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Les 10 meilleurs lives du rap français

Un son, une scène, une bastos

En 2014, le rap français débute sa quatrième décennie entre crise et renouvellement. On reproche souvent au circuit industriel Skyrock-Universal-Trace ainsi qu’à internet de le tarir artistiquement, mais il est plus facile de faire mentir un nombre de likes qu’un public en chair en os. Chez Noise, on pense que la scène reste le meilleur juge, la véritable arène où l’on peut mesurer la trempe d’un MC. Alors s’il fallait choisir dix performances intemporelles du rap français (sorry Urban Peace), voici le set-list de bastos qui vous aurait mis K.O. plus d’une fois.

 

Seine-St-Denis Style – Suprême NTM @ Zénith de Paris (25 novembre 1998)

Qui de mieux que Joey et Kool Shen pour lancer les réjouissances ? Trois ans avant leur séparation officielle, 1998 marque la consécration absolue  pour ces pionniers qui auront monopolisé l’attention durant toute la décennie. Gourmands, ils remettent ça 10 ans plus tard avec trois Bercy et un Parc des Princes, de quoi asseoir définitivement leur place dans l’histoire. Et peu importe le lieu ou l’époque, force est de kiffer le jeu de scène instinctivement coordonné, l’énergie et la complicité demeurent entre la « caisse basse » de Didier et la « caisse claire » de Bruno. Bien introduit par le rugissement de Joey ainsi que les fidèles Dj James et Naughty-J aux platines, Seine St-Denis Style était conçu pour le live, ou plutôt conçu pour introduire un live. Etre à jamais les premiers, c’est d’la bombe bébé

 

En Mode – Rohff @ Zénith de Paris (6 octobre 2009)

Petit à petit, on a l’impression de perdre Housni : entre son obsession dangereuse pour Booba, la vidéo avec Balotelli proche du néant, des sorties Twitter malheureuses et son dernier album (PDRG) au ras des pâquerettes… On oublierait presque que Rohff reste l’un des meilleurs rappeurs du pays, technicien hors pair au flow inégalable et inégalé. Véritable classique des années 2000, le morceau En Mode, dont l’expression est devenue banale dans le langage courant français, est le reflet parfait de ce qu’est son auteur : une véritable boule de nerfs d’ego-trip qui concentre toute la rage d’un écorché vif ne calculant pas ses efforts. Et quand cette boule éclate devant plus de 6000 personnes en délire, ça donne ça :

 

Thé à la Menthe – La Caution @ Nouveau Casino (1er décembre 2005)

Ce n’est un secret pour personne, chez Noise, on adore La Caution, et on vous a expliqué pourquoi. Pour tenir leur marathon de centaines de dates assurées entre 2005 et 2010, le groupe dispose de tous les ingrédients pour foutre des bordels mémorables : des productions éclectiques, mais surtout des interprétations atypiques où « l’on peut dire des choses graves avec un ton cool, et dire des choses cool de manière méchante » selon Hi-Tekk. Thé à la menthe, avec ses sonorités électro et orientales, reste non seulement la porte d’entrée du groupe pour le grand public mais surtout l’une des meilleures réponses à la vague de stigmatisation post-11 septembre dont souffraient les Français d’origines arabes et musulmanes. L’aura du titre est telle qu’il parvient aux oreilles de Steven Soderbergh via Vincent Cassel, et le réalisateur américain lui fait prendre une autre dimension en l’utilisant comme habillage musical d’une scène culte du film Ocean’s Twelve. La fierté du collectif Koutrajmé ne peut pourra pas mieux s’exprimer que sur scène, où les deux frères Mazouz sont ainsi portés par une mêlée humaine composée entre autres des trublions Mouloud Achour, Niko Le Phat Thanh, Ladj Ly, Saïd Belktibia, Mai Lan, Tarubi Mosta… En somme, une certaine idée de la France.

 

1 pour la plume – Flynt @ La Maroquinerie (18 janvier 2008)

Flynt, c’est la preuve vivante que la scène indépendante peut encore survivre à distance des affres du showbiz. Ici pas de paillettes, de Planète Rap, de clash Youtube ou autres postures gangsta. A force de travail, de cohérence et de patience, Flynt a réussi à se faire un nom, respecté de toute la scène rap hexagonale. Sa sincérité et ses talents de lyriciste hors pairs lui ont permis de pondre des classiques comme Ca fait du bien d’le dire, Rap Théorie, J’éclaire ma ville, ou encore 1 pour la plume. Que ce soit ce premier live parisien à La Maroquinerie ou les autres qui suivront (New Morning, Glazart, Canal 93), ses salles de concert lui correspondent bien, alliant solidité et simplicité. Flynt trace son chemin, et avec son « 1 pour la plume », titre libre, généreux et sincère, il scelle un contrat de confiance avec son public écrémé de toutes disquettes commerciales. Le MC répète souvent que son point de référence est le Illmatic de Nas. On lui souhaite une même longévité.

