Plongée au coeur de l’imaginaire d’Aladdin Charni, un de ces hiboux nocturnes qui préfèrent l’ombre des squats aux paillettes des clubs. Entrepreneur de la rue et architecte de la nuit, il nous livre sa vision de la fête et ses projets.
Nous passons les neuf premiers mois de notre existence dans le noir. Sortis de l’ombre nos yeux peinent tout d’abord à se réveiller de l’engourdissement de la grossesse, et c’est à l’instant où ils s’ouvrent à l’éclatante blancheur de la réalité que nous poussons notre premier cri. Certaines personnes passent ensuite le reste de notre vie à tenter de nous inculquer la faiblesse du sombre par rapport à la lumière : on nous apprend tous les mêmes codes, comment « mettre en lumière » nos qualités, de quelle manière être « sous les projecteurs », quelles habitudes et quels modes de vie adopter pour y parvenir. Certains réussissent à se faire à l’idée mais d’autre pas. Ces autres refusent de suivre le même chemin et choisissent un autre style de vie, une façon de vivre qu’on a l’habitude d’appeler alternative. Parmi ces autres il y a Aladdin Charni. C’est chez lui, au cinquième étage d’un immeuble du 3ème arrondissement, qu’il a accepté de nous rencontrer.
Le Poney Club entre mythe et modèle
Aladdin est un des fondateurs du collectif Poney Club. Situé dans le 15ème arrondissement, le Poney Club était un squat aménagé dans les anciens frigos d’une boucherie au sein duquel ont été organisées des free parties qui ont participé à la création du mythe Aladdin. En parallèle de son style de vie alternatif, il prône également une « teuf alternative ». Il rêve d’une nuit parisienne où l’entrée en boîte ne coûte pas 20 euros, où la bière n’y est pas vendue 8 euros, où l’esprit qui y règne est à la rencontre et à l’échange et non pas au m’as-tu vu… Bref une nuit qui ne s’alignerait pas sur le modèle capitaliste, c’est-à-dire qui laisserait à tous la possibilité de faire la fête sans être victime des recherches de profits des organisateurs. Bien sûr il existe sur le « marché » de la fête parisienne des collectifs comme Die Nacht, 75021 ou encore La Draft, qui proposent des styles de soirées non conventionnels loin des paillettes des clubs parisiens. Cependant pour Aladdin ces soirées proposent des prix encore bien loin du raisonnable. Les Parisiens témoignent aujourd’hui d’un réel besoin et d’une envie de teuffer sans se ruiner dans un lieu où le maître mot serait la convivialité.
Notre squatteur au nom et à la saveur de l’imaginaire oriental s’est donné la mission de répondre à ce besoin. Après la fermeture du Poney Club en octobre il a aujourd’hui un nouveau projet qui se définit en trois mots : party, food, gallery. Dans trois squats différents il a pour ambition d’aménager : un restaurant associatif 100% végétarien qui fonctionnerait uniquement avec des fruits et légumes récupérés à Rungis ; une galerie d’art de 800 m2 ; un lieu de fête à l’image du Poney Club et respectant l’esprit du collectif. Dans tous ces espaces Aladdin transforme notre rapport au prix : les tarifs du restaurant sont fixés à prix libre, l’entrée aux soirées est évidemment gratuite et la bière y a la réputation d’être la moins chère de tout Paris.
Projet ambitieux ou utopie urbaine ?
Si son pari est risqué il est loin d’être invraisemblable. Il est d’ailleurs au contraire davantage ancré dans la réalité que ces clubs où la réservation d’une table coûte la moitié d’un SMIC. Il existe à Paris des espaces devant lesquels les Parisiens passent chaque jour sans se douter qu’ils sont inoccupés et exploitables. La question d’Aladdin est simple : pourquoi ne pas permettre à ces Parisiens de se les approprier pour en créer des espaces d’émancipation et d’échange en réponse au repli sur soi traditionnel parisien. Cette question fait plus que jamais partie des problématiques économiques et sociales de la mairie de Paris. Au-delà de l’illégalité et des problèmes qu’ils posent, les squats sont aussi l’expression d’un malaise et révélateurs du besoin de sortir d’un système qui ne correspond pas aux citadins. Si s’attaquer au marché de l’immobilier et aux inégalités sociales prend du temps, le monde de la nuit est au contraire un des plus malléables. La nuit doit cesser d’être un bien comme un autre et ne plus être soumise aux lois du marché, pour qu’enfin la « teuf alternative » ne soit plus un idéal mais un modèle, voulu et surtout accessible à tous.