Alors que le dernier album de sa trilogie « Lucide » est sur le point de sortir, Disiz nous confie, en marge de la conférence qu’il donnera à Sciences Po le jeudi 13 mars prochain, son regard sur les nouvelles technologies numériques, et ce, avec la sincérité à toute épreuve qui lui a déjà joué de nombreux tours. Qu’on le veuille ou non, Disiz fait partie du patrimoine Rap en France. Retracer sa carrière débutée à la fin de la décennie 1990 signifie s’embarquer dans les montagnes russes du star-système. Depuis son buzz de l’an 2000 : le générationnel « J’pète les plombs », ses choix artistiques mal perçus ou ses sorties médias catastrophiques, jusqu’à son retour en force boosté par internet, sa longévité à toute épreuve lui confère un recul et un regard légitimes quand il est question d’aborder l’impact du numérique sur le showbiz.
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Noise : Après une quinzaine d’années de carrière faite de hauts et de bas, quel est selon toi l’écosystème nécessaire à la survie d’une carrière artistique dans l’industrie musicale, et particulièrement rap ?
Disiz : Il n’y a selon moi aucune recette à la survie d’un artiste. Particulièrement avec le genre « Rap » et particulièrement en France. Le rapport au Rap français a toujours été, de la part de l’industrie du disque et des médias – pour schématiser – utilitariste. L’industrie d’un côté y a trouvé une nouvelle source d’argent pour réinventer la variété en y appliquant les mêmes recettes, à savoir trouver une vedette potentielle, l’essorer et passer à une autre. Sauf que le temps d’exploitation pour un rappeur est bien plus court, environ deux ou trois ans pour les plus chanceux. Les médias de leur côté, ont toujours eu par rapport au rap une vision utilitariste et stéréotypée, qui s’inscrit toujours, soit d’un genre qu’on a pris pour combler le manque de quota français en radio, soit comme une voie des banlieues en télé. Face à ces deux récupérations, je ne peux parler qu’en ce qui me concerne. Je pense que mon parcours personnel et ma longévité ne sont dus qu’à ma volonté de fuir les écueils des cases dans lesquelles on enferme les artistes. J’y suis parvenu avec plus ou moins de réussite, mais aussi pas mal de maladresse et d’erreurs…
Internet a favorisé l’émergence d’une société d’opinions et la démocratisation du buzz. Penses-tu que les blogueurs spécialisés, type Abcdr du son peuvent faire le poids face aux médias mainstream (Skyrock, TNT, MTV) ?
Je pense que voir les choses en terme de « faire le poids » entre deux modèles de médias est révolu et obsolète. Je pense qu’internet incarne la désintermédiation : plus besoin de leaders d’opinion, cela passe directement de l’artiste au public. Moi, ça m’a sauvé. Au long terme c’est la mort du média au sens où on l’entend aujourd’hui. Car aujourd’hui Internet n’offre que des suggestions personnalisées en fonction des choix que l’internaute a fait. Donc les autres médias n’auront de l’influence que sur un certain public qui fera le choix de se faire une opinion ou de se faire un avis, là où avant il n’y avait que la télé et la radio. Maintenant on propose et on découvre par soi-même.
Il y a-t-il une alchimie entre l’énergie créatrice du Hip Hop et l’émergence des formats courts numérique ? Si oui, est-elle amenée à perdurer ?
Selon moi, il n’y a pas un particularisme rap ou un particularisme Hip Hop à la démocratisation qu’offre internet. Internet est bon pour diffuser au sens large. Quelque soit la source : information, culture ou autre, elle se répand d’un émetteur vers des milliers de récepteurs.
La démocratisation du buzz par internet a-t-il adouci le coté revendicatif du Rap, qui à l’origine justement voulait donner la parole à ceux qui ne pouvaient pas l’avoir ?
Le côté revendicatif du rap, dès le début, est un mythe…
Aujourd’hui, quel est ton équilibre entre le temps dédié à la production artistique et celui dans ta communication ?
Je dirai bien presque 50/50.
Combien fois par jour consultes-tu ta page Facebook ? Est-ce une obsession ?
Deux à trois fois par semaine. Non ça n’est pas une obsession, mais c’est une formalité de travail.
Dans quelle mesure la désintermédiation d’internet a-t-il changé ta connaissance et ta distance avec ton public, et ce malgré les effets pervers que peut créer le virtuel ?
Je pense qu’elle a permis de visualiser qui était mon public. Comme la boulangère de quartier qui voit tous les matins les personnes auxquelles elle vend son pain, et contrairement à la boulangerie de Carrefour.
En tant qu’artiste, le rappeur défend un personnage… Mais comment ne pas s’y enfermer ? Par exemple, comment as-tu pu t’extirper de cette étiquette de « rappeur rigolo » qui t’a longtemps collé après « J’pète les plombs » ?
Je m’en suis extirpé en ne donnant pas le même plat. Le prix à payer a été de diviser par trois mes chiffres de vente.
Quelle est l’importance du clip dans ton univers et ta communication, et comment se place-t-il dans ton processus artistique, se renouveler pour détonner quand on a reproche souvent à l’industrie rap de cultiver un certain mimétisme favorisé par internet depuis les années 2000 ?
Le clip et la communication internet sont pour moi, dans la majeure partie, hors relance purement commerciale, conçus et pensés dans la continuité du processus artistique.
On sent que les artistes touche-à-tout ne subissent pas le même traitement en France et aux États-Unis. Par exemple, Pharrell est décrit comme un quasi-génie outre-Atlantique alors que toi, tu as souvent été décrié dans tes orientations artistiques originales. De quelle nature est cette différence culturelle, qui impacte sur vos images respectives ?
En France, ces questions communautaires sont traitées avec hypocrisie française en général alors qu’elles le sont avec pragmatisme chez les Anglo-saxons. Cette vision plus « ouverte » a bien sûr ses mauvais côté, mais le fait que les anglo-saxons aient accepté que l’homme préfère vivre avec ses supposés semblables leur permet l’existence de l’exception « géniale », du côté couteau-suisse, de l’artiste à tout faire, du côté universel d’une proposition artistique dans laquelle chacun peut trouver une part de soi et de sa communauté. A contrario, le mythe obligatoire français du « vivre ensemble » est présent, mais n’est pas répercuté à tous les étages de notre société et empêche cette idéalisation de celui qui, si nous étions dans une société communautaire qui s’assume en tant que telle, permettrait ce mythe.
Pour simplifier, là où aux Etats-Unis, Pharrell, que l’on a du mal à identifier ethniquement… Noir ? Asiatique ? Et musicalement : est-il Latino ? Rap ? Rock ? Et plus encore : créateur de tendance ? Un peu tout ça à la fois, donc il est perçu comme quelqu’un de génial parce qu’il transcende la vision d’une société américaine compartimentée. En France, qui est le pays de l’universalisme par excellence, il n’y a en principe rien d’exceptionnel à être touche-à-tout. Sauf que dans le concret, on ne comprend pas que tu ne correspondes pas à la place que tu as. Cette place qui, soit est due au premier signal que tu as envoyé, soit à celle à laquelle tu es censé correspondre.
Retrouvez Disiz à la conférence :
« Le Buzz, un bruit qui court » du Festival LE BRUIT DE LA VILLE organisé par Noise
Jeudi 13 mars 2014 (19h-21h)
à Sciences Po (Amphithéâtre Boutmy)
27 rue St-Guillaume, Paris 7e
Pour plus d’informations et s’inscrire gratuitement à la conférence, c’est par ici.
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