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Métro, boulot, micro : les transports en commun dans le rap

À Barbès-Rochechouart sur la 2 et la 4, à Saint-Germain-des-Prés sur la 4, n’importe où le long de ces couloirs souterrains qu’aiment arpenter contrôleurs et voyageurs, un mal semble s’être répandu. Baskets usées sur les pieds, écouteurs qui rendent l’âme dans les oreilles, beaucoup bougent leur tête frénétiquement au rythme du BPM.

Plus largement que le rap, la musique, à bien des égards, est devenue la solution face aux problèmes quotidiens des transports, au « Syndrome du trom’ » que décrit Nakk dans un son sorti en 2006 : quand « les transports en commun s’transforment en coma »

Ils sont devenus le lieu où la musique se vit, même si cela reste, hélas, solitaire – à l’exception des irruptions imprévues de l’accordéoniste du coin. Pour autant, la thématique des transports n’a jamais véritablement imprégné la chanson française ou très faiblement. Certes Gainsbourg a chanté Le poinçonneur des Lilas mais peu de monde l’a suivi. Le rap, dans un profond particularisme, s’est emparé de ce thème, devenu topos dans ses textes et dans l’image qu’il renvoie.

Rap et train font bon ménage : de la scène mythique de Wild Style où le protagoniste quitte le Bronx pour descendre sur Manhattan avec le Subway theme de DJ Grand Wizard Theodore et Grandmaster Caz en fond sonore – qui par ailleurs sera samplé sur The Genesis de Nas – jusqu’à J’éclaire ma ville de Flynt où il rappe qu’il fait partie des «  voyageurs qui ne connaissent que le bleu du RER B, de la ligne 13 ou la ligne 2 ».

Les textes de rap se sont toujours centrés autour d’une description du quotidien. Les transports en commun en font partie :  on les y retrouve souvent. Mais bien plus que cela, métro et RER reflètent les enjeux esthétiques et les questions d’identité inhérents au rap.

D’un point de vue esthétique, on comprend aisément la récurrence des allusions aux transports. Genre par naissance urbain, il s’accommode bien de l’aspect industriel que renvoie le train. Et ce, d’autant plus que le délabrement de certaines rames leur donne un côté « old school ». Le sous-terrain du métro fait écho avec force à l’aspect « underground » que revendiquent certains rappeurs.

Ainsi, les rappeurs qui s’affirment « indé », aux flows aux élans 90’s, utilisent souvent cette imagerie. On pense aux pochettes d’albums des rappeurs du 18e qui reprennent à foison les photos du métro aérien de Barbès : en arrière-plan sur la cover de Ni vu ni connu de la Scred Connexion par exemple. Dans un registre un peu différent, on peut citer celle de Seine Zoo du S-Crew où Nekfeu, Framal, Mekra et 2zer Washington se promènent sur la Petite ceinture ferroviaire de Paris (la PC pour les intimes).

Mais la question esthétique qui relie inévitablement rap et transports a ses raisons ailleurs. Le rap, ramification d’un mouvement plus global, le Hip Hop, entretient des liens quasi consanguins avec ses disciplines sœurs. Parmi celles-ci, le graffiti. Nombreux rappeurs ont un passé de graffeur : NTM était un crew de graff’ à ses débuts. Or les wagons et les tunnels sont le terrain de jeu du graffeur vandale. Nombre de références aux transports dans le rap le relient donc au graff’ et au tag.  Aketo du groupe Sniper en est l’illustration parfaite. Lui qui pose allègrement sur la cover de son album Cracheur 2 venin avec une bombe MTN Hardcore 2, déclame ainsi dans Gravé dans la roche :

« Comme une encre impossible à effacer,
Comme un tag à l’acide ou comme mon blaze
Gravé à la bougie sur les vitres du R.E.R,
S.N.I.P.E.R. avec un putain d’lettrage. »

Dans la même veine, le rappeur Hugo Boss du TSR Crew affirme dans son track Dégradation qu’il « baise le trom’ comme des salopes ». En clair, les transports en commun sont le lieu où se retrouvent deux disciplines phares du Hip Hop : graff’ et rap.

Au-delà de ça, le rappeur/graffeur jouant au chat et à la souris avec la Sûreté RATP, est à la recherche de la transgression, un aspect essentiel de son identité.

Les allusions constantes au « trom’ » lui permettent de se positionner par rapport aux autres. L’idée de subversion nécessaire à sa street credibility ou plus largement à sa légitimation dans le milieu rap, se traduit dans l’univers des transports en commun. Tout d’abord, par le graff’ comme détaillé précédemment mais pas que. Ainsi Nekfeu dans This is 1995 prétend qu’ « [il] concurrence la RATP, [il a] les meilleurs plans de Paname ». Outre la punchline bien trouvée, il s’affirme de fait comme supérieur à une institution et donc aux normes sociales. Dans cette même lignée, Akhenaton décrit sa haine pour les « contrôleurs qui ont investi le bus » dans Éclater un type des Assedics. Avec un peu d’ironie, Doc Gynéco dans Nirvana explique que depuis qu’il est célèbre : « Le docteur ne joue plus au fraudeur / [Il] achète des tickets par simple peur / D’avoir à buter un contrôleur ». Pour faire simple, même quand il fait un geste citoyen, c’est parce qu’il reste subversif au fond de lui.

La manière dont chaque rappeur se réfère au trom’ le catégorise. C’est pourquoi certains renversent les codes. Rocé qui dit être « un des seuls trentenaires à rapper comme un adulte » a filmé son clip En apnée sur les quais de Jussieu. Par les images de cette station de métro, il se positionne proche du savoir (l’Université Pierre-et-Marie-Curie se situant à la sortie) et loin d’une quelconque identité de « voyou » : on a connu plus street comme arrondissement que le 5e.

Aussi – le principe du represent étant majeur dans le rap – l’identité est avant tout territoriale pour le rappeur. Les allusions à des noms de stations ou à des numéros de ligne permettent de porter l’étendard de son quartier. On peut répéter l’exemple d’Hugo Boss du TSR Crew qui écrit un son entier sur la ligne 12, La ligne verte ou qui clame que « Porte de la Chapelle, c’est encore le terminus » (plus maintenant !) dans Point final.

Cette même logique se retrouve chez les rappeurs de banlieue, à laquelle s’ajoute l’importance qu’ils portent sur l’éloignement du centre névralgique parisien. Le 113 scande « RER C, Vitry, viens dans mon ghetto » dans Ouais Gros. Néanmoins, les références au RER sont à distinguer de celles au métro. Elles traduisent un autre phénomène. C’est celui que soulignait Séverin Guillard lors de la conférence organisée par Noise à SciencesPo « Le rap éclaire-t-il (toujours aussi bien) Paris ? ». Il existe deux approches de Paris : celle du rappeur parisien qui parle de la misère intra-muros, et celle du rappeur banlieusard qui voit Paris comme l’anti-banlieue, qui l’essentialise à la ville de la richesse à laquelle on veut prendre part. De ce fait, les références au RER – train qui relie banlieue et intra-muros – traduisent cette perception de Paris. C’est la destination que l’on veut atteindre comme gage de réussite. Le meilleur exemple reste indéniablement cette phase de Booba dans Ma définition :

« Ma jeunesse a la couleur des trains, RER C,
Pendant le trajet j’rêvais de percer, fier d’en être un.
[…] C’est neuf-ze-dou, nous,
On est p’tits, on veut niquer Paris, on connaît rien nous. »

Et si je cite ce passage, c’est bien volontairement. Il résonne comme un hymne pour moi qui use les fauteuils un peu trop « old school » du RER C, vagabondant entre Paname et la Banlieue Rouge. Et c’est pour ça que dans ces wagons criants, je continue à bouger ma tête frénétiquement au rythme du BPM. C’est parce que ces textes qui parlent de métro et de micro parlent de mes galères, de mes ambitions, de nos vies.


Baptiste Genevée-Grisolia

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