés. « La banlieue, je n’y vis pas mais je m’y sens plus à l’aise qu’à Paris. Là-bas, on peut voir l’horizon » confiait récemment le réalisateur. Hicham Ayouch n’est en effet pas du coin. Né à Paris de parents marocains, son père est une grosse fortune du Maroc et un proche du roi Mohammed VI. Il est pourtant considéré comme un réalisateur provocateur et dénonciateur, notamment remarqué pour son documentaire sur le statut de la femme au Maroc (Les Reines du Roi, 2006) et son long-métrage racontant l’histoire d’un triangle amoureux à Tanger (Fissures, 2009). Si la familiarité avec le terrain de Fièvres s’avère illusoire, elle offre au réalisateur le recul nécessaire pour saisir les enjeux d’un tel sujet. Passé quelque peu inaperçu à sa sortie à côté des grosses productions, le dernier film d’Hicham Ayouch est donc à voir, à revoir, frénétiquement, presque fiévreusement.
Projection-débat avec l’équipe du film
Samedi 14 mars 2015 à 18h aux Mains D’Oeuvres
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