Je suis arrivé à Manille il y a exactement 2 mois, 4 jours et 30 minutes. Entre l’absence quasi-totale de règles de circulation, la diversité incroyable des véhicules et le gigantisme des autoroutes urbaines empruntées, le trajet entre l’aéroport et mon appartement fut exactement conforme à mes attentes. Manille n’est pas une ville faite pour marcher, mais plutôt pour admirer les panneaux publicitaires de 20 mètres par 30, confortablement installé dans un taxi glacé coincé dans les embouteillages.
Vous pensez que je fais mon français cynique, mais c’est étonnamment fascinant : personne ne reste de marbre face à un Zac Efron de la taille d’un pavillon de banlieue. Je dis Zac, mais ça marche aussi avec les One Direction, pas de jaloux.
Manille est une de ces agglomérations d’Asie du Sud Est qu’on peut traverser de part en part sans se dire une seule fois « tiens, ça a l’air sympa ici ». Non. L’apprécier implique de savoir précisément où aller (et comment par la même occasion, c’est plus pratique). Cela requiert un certain art de la planification. En effet, pas moyen de glander chez soi jusqu’à 20h30 avant d’improviser un rendez-vous pratique à Bastille ou Oberkampf, bande de petits rigolos. Si rien n’a l’air sympa, comment savoir où aller, me direz vous. C’est très simple, il faut demander aux copains. Bouche à oreille donc. Chacun connaît un peu son quartier et on fait tourner les tips.
Il est important de préciser ici que Manille n’est ni Paris ni Londres, à savoir une belle capitale scintillante entourée de banlieues oscillantes entre franche bourgeoisie et misère sociale. C’est plutôt un amas hétéroclite de villes de même importance, chacune avec une fonction assez définie. Un peu comme si on avait foutu Lyon, Marseille, Bordeaux et Lille les unes à côté des autres et qu’on avait saupoudré le tout avec Besançon, Le Havre et Brive-la-Gaillarde pour combler les trous.
Dans ce joyeux bordel, Manille itself serait d’ailleurs plutôt Besançon (no offense, le Jura). Schématiquement Makati est la ville des expat’ et des plus fortunés, Pasig un quartier d’affaire et Quezon une ville plus populaire et étudiante. Manille… ben c’est le quartier des putes. Pas de chance. Quand aux autres, j’aurais du mal à vous dire, n’y ayant jamais foutu les pieds.
J’ai la chance incroyable d’habiter dans un des rares coins où il est possible de flâner. Le mot peut vous sembler désuet, mais on ne se rend pas compte en France – tout particulièrement à Paris – du bonheur rare que c’est de pouvoir marcher au hasard des rues à la recherche d’un hypothétique petit bar sympa. On ne sait pas encore où il est ni comment il s’appelle, mais on sait qu’il est forcément quelque part. Rien que de l’écrire, j’en soupire. Maginhawa Street est une petite rue ombragée qui a eu la bonne idée d’être à deux pas du Campus de l’Université des Philippines (UP pour les intimes, prononcer youpi). Elle est par conséquent constellée de petits restos et cafés accessibles, Ô merveille, à pied. Paradoxalement, ce coin de paradis urbain est une ode à l’emprise de la Société de Consommation (et oui, vous m’avez bien lu, bande de marxistes !) sur la jeunesse Philippine. Le meilleur exemple est la présence dans un rayon de 100 mètres de pas moins de 4 ou 5 «Milk-Tea Houses ». Infinitea (ouais ouais), ZenTea, Moonleaf et les autres vendent exactement la même chose : du thé au lait concentré avec des grosses boules de tapioca dedans. Intrigué, je fais la remarque :
– « You guys really LOVE milk tea… »
– « Yeah, it’s a big thing right now. Last year, it was frozen yogurt. »
Dans la même veine, un des hotspots de la rue est un skateshop. Maginhawa est le royaume du longboard… depuis un an. Et le frisbee, je vous ai parlé du frisbee ? Depuis que je suis arrivé ici, j’ai joué à l’Ultimate tous les mercredi. Ringardissime en France, le frisbee est érigé à Manille en sport majeur et il n’est pas un parc où l’on n’y joue pas. On emmène son disque à la plage, chaque université compte plusieurs équipes…
– « How come it’s so popular ? Nobody plays Ultimate in France ! »
– « It all started last year, a bunch of celebrities were spotted playing it, and now it’s really big ! »
– « … »
Entre vendeurs de brochettes, trafic impossible, centres commerciaux aussi gigantesques qu’éphémères, pollution et béton, Manille est donc une métropole émergente typique. Inhospitalière à souhait au premier abord, le touriste n’y restera que contraint et forcé pour se saouler entre deux avions. Mais comme ailleurs, il suffit d’être ouvert et de prendre son temps. Ce n’est peut-être pas Greenwich village, mais une partie de cartes / shots de brandy dégueu avec les papis d’en face vaut tous les mojitos à 8 euros du monde. Peut-être que si vous avez de la chance, ils vous inviteront à l’intérieur pour un karaoké / bière dont vous me direz des nouvelles (oui, on boit beaucoup).