 

Angela – Saïan Supa Crew @ Zénith de Paris (2001)

« Ma première claque, mon déclic pour le travail de scène, c’était là… J’ai compris que c’était ça que je voulais » tels sont les mots de Némir quand il a vu pour la première fois en 1999 à Perpignan un collectif de banlieusards franciliens sans complexe enflammer un rap français standardisé. La virtuosité de ce collectif consistait à traiter des sujets graves (religions, drogues, suicides, racisme, egotrip) avec un décalage de ton construit sur des prises de risques artistiques osées. A la fois cœur et chœur, le Saian Supa détonne par sa maîtrise rythmique comme harmonique : il offre le beat et la voix. Jouant du beatbox avec brio, leur rap à onomatopées chante et danse. Sur scène, c’est un régal : leur aisance technique, leur humour et surtout leur cohésion en font d’excellents performeurs. Hystérique ou lubrique, polémique ou mélancolique (lorsqu’un des sept samouraïs passe l’arme à gauche) le SSC est une bête polymorphe dans l’horizon du hip-hop. D’ailleurs reggae, disco, soul, zouk, bossa, tout y passe…
Baryton du crew, Vicelow confiait l’année dernière à l’Adcdr du Son : « Ça arrive une fois tous les dix siècles une équipe pareille. Et franchement, cette équipe-là mettait la pression à des cain-ris, on avait un truc à part(…) En fait, je trouve que le public n’a pas calculé plus que ça. Maintenant que le temps est passé, que les projets solos voient le jour, on a l’impression que le public réalise maintenant, genre : « ah mais c’était bien ce que vous faisiez ».« 

En fait, les Saïan, c’est un peu notre Wu-Tang Clan à nous : des artistes afro-descendants barrés, un blase de bridés, et un public aux sensibilités artistiques multiples. Dopé par leur tube de l’été 2000 – le désormais culte Angela – leur premier album KLR crée la surprise et reçoit un incroyable succès auprès du grand public (300.000 ventes). Le groupe s’en amuse d’ailleurs avec le public du Zénith (à partir de 26:47). Sinon tout le concert demeure un petit orgasme musical…

 

Les Flammes du mal / Par où t’es rentré, je t’ai pas vu sortir / Je boxe avec les mots / Dans ma rue – Secteur Ä @ L’Olympia (22 mai 1998)

Le Secteur Ä à l’Olympia, ce n’est pas seulement la commémoration des 150 ans de l’abolition de l’esclavage, mais c’est surtout Sarcelles qui débarque en force dans le gratin culturel parisien, soit le rêve revanchard de l’architecte de cette aventure, l’ambitieux boss du label Kenzy. Tout en force et diversité, l’enchaînement sur vingt minutes de Passi–Ärsenik–Doc Gyneco s’avère être le point culminant d’un concert unique, lui-même apothéose d’un projet musical qui a dominé le rap game à la fin de la décennie 1990. Les frères Lino et Calbo sont alors incontournables, Passi fait déjà référence dans le milieu et Le Doc est au sommet de son art. Pourtant la décennie qui va suivre sera synonyme d’appauvrissement artistique pour le hip-hop français et la fin progressive du label, ce que déplore aujourd’hui Kenzy avec un constat sans appel dans une interview pour Snatch magazine : « Non, ce n’est pas le rap qui a baissé de niveau, mais la culture française toute entière. Et le rap, devenu une culture de masse, est juste l’allégorie de ce glissement ». Depuis, Ärsenik se fait plus discret, Doc Gyneco a participé à l’émission de télé-réalité Nice People et Passi fait des duos avec Moussier Tomboula. Ça, on ne sait pas si l’ancien boss du Secteur Ä l’avait prévu.

