Dans la continuité de son entrée déroutante dans le rap-jeu, la MZ sort son nouvel EP « Volume 3.5 » le 3 novembre prochain.
Alors qu’il injecte une bonne dose de bordel dans toute la France en première partie des concerts de Niro, le jeune collectif du 13ème nous a reçu dans son fief de la Porte de Vitry. Le temps de parler de la vie de quartier, du goût pour le risque et de rêves de live au Stade de France, entretien sans prise de tête avec ces kickeurs déterminés et bien l’aise dans leurs baskets.
Comment avez-vous commencé à rapper ?
Jok’Air : L’amour de la musique. Depuis qu’on est jeunes, ce qu’on écoute, nos influences, tout ce qu’il y a autour, le quartier, tout ce qui s’y passe, inconsciemment on avait envie de faire comme ceux qui passaient à télé.
Qui par exemple ?
Dehmo : Comme Nelly dans Dilemma avec Kelly Rowland. Il voulait grave se la faire, et moi aussi. Il avait du style en plus.
Jok’Air : C’est toutes les stars de rap américain, de rap français, qui nous ont inspirés. En plus, on est des Ivoiriens, c’est un pays où il y a beaucoup de musique, qui vit grâce à la musique.
D’ailleurs en parlant de rappeurs issus de Côte d’Ivoire, quelqu’un comme Kaaris, ça vous inspire?
Dehmo : Pas du tout. Il est bon dans ce qu’il fait, mais ça ne nous a jamais influencés, car on n’a pas grandi avec.
Hache-P : Nous on a surtout grandi avec du zouglou, du Petit Yodé, l’Enfant Siro.
Jok’Air : En cainri, comme Missy Elliot ou Ludacris sur Stand Up. On est d’une génération où on allumait la télé, on voyait 50 ultra-baraqué qui fait ses tractions dans In Da Club.
Donc c’est vraiment la décennie 2000 du Hip-Hop ? Pourtant elle est souvent considérée comme la plus pauvre artistiquement…
Jok’Air : C’est un truc d’aigris, de frustrés. Gros, la musique a évolué. Les studios, les mix sonores, tout a changé. C’est une question de point de vue.
Marlo : Le rap c’était mieux avant, c’est carrément faux. Par contre le R’n’b c’était mieux avant, ça c’est totalement vrai.
Jok’Air : Le R’n’b est mort après Wallen. En primaire on kiffait sur du Matt Houston ou Sisqo et son Thong Song qui nous marquent encore, mais en 2014 les petits de primaire ils écoutent quoi ? Ils ont voulu en faire un truc pop, avec David Guetta et ça n’a pas pris. Le Hip-Hop est devenu mainstream, au concert de Jay-Z & Kanye West, c’est divers. Même à nos concerts, il y a de tout.
Comment vous l’expliquez ?
Dehmo : On parle de trucs qui touchent tout le monde, et on le fait bien. On est des vrais négros pas communautaires.
Jok’Air : Nos supporters le ressentent, et ils sont de toutes les origines, de toutes les religions. C’est la force de notre musique.
En parlant de concerts, vous enchainez plusieurs dates en ce moment, avec notamment en première partie de la tournée actuelle de Niro. Jusqu’à présent, quel est votre meilleur souvenir live ?
Jok’Air : Tous. Tu sais, juste le fait que les gens se déplacent pour venir te voir, tu ne peux pas te permettre de dire que cette date était mieux que celle-ci. Car nous sur scène on se donne, et le public se donne aussi. Après il y a des villes qui se bougent plus que d’autres, mais tous se donnent. C’est chaud dans toute la France et on est contents, car c’est eux qui nous donnent de la force. Sans eux, nous on n’est pas là.
Et du coup, ça serait quoi votre rêve de scène ?
Dehmo : Stade de France mon frère. Rien à foutre de l’acoustique chelou, c’est pour tout le monde qu’il y aura. Pour nous voir en miniature, comme un pouce tu vois.
Jok’Air : Ca serait unique. NTM a fait le Parc des Princes, et il y a eu Urban Peace, mais c’était un plateau. Nous on voudrait exclusivement de la MZ, comme Jay-Z et Beyonce… On aurait Drake en première partie. Ca serait trop Gang ! Ou Pusha-T (rires).
En live, comment vous conciliez spontanéité et travail ?
Dehmo : Faut bosser, bosser, bosser. Après, ça reste de la musique. Donc les bases, structurer, oui, mais après faut pouvoir t’amuser et montrer que ce que tu chantes, tu le vis.
Marlo : C’est vraiment un vrai travail. Ca me rappelle l’autre jour, on était en concert à Colmar, j’étais dehors avec Jok’Air, t’as deux supporters ils nous demandent « mais vous ne travaillez pas ? » et Jok’Air lui répond « mais là on est en train de travailler là ». Eux ils pensent que c’est naturel, mais le jeu sur scène et la complicité, ça se travaille longtemps en répet’.
Jok’Air : Sur scène, on n’est pas du genre à chuchoter à l’oreille du Dj pour la prochaine chanson, on sait ce qu’on a à faire. Tout vient très spontanément, mais on doit s’adapter, car le public n’est pas toujours le même. On roule pas à 110 km/h dans cette rue, on s’adapte hahaha (ndlr: il mime la remontée de la rue de Patay, en sens interdit, provoquant fou rire général). On parle de Hip-Hop, mais nos scènes elles sont Rock-n-Roll frère. Sur scène, parfois le Dj il coupe le son, Hache-P part en beatbox, Dehmo pose dessus, le son revient, ça danse, on fait monter des meufs sur scènes pour qu’elles twerkent, on saute dans la fosse, il y a des saltos. Il y a des anciens qui viennent à nos concerts et qui nous disent que ça leur rappelle NTM à l’époque. C’est pas de l’impro, c’est une fête. Genre quand on monte sur scène, on sait comment le live va se dérouler, mais on ne sait pas comment ça va se terminer. Tu viens avec ta meuf dans la fosse, tu fumes ton joint, tu bois ton verre. On a fait des concerts, où à la fin, le sol était inondé de transpiration. Les murs transpiraient !
Marlo : C’est donnant-donnant. Si tu donnes, les gens te le rendront.
Jok’Air : Quand on est allé voir des rappeurs qu’on aimait bien en concert, et pour la plupart les mecs étaient statiques et stoïques, ils se reposaient sur leurs acquis en faisant leur album. Moi, j’avais envie de leur dire « l’album je l’ai dans ma chambre, mais j’ai envie que tu me donnes quelque chose ! Je fais écouter tes sons à mes potes, je me déplace pour te voir donc respecte-moi ! » Nous, on a conscience de tout ça, on a envie que nos supporters en aient pour leur argent.
Et il y a des artistes qui vous ont donné ce que vous vouliez ?
Jok’Air : Le concert de Diddy et Snoop à Bercy (ndlr : en 2007). Tout le monde attendait Snoop, en première partie ils criaient son nom. Diddy arrive, il fait le taf tandis que Snoop il était nonchalant, comme d’hab’, donnant l’impression de pas tout donner. A la fin du concert, tu sors, tout le monde n’a retenu que Diddy, car il jouait avec le public, il a fait monter des artistes français, il a fait monter Booba. Nous, on avait 14 ans, on était bouche bée. Nous c’est qu’on veut pour la MZ, il y a un plateau dans un concert, et à la fin, le public n’ait de yeux que pour la MZ.
Pouvez-vous mettre des mots sur votre style artistique ?
Jok’Air : Je peux mettre deux lettres : MZ. Ca ne s’est jamais fait avant, ça sera peut-être après, et des années plus tard, quelqu’un pourra mettre des mots dessus. Il y en a qui disent faire de la trap, des années 90, etc. Nous on dit qu’on fait de la MZ Music, avec plusieurs mixtapes. Peut-être que c’est toi qui pourra définir notre style, peut-être nous. Mais en tout cas les gens écoutent, et on a l’impression de faire bouger des lignes dans le rap français, que ce soit sur Youtube, ou via d’autres artistes qui s’en inspirent sur d’autres espaces où notre collectif n’arrive pas encore à aller.
Hache-P : On est les plus forts, c’est tout. On prend des risques partout, même dans nos vies. Alors pourquoi on ne le ferait pas dans la musique ?
Jok’Air : Depuis gamins, on prend des risques. Après la musique c’est un jeu, comme tout. Cristiano Ronaldo, il ne prend pas de risques, c’est pas Cristiano Ronaldo. Messi pareil, quand il part dribbler tout seul, c’est du risque.
Et concrètement, c’est quoi le risque dans votre musique ?
Jok’Air : Lune de Fiel, c’est un risque. Embrasse-moi, c’est un risque. T’as vu ça où dans le rap français ? En termes de musicalité, prendre un sample pop d’un groupe comme Pendentif, améliorer leur son, on leur a donné de la force grave. Bonbon, où on parle de se faire sucer en chantant, c’est un risque.
Dehmo : Rapper comme on rappe est un risque.
Jok’Air : Rambo il prend des risques, c’est pour ça qu’on regarde. Julie Lescaut, elle ne prend pas de risque, on n’en a rien à foutre ! (fou rire général) Nan mais sérieux, mes gars ils prennent des risques. Un mec de cité, il se lève le matin, il y a rien dans le frigo, il va postuler à un taf pendant des semaines, au bout d’un moment il va dealer pour bouffer, c’est un risque mon gars.
Finalement le mot à mettre sur votre style de musique c’est le risque.
Jok’Air : Notre style de musique, c’est l’Agence Tout Risque. Quand on part à nos concerts dans toute la France en Van, on est comme l’Agence Tout Risque, il y a que des Barracudas, que des Mister T devant toi mon frère !
Vous travaillez beaucoup avec Zoxea. Quand vous voyez sa carrière, c’est quoi votre objectif par rapport à lui ?
Jok’Air : Sa carrière est pas finie. Lui il bosse sur nous pour qu’on fasse une meilleure que la sienne. Si ça marche pour nous, ça marche pour lui. Sa carrière elle continue, notamment avec nous.
Dehmo : Pour arriver à avoir une carrière de plus de quinze ans dans le game, avec tout ce qu’il a vécu, faut vraiment être fort.
Si on parle maintenant de votre quartier du sud du Treizième. Quel est votre rapport avec lui, le reste de Paris ?
Hache-P : Ici c’est la zone. C’est un triangle des Bermudes, tu viens ici, tu te perds !
Dehmo : Finalement notre zone se trouve partout, dans le treizième ou à Paris. La MZ ce n’est pas que nous des rappeurs. Nous on s’appelle les autres, il y a les potos, il y a même des meufs. On n’est pas juste là nanani nanana… On est où on veut, du moment qu’on est avec nos potes.
« Les autres » c’est en réaction par rapport à qui ?
Dehmo : Par exemple il y a le 13e, il y a tels ou tels quartiers, nous on est les autres, et on les baise.
Jok’Air : (freestyle) « Ca pue la merde dans ma zone / Que des animaux sauvages tout droit sortis de zoo / Des vrais négros dans ma zone / Ici les enfants seront des hommes, les femmes des amazones. »
Comment le quartier suit votre évolution ? Tout le monde est derrière, il y a des jalousies, des arrivistes ?
Marlo : Dans l’univers où on a grandi, ceux qui vont arriver pour gratter, tu les reconnais direct…
Hache-P : Nous a eu des galères, il y a les mêmes têtes qu’aujourd’hui, car c’est toujours la galère. Mais depuis qu’il se passe des trucs, des mecs ou des meufs qui te calculaient plus trop, tout d’un coup c’est « wesh, bien ou quoi mon zink ? »
Jok’Air : C’est comme dans tous les quartiers. Nos gars ils sont là (ndlr : il montre leurs amis derrière), avec qui on a grandit depuis tout petit. On se soutient dans les galères, et d’autres avec qui t’as pas grandi. Et demain on aura des enfants, ça restera la famille. Les arrivistes, ce sont plus les filles. Mais on ne va pas avec n’importe quelle meuf, on a une éthique pour devenir numéro 1. Les mecs qui font pas passer les meufs avant tout, et surtout le travail, ils ont jamais duré.
Dehmo : Quand il y a quelque chose de nouveau comme notre projet, ça influence notre entourage, en bien ou en mal. Mais ouais, on a apporté un petit souffle, un petit engouement dans notre quartier.
Juste à côté de chez vous, ça a vachement évolué du côté de la BNF, avec les travaux, le MK2, la gentrification, comment vous le voyez ?
Dehmo : Ca a bougé du côté beau gosse, mais nous on est les délaissés dans le 13e. La seule chose qu’ils ont fait pour la cité, c’est nous enlever le parking pour nous foutre une pelouse. Quand on dit qu’on a grandit dans le ghetto, c’est pas pour faire les mythos, ou se donner un street-crédibilité. A la cité, t’arrives en été, tu vois que des petits renois avec des crottes de nez, qui limite mangent des cailloux. Dans le hall, même les petits qui bicravent pas, qui savent pas qu’il y a du traffic, et il y a des clients qui viennent leur demander si ils ont quelque chose pour eux.
Jok’Air : Ils ont fait de François Mitterrand un quartier de bobos. A l’époque où le tram n’existait pas, il y avait des schlags qui dormait sous les ponts, il y avait des rats… Après si ils cassent le quartier ici pour nous foutre chez les bobos, on prend nous !
Marlo : On veut quitter ça. Si la MZ veut devenir numéro 1 avec la musique, c’est pour sortir de là. On a rien à glorifier de la rue. Elle nous a mis dans la merde, on a envie d’en partir. Ceux qui veulent rester dans la merde, ils ont rien compris à la vie mon frère.
Hache-P : La rue ça a été un moment de notre vie, ça nous forge, mais bon vaut mieux vivre sa vie dans un confort.
Vous parliez de Stade de France comme un objectif de carrière. Pour vous, ça serait quoi la réussite ?
Hache-P : La réussite, ça serait que ma mère ait un pavtar en Ile-de-France.
Dehmo : Ca serait de quitter le ghetto. De te recevoir dans un putain de restau.
Marlo : Mais tous ensemble, dans la galère comme dans la réussite.
Jok’Air : Vivre rue d’Assas mon gars. Nous on travaille pour être dans dix ans sur TF1 devant toi gros !
Propos recueillis par Manouté.
Crédits Photo : Nicolas Hrycaj