Sur ce, je vous laisse, je vais manger dans le nouveau bar à burgers de Maginhawa. C’est la mode en ce moment. S’il ne pleut pas j’irai peut-être avec le longboard que j’ai acheté le mois dernier…
Quand se ramener ?
Alors, ça dépend. Si vous aimez les sports aquatiques, la période Juin – Octobre semble s’imposer. Il y pleuvra en moyenne un jour sur deux. L’avantage par rapport à une fin d’automne dégueulasse à Paris réside dans la nature prude des égout de Manille : de temps en temps, au lieu d’avaler, ils recrachent. Suivant les quartiers, il n’est alors pas rare d’avoir de l’eau jusqu’aux genoux en un quart d’heure. C’est dommage pour les chaussures en daim que vous n’aurez pas eu le cœur de laisser en France, mais c’est sympa pour le rafting.
Si, au contraire, vous êtes plutôt pour l’élimination des toxines par sudation et un adepte de la pizza quatre chaussures, les mois d’Avril et Mai feront votre bonheur. Je pense qu’il fait bien 35°C dehors en ce moment même. Une température propice tant à l’effort qu’à la flânerie. Il fait alors bon commander son taxi à l’avance pour s’y engouffrer depuis le pas de la porte du bureau climatisé sans poser le pied sur le trottoir.
Après, si vous êtes un pisse tiède, ou une endive, vous pouvez toujours venir de Décembre (pour être bieeeeen sur qu’il ne pleuve plus) à Mars. Les températures sont alors plus clémentes, et les catastrophes naturelles meurtrières (pas pour vous, pour les pauvres) se font plus rares.
Enfin, pour une escale de quelques jour, le verdict est sans appel : le week end de Pâques et le jeudi et vendredi qui le précèdent. Une fois par an, la ville se vide de la moitié de ses habitants qui vont fêter Jésus en famille alors que l’autre moitié ne ressent plus le besoin de se ruer dans les embouteillages aux heures de pointe. La bibine et le christianisme ont toujours été bons copains, alors pas d’inquiétude à avoir quand à l’ouverture des bars et leur fréquentation.
Où sortir en mode crevard ? Partout.
De toutes les villes de l’agglomération, Quezon City s’impose à priori.
– Pour des bars plutôt stylés : Timog et Tomas Morato Streets regorgent d’établissements de bon aloi où la jeunesse étudiante branchée se la colle. Ça n’a pas l’air bon marché dit comme ça, mais on parle d’une copieuse cuite pour 4 personnes autour de 20€. Bon deal 😉
Pour un coin plutôt posé : « Sarah’s », sur C.P. Garcia street, à la sortie du Baragay « Krus na Ligas », en face de UP. Une petite baraque, quantité de tables devant, et une ambiance bon enfant à toute épreuve. On joue aux cartes, on chante, on mange, on joue de la guitare… le coin idéal pour déguster son premier balut en le faisant passer avec une bonne lampée de Red Horse.
– À l’ancienne : Emperador, Matador, Ginebra, Tanduay… les liqueurs douteuses mais bon marché sont légion. Et il ne viendra à l’idée de personne de vous chercher des puces parce que vous avez sorti une table en plastique dans la rue…
Un lieu de BG ? UP campus
Vert, grand, calme, ouvert à tous… le campus de UP est un ovni dans une ville comme Quezon City. Conçu à une époque où la planification urbaine était encore hype aux Philippines, il témoigne des ambitions placées en cette cité moderne que l’on faisait alors sortir de terre. En 1939, alors que les premières briques de la ville étaient posées, le président Manuel Quezon (d’ou le nom) déclarait « I dream of a capital city that politically, shall be the seat of the national government, and esthetically, the showplace of the Nation ». Si le congrès siège toujours au bout de Commonwealth Avenue, esthétiquement, QC n’est plus le showplace de grand chose. Mais UP campus est toujours là. Des arbustes poussent dans le béton fissuré des bâtiments, les vendeurs à la sauvette sont partout et un bidonville s’est développé sur les parcelles au sud du terrain. C’est précisément ce qui fait tout le charme de l’endroit : UP n’est pas un simple campus, une île aseptisée hors du temps et de l’espace comme peuvent l’être tant des ces nouveaux quartiers ultra-modernes qui fleurissent dans toutes les métropoles du monde. C’est certes un havre, mais un havre intégré dans le paysage urbain qui l’entoure, obéissant aux mêmes lois. Pour une partie de foot, d’ultimate, un jogging (il est conseillé d’attendre la tombée de la nuit et l’arrivée de la fraîcheur), ou tout simplement lire dans l’herbe en mangeant une glace, on a pas fait mieux. Attention tout de même aux fourmis et autres machins, l’autre jour j’ai vu des gamins jouer avec un putain de boa…
Made in Manila
Les jeepneys ! Sortes de minibus conçus à partir de vielles jeeps de l’armée américaine probablement sciées en deux dans la largeur et allongées par le milieu (tu sais, comme la table de la salle à manger de mamie quand il y a du monde à Noël), les Jeepneys sont parmi les figures les plus emblématiques de Manille. Comme nos bus, ils opèrent le long d’une ligne prédéfinie, mais la similitude s’arrête là. Tout d’abord, contrairement à l’irisbus de la ligne 31 qui exhibe mollement sur son flanc l’affiche du dernier Transformers, le Jeepney a de la gueule : suivant les goûts du conducteur, Optimus Prime et tous ses potes robots, la sale tronche de Shia Laboeuf et la merveilleuse poitr.. le merveilleux sourire de Megan Fox seront carrément PEINTS sur le véhicule. À leurs côtés : images de la vierge et visages des enfants du conducteur, le tout dans un style qui n’est pas sans rappeler les meilleures fresques futuristico-érotiques ambiance 80’s des manèges de la foire du Trône.
Ensuite parce que le dit conducteur est un surhomme : capable de conduire d’une main en te rendant la monnaie de l’autre ; un œil sur la caisse, l’autre sur la route, un troisième sur le trottoir pour détecter les éventuels clients ; une oreille occupée à distinguer la chanson d’amour dégueulasse (une vraie institution) à travers les crépitements de la radio alors que l’autre entend la mamie du fond susurrer un inaudible « para, po ! ».
Le Jeepney pour les nuls :
Coût d’un trajet moyen : 8 pesos (15 centimes d’euros)
« Sa Destination ako, po » : « je vais à Destination »
« Bayat, po » : « je paye »
« Sukle, po » : « je voudrais bien qu’on me rende ma monnaie, si c’est pas trop demander… »
« Para, po* » : « je descend ici »
*Pour les méticuleux qui auraient remarqué comme un truc bizarre, « po » est une marque de politesse intraduisible, qui ne veut dire ni s’il vous plait ni monsieur, mais qu’on trouve absolument partout.
City Makers : Un paysage urbain façonné par les élus locaux
Lorsque le chemin le plus sur vers la réussite financière passe par une carrière politique ou militaire, il est généralement l’heure de se faire du souci pour la santé démocratique du pays… Aux philippines, les dynasties politiques ont la vie dure. Face au désintérêt croissant que suscite le sentiment de corruption de l’élite chez les électeurs, tout est bon pour se faire remarquer. D’où une tendance chez les élus à graver dans la roche leurs moindres accomplissements, quitte pour ça à financer les projets de leur propre poche (d’ou vient l’argent qu’il y a dans leur poche, c’est une autre question…). Je fais construire un nouveau trottoir, je grave mes initiales dedans. HB comme Herbert Bautista, maire de Quezon City. En cherchant un peu on trouve encore quelques SB, comme Sonny Belmonte, son prédécesseur. Je fais réparer une grille ? Je fais peindre mon nom dessus. Les camionnettes de service de la mairie, financées par la vice-maire Joy Belmonte sont estampillées « the JOY of public service ». La palme revient aux véhicules d’urgence alloués à chaque arrondissement sur lesquels ont peut voir une jolie photo du maire à côté du nom de l’unité : Barangay Emergency Response Team. Les initiales sont en rouge : BERT… HerBERT.
Lluis
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