(Le fameux passage est entre 1.15.30 et 1.33.00)

 

Hardcore – Idéal J @ L’Elysée Montmartre (11 juin 1999)

Alors qu’il décide d’arrêter sa carrière suite au meurtre brutal de son meilleur ami Las Montana quelques semaines plus tôt, Kery James interprète un baroud d’honneur de ce qu’il pense être son dernier concert. Deux heures avant le show, il vient d’assister à l’enterrement, en compagnie de toute la Mafia K’1 Fry. Pour lui, cette vie ne peut plus durer, le concert n’aura pas lieu et sa carrière doit s’arrêter là. Le frère du défunt le convainc finalement de monter sur scène. Le contexte est lourd, l’Elysée Montmartre est bouillant. La minute de silence que Kery demandera à son public devient le compte à rebours d’une bombe à retardement, qui rapidement explose.

« Dès qu’j’fais c’morceau ça part en couille
J’entends une réaction de mauvais garçons dans la foule
Fous la merde et s’il le faut fous ta cagoule
Qu’ils n’essaient pas de nous faire croire qu’aujourd’hui le monde est cool »

Hardcore. Le morceau cru et violent  est un réquisitoire, un pamphlet sans pitié, un condensé de la rancune de Kery contre son temps… L’exutoire qui résume l’histoire de l’un des groupes les plus sulfureux du Hip-Hop français. L’aventure de ce qui s’appelait initialement Idéal Junior commence en 1990 alors que ses fondateurs Kery, Selim, Harry et Teddy n’ont que 13 ans. Des premiers petits succès, jusqu’à la naissance de Mafia K’1 Fry,  les quatre adolescents mûrissent en même temps qu’ils font grandir un rap sincère et engagé, sur fond de violences et misère sociale. On les revoit ici à 17 ans alors que Kery cannibalise déjà l’attention avec un flow de possédé. L’aboutissement du groupe arrivera avec l’anthologique album Le Combat Continue qui rayonne sur toute une génération de rappeurs en herbe. A l’Elysée Montmartre, alors que Kery James prouve une nouvelle fois qu’il fait partie des plus grands, on peut apercevoir derrière aux platines un certain DJ Mehdi qui, avant qu’il n’aille conquérir le monde avec Pedro Winter et les autres Ed Bangers boys, avouera qu’il n’aura rien ressenti d’aussi fort dans sa vie…

 

Qui ça étonne encore ? – La Rumeur @ Trabendo (6 juin 2007)

« La valeur d’un MC passe évidemment par sa qualité artistique, mais aussi sa capacité à assumer » disait Ekoué, leader du groupe La Rumeur qui va plus que démontrer la leur. Début juin 2007, Nicolas Sarkozy, largement élu Président de la République un mois plus tôt, bénéficie de plus de 65% d’opinions favorables. Depuis son premier passage au ministère de l’Intérieur il y a cinq ans, il s’acharne à poursuivre en justice La Rumeur pour « diffamation publique envers la police nationale », et ce suite aux propos d’Hamé sur les bavures policières en banlieue. Finalement le marathon judiciaire finit en 2010, et en huit ans, le MC aura été relaxé trois fois. Durant cette période peu évidente, le groupe, déjà très politisé, ne fait que radicaliser son message. Le groupe sort son troisième album Du Cœur à l’Outrage,  dont on peut deviner l’impact du procès dans leur travail, avec des productions bien sombres aux fréquences électro saturées annonçant des lives encore plus percutants. C’est dans l’adversité que La Rumeur fête ses 10 années d’existence au Trabendo, toujours avec le classique Premiers sur le rap, un majeur bien senti à leur radio honnie Skyrock qui les attaqua en justice à la même période que le ministère de l’Intérieur. Mais c’est surtout le titre phare de leur dernier opus Qui ça étonne encore ? qui confirme que le groupe ne rendra jamais les armes… Alors encore plus fort, pour encore plus de del-bor !

 

L’enfant seul – Oxmo Puccino @ Zénith de Paris (1er juin 2013)

On reproche souvent à Oxmo, dont la carrière a pris forme avec le label underground TIME BOMB, d’avoir sacrifié son Hip-Hop sur l’autel de la variété française. Ecriture pour pour Florent Pagny ou Alizée, collaboration avec tous azimuts (l’excellent album avec les JazzBastardsOlivia RuizHocus Pocus, le groupe colombien Choc Quib Town…), vibes bossa nova et mélodies blues, on est loin du Pucc Fiction de 1997 avec Booba. Et pourtant dix-sept ans plus tard, six albums, dont deux disques d’or et les deux derniers couronnés de victoires de la musique, celui qu’on appelle Abdoulaye à la ville bénéficie désormais d’une audience élargie capable de remplir un Zénith. Que ce soit sur ses thèmes d’écriture (rap sentimental, les femmes…) ou la tonalité de ses productions souvent mélancoliques, Oxmo a toujours été un enfant seul, un poète original, à contre-temps des tendances dogmatiques du rap français dont il semble se foutre royalement. Cet isolement est devenu sa force, et à l’instar de son compère Booba, il s’est servi du Hip-Hop pour s’exprimer puis, en bon visionnaire, a su transformer sa musique avec le temps, se construisant un personnage à l’univers bien propre, l’un s’appuyant sur le patrimoine culturel français, l’autre sur le rêve américain.  La quinzaine passée, l’Enfant seul est un morceau qui vieillit bien, se jouant désormais avec un batteur, un bassiste et un pianiste, devant plus un public émerveillé qui a de fait évolué avec la musique du « Black Jacques Brel ». Chapeau bas l’artiste.

 

Pour ceux – Mafia K’1 Fry @ Bataclan (12 avril 2007)

« On serait aux Etats-Unis, on en ferait un film » raconte Kery James. Ce film, c’est celui d’un collectif d’une quinzaine de mecs de quartiers qui ont grandi ensemble dans le Val-de-Marne (Vitry, Orly, Choisy) et qui, malgré des trajectoires différentes et des egos bien prononcés, ont décidé d’unir leurs énergies pour frapper plusieurs grands coups. Avec l’explosion des sites de partage vidéo sur internet, la France entière prend un uppercut avec le clip de Pour Ceux. Signée par les génies fous furieux de Koutrajmé Gavras et Chapiron, la vidéo, par sa dimension crue et frénétique, ne fait que décupler la folie d’un son déjà bien brutal, propulsé hymne de toute une génération de banlieusards. Quatre ans plus tard sur scène, les gros vendeurs Rohff, Kery et le 113 partagent la lumière du grand public avec les Dry, OGB, Karlito ou Demon One qui se permet un bain de foule de rocker. Alors même si Rohff regrette qu’aujourd’hui la vraie Mafia K’1 Fry n’existe plus comme au début, force est de réaliser qu’au micro, il n’y a pas de têtes d’affiches ou de sparring-partners, juste une bande de potes qui continuent à triper ensemble, le Bataclan ayant remplacé la MJC du 94.

 

Set-list

1. Seine-St-Denis Style – Suprême NTM @ Zénith de Paris (1998)

2. En mode – Rohff @ Zénith de Paris (2009)

3. Thé à la Menthe – La Caution @ Nouveau Casino (2005)

4. 1 pour la Plume – Flynt @ La Maroquinerie (2008)

5. Angela – Saïan Supa Crew @ Zénith de Paris (2000)

6. Les flammes du mal -> Dans ma rue – Secteur Ä @ L’Olympia (1998)

7. Hardcore – Ideal J @ L’Elysée Montmartre (1999)

8. Qui ça étonne encore ? – La Rumeur @ Trabendo (2007)

9. L’Enfant Seul – Oxmo Puccino @ Zénith de Paris (2013)

10. Pour ceux – Mafia k’1 Fry @ Bataclan (2007)

 

Bonus

Ailleurs – Némir & Deen Burbigo @ La Bellevilloise

Kaaris et 1995 aujourd’hui, Seth Gheko et Guizmo hier… Tel le syndrome « nouveau Zidane », le rouleau compresseur de showbiz est impitoyable quand il s’agit de nous vendre le renouveau de notre Hip-Hop national. Cela dit, on ne désespère et on se permet même de parier sur l’avenir de la scène du rap français, avec deux petits mecs du sud qui commencent à faire progressivement leur preuve. Propulsés par les vagues CAN I KICK IT ? et BUZZ BOOSTER où ils sortaient clairement leur épingle du jeu, le Catalan gringalet excité et le grand Toulonnais à la voix rocailleuse sont déjà le présent, mais l’avenir leur appartient. Energie, charisme, plume, culture aux influences éclectiques, sérénité et prestance, les deux amis semblent savoir ce qu’ils veulent, que ce soit en Major (Némir) ou en indépendant (Deen Burbigo). A tel point qu’aujourd’hui, Stromae laisse Némir mettre le feu en première partie de sa tournée des Zéniths tandis que Deen Burbigo sera la tête d’affiche nationale du prochain Paris Hip Hop. Comme quoi venir d’ailleurs leur donne manifestement plus d’élan pour tout défoncer :

Manouté

fixer